Le Covid-19 en Palestine : la double lutte des Palestiniens contre l’épidémie et contre l’apartheid

samah jabr

Dr Samah Jabr – 22 avril 2020 – Middle East Monitor.

J’écris ceci un jour qui a vu se confirmer une augmentation brusque, et retardée, des cas de Covid-19 parmi les Palestiniens du petit quartier de Silwan, à Jérusalem-Est.

Ce jour-là, les soldats israéliens m’ont refusé, au check-point de Qalandia, l’accès à mon lieu de travail à Ramallah, bien que je leur ai présenté ma carte de responsable des urgences du ministère palestinien de la Santé – un document qui a été refusé par les soldats avec cette déclaration, « Nous ne reconnaissons pas une telle carte ».

En Palestine occupée, la pandémie de Covid-19 a déjà frappé les différentes communautés morcelées palestiniennes, chacune d’entre elles affichant un système de santé fragile et non intégré dans un ensemble national. En même temps, il est établi que les Jérusalémites palestiniens et les Palestiniens de 1948, qui ont recours au système de santé israélien, souffrent d’inégalités depuis longtemps dans les prestations de soins. Ces injustices ont déjà impacté les maladies chroniques, l’espérance de vie, et les taux de mortalité. La réponse du système de santé israélien au Covid-19 a creusé encore l’écart entre la majorité juive (80 %) et la minorité palestinienne (20 %), lesquelles ont recours au même système. En dépit du fait que la minorité palestinienne est surreprésentée au sein du personnel de santé dans le système de santé israélien, ses communautés ont été largement défavorisées pendant cette pandémie. La fourniture du matériel éducatif en langue arabe a tardé à arriver, l’accessibilité aux stations Covid-19 dans les villes arabes a été difficile, avec une absence de représentation arabe au sein du Comité des urgences et une énorme différence dans les tests.

Un volontaire palestinien vêtu d’une combinaison protectrice prend la température des personnes qui entrent dans le village d’Ain Yabrud, près des points de contrôle de Ramallah, en pleine pandémie de Covid-19, le 6 avril 2020 (Abbas Momani/AFP – Getty Images)

Tous ces facteurs contribuent à la montée des cas que nous observons actuellement dans les communautés arabes. Tout en mobilisant la majorité juive pour faire face à la pandémie, le Premier ministre Israélien s’est chargé d’incitations discriminatoires contre la participation arabe au gouvernement et il a accusé, à tort, les Palestiniens de ne pas respecter les règles du confinement – peut-être pour se donner une justification préventive à l’augmentation attendue du nombre de cas parmi les Palestiniens. En réalité, pourtant, les quartiers palestiniens ont respecté plus strictement les règles de la pandémie que les quartiers juifs orthodoxes, alors qu’ils étaient traités plus durement ; le commissaire de police Yaniv Miller, chargé d’aider les patrouilles dans les secteurs juifs qui ne respectaient pas le confinement, a déclaré aux recrues militaires,« Je vous rappelle, les gars, que nous ne sommes pas dans les territoires (occupés) en Cisjordanie, ni à la frontière. Il faut un long moment à un policier pour tirer une balle. Un policier ne tire qu’en dernier recours après avoir été touché » (cité dans le Haaretz du 3 avril 2020, Dans une autre tentative de masquer ces inégalités dans la prestation des services de santé, la ministre de la Culture israélienne, Miri Regev, a réussi à trouver deux citoyens arabes, un infirmier, Ahmad Balawneh, et un auxiliaire médical, Yasmine Mazzawi, pour accepter son invitation à allumer un flambeau lors de la cérémonie du Jour de l’indépendance israélienne/de la Nakba palestinienne, qui se tiendra le 29 avril, une insulte collective, déguisée en honneur !

La situation en Cisjordanie et à Gaza reflète les différents niveaux de l’oppression politique à laquelle sont confrontées ces deux régions. J’ai décrit dans une interview les mesures prises par le ministère de la Santé en Cisjordanie, expliquant que des mesures sévères en faveur d’un bouclage, avec tout leur impact économique dévastateur, sont le meilleur parti que peut prendre l’Autorité palestinienne (AP) étant donné notre manque de ressources au niveau des soins de santé tertiaires et notre manque de souveraineté sur nos frontières. Gaza est encore moins préparée et plus désavantagée ; la situation peut être très dangereuse à Gaza à cause du siège démoralisant et de ses conditions socio-économiques dévastatrices. La population de Gaza survit avec une densité de 5000 habitants au kilomètre carré, avec une forte prédominance d’anémie, de malnutrition, et d’insécurité alimentaire. Les Gazaouis souffrent d’une prévalence tout aussi envahissante de maladies chroniques et de problèmes de santé mentale ; ils sont à la merci de diverses puissances oppressives qui décident de tout et de tous ceux qui entrent et s’échappent de leur cage. L’interruption de l’aide étatsunienne – une punition politique – a été préjudiciable à l’UNRWA, aux hôpitaux palestiniens de Jérusalem, et à de nombreux autres aspects du système de santé en Palestine.

Des membres de l’ONG française, Action contre la faim, distribuent des produits hygiéniques et sanitaires aux habitants palestiniens du village d’al-Ramadin en pleine pandémie de coronavirus (Covid-19), au sud-ouest de la ville cisjordanienne d’Hébron, le 13 avril 2020 (Photo Hazem Bader)

En dépit de ces réalités, Israël s’est vanté de son soutien, de sa générosité, et de son aide offerts à l’Autorité palestinienne. Les Nations-Unies ont loué Israël pour son « excellente » coopération avec l’Autorité palestinienne dans la lutte contre le Covid-19 à différents niveaux : transfert de 25 millions de dollars à l’AP (provenant de l’argent d’impôts précédemment retenus !), envoi de matériel médical en Cisjordanie et à Gaza – dont 20 respirateurs pour s’ajouter aux 80 déjà reçus – de même que 300 kits de dépistage et 50 000 masques ; Israël a permis que le matériel commandé par l’OMS arrive dans les territoires palestiniens et autorisé Gaza à accepter l’argent du Qatar. Ceux qui se laissent impressionner par la gentillesse d’Israël semblent ignorer l’article 56 de la 4è Convention de Genève qui stipule : « Dans toute la mesure de ses moyens, la Puissance occupante a le devoir d’assurer et de maintenir avec le concours des autorités nationales et locales, les établissements et les services médicaux et hospitaliers, ainsi que la santé et l’hygiène publiques dans le territoire occupé, notamment en adoptant et en appliquant les mesures prophylactiques et préventives nécessaires pour combattre la propagation des maladies contagieuses et des épidémie. Le personnel médical de toutes catégories sera autorisé à accomplir sa mission… »

Ceux qui font l’éloge d’Israël semblent également ignorer que l’épidémie de l’occupation se poursuit comme à l’habitude, avec ses démolitions de maisons alors que l’on dit à tout le monde « restez chez vous », avec ses meurtres et ses mises en détention, et la planification de l’annexion de la vallée du Jourdain. Inaperçu, l’unique souci spécifique pour la pandémie : que les soldats israéliens doivent porter un équipement personnel protecteur en entrant à Bethléhem pour arrêter les gens ; inaperçues, les forces israéliennes qui, aux check-points en Cisjordanie, à chaque fois qu’elles soupçonnent les travailleurs palestiniens d’être porteurs du virus, s’en débarrassent comme s’ils étaient des ordures. Inaperçue, la tentative du gouvernement israélien d’échanger des prisonniers israéliens contre de l’aide médicale pour Gaza ! La vérité est qu’Israël est le responsable du dépérissement de la santé des Palestiniens et de la détérioration de leur bien-être, dont les effets vont se répercuter dans notre épigénétique pendant les générations à venir.

Même le coronavirus s’identifie à la situation des Palestiniens à Gaza en disant aux Palestiniens ; « ça va passer » (Caricature)

En même temps, les Palestiniens se joignent à toutes celles et ceux qui, sur terre, se battent actuellement contre la pandémie. Ce faisant, nous semblons affirmer notre désir de souveraineté et nous nous sentons même plus aguerris pour affronter le confinement et l’incertitude de nombreuses autres populations qui, en ce moment, rivalisent pour acheter des armes, ou stocker des marchandises dans les supermarchés, ou encore pirater du matériel médical. Nous, en Palestine, nous essayons de relever ce défi dans un esprit de collaboration sociale et d’altruisme. Nos résultats sont, « pour l’instant, tout va bien », et nous réalisons que ce n’est pas l’étape la plus dure dans notre longue lutte pour l’autodétermination et la liberté.

L’apparition de la pandémie contribue en effet à renforcer la confiance des Palestiniens dans nos capacités pour l’indépendance et nous ne nous sentons pas seuls, dans cette bataille. Même au-delà de cela, nos espoirs nous portent jusqu’à utiliser le terrain de la médecine comme d’une forme de diplomatie en créant des réseaux avec les autres pays pour des partenariats et une collaboration de temps de crise, des pays qui nous ont laissés seuls dans notre lutte nationale.

La crise actuelle ne doit pas nous détourner de notre action vers nos objectifs à long terme. Il est maintenant plus urgent que jamais de mettre fin au siège de Gaza et au système d’apartheid qui réduisent la Palestine à être, malgré elle, un incubateur pour des épidémies médicales et sociales.


Le Dr Samah Jabr est une psychiatre qui exerce à Jérusalem-Est et en Cisjordanie. Elle est actuellement responsable de l’Unité de santé mentale au sein du Ministère palestinien de la Santé. Elle a enseigné dans des universités palestiniennes et internationales. Le Dr Jabr est fréquemment consultante pour des organisations internationales en matière de développement de la santé mentale. Elle est également une femme écrivain prolifique. Son dernier livre paru en français : Derrière les fronts – Chroniques d’une psychiatre psychothérapeute palestinienne sous occupation.

Traduction : BP

Source : Middle East Monitor

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