La militante de la paix Michèle Sibony: « Imposer des sanctions à Israël aujourd’hui est vital pour les Palestiniens… »

Vice-présidente de l’Union Juive Française pour la Paix (UJFP), Michèle Sibony, milite pour une solution juste et définitive de la question palestinienne. Elle souligne que la société civile mondiale peut imposer aux gouvernements de changer d’attitude à l »égard d’Israël comme elles ont réussi à le faire pour l’Apartheid en Afrique du sud. A la veille d’un débat à l’Assemblée nationale française sur la reconnaissance de l’Etat Palestinien, elle fait le point pour Al Huffington Post Algérie.

Al HuffPost Algérie: A quelques jours du débat sur la reconnaissance de l’Etat palestinien, de l’anniversaire du plan de partage et de la journée internationale de solidarité avec la Palestine, pensez-vous que l’Assemblée française suivra le mouvement initié, en Europe, par la Suède?

Michèle Sibony: Il est aujourd’hui possible en fonction des déclarations des uns et des autres, de penser que l’Assemblée Nationale et le Sénat, voteront la reconnaissance. Il y a en ce moment un fort lobbying du mouvement de solidarité avec la Palestine dans ce sens. Cela dit, il y a aussi une forte pression contraire.

Il sera intéressant d’analyser les conditions du vote, et ses résultats, cela servira de baromètre à l’état des points de vue vis à vis d’Israël. On pourra ainsi mesurer l’influence de l’ opinion française largement scandalisée par les agressions israéliennes continues de ces derniers mois, mais insuffisamment informée ou même désinformée par nos médias, sur les groupes politiques.

On verra plus clairement ceux qui affichent un soutien sans faille à l’État juif et au gouvernement Netanyahu, et ceux qui tout en défendant le plus souvent Israël, mettent en avant la solution des deux États par la poursuite de négociations. Cette dernière antienne correspondant de fait au maintien d’une illusion et d’un statu quo qui nuit gravement aux Palestiniens.

Ces signaux émis à partir de l’Europe, même s’ils ne sont pas toujours contraignants comme le vote du parlement britannique, traduisent-ils une évolution des esprits sur la question palestinienne et, corrélativement, sur ce que certains nomment une impunité reconnue à l’Etat israélien?

Là encore il faut différencier ce que l’on appelle l’opinion, ou la rue, et les politiques. La rue est, en dépit de l’endoctrinement médiatique, et depuis « Plomb durci » notamment, largement favorable à tout ce qui pourra arrêter les agressions israéliennes et obliger à un véritable accord de paix imposé par des sanctions.

Il est probable que cette exaspération de l’opinion devant l’impunité d’Israël ait une influence sur les élus des différents partis de droite comme de gauche. Cela dit, voter pour la reconnaissance d’un État Palestinien n’est pas une sanction, il se pourrait même que cela corresponde à un évitement des sanctions. Le silence politique sur ce qui se passe à Jérusalem en ce moment est à ce titre éloquent.

Au début de la dernière guerre contre Gaza, François Hollande a eu une prise de position de soutien aux attaques qui a suscité de très grandes critiques même au sein du PS. Est-il possible que la France puisse contribuer, aujourd’hui, à la solution des deux Etats ?

La réponse de l’Élysée aux lettres du mouvement de solidarité pour demander le soutien à la reconnaissance, comme les dernières déclarations du ministre des affaires étrangères laissent entendre que François Hollande décidera avec son gouvernement en vertu de son « domaine réservé » éventuellement contre le vote.

Voici un extrait de la lettre reçue de l’Elysée : « Comme vous le savez, la France est convaincue que la voie de la négociation est la seule qui permettra de créer effectivement un État palestinien souverain et viable, vivant en paix et en sécurité aux côtés d’Israël. Dans cet esprit, notre pays a appelé à plusieurs reprises les parties à tout faire pour préserver les chances d’une telle relance, en s’abstenant de toute décision incompatible avec le dialogue et de toute mesure remettant en cause la viabilité de la solution des deux États. »

Cette réponse reprend les arguments du lobby pro-israélien. Priorité aux négociations, pas de décision incompatible avec le « dialogue « … En d’autres termes, je le répète il s’agit de conserver le statu quo actuel qui est tragique pour les Palestiniens et qui préserve avant tout l’État d’Israël.

Si le projet de loi accepté par le gouvernement Netanyahu est voté au parlement israélien, qui redéfinit en pire la nature juive de l’État, « Etat nation du peuple juif », le gouvernement français sera mis en demeure comme l’UE et les États Unis de se reposer la question du soutien à un État assumé ethnique et d’Apartheid.

L’Opinion internationale, elle, augmentera la pression par les campagnes de Boycott Désinvestissement et Sanctions (BDS)

Dans un entretien à LCI, vous avez dit qu’il était temps de faire « accepter des choses à Israël ». Au vu de la mainmise américaine sur le dossier, est-il possible de « faire accepter des choses » à Israël?

Vous parlez de main mise américaine, si les Etats Unis sont le principal soutien politique militaire et stratégique, le principal partenaire commercial d’Israël est l’Union Européenne avec des avancées importantes dans les domaines de la coopération scientifique et militaire.

Cette dernière a toute latitude à exercer des sanctions prévues notamment dans son Accord d’Association avec Israël. Or non seulement elle ne le fait pas (alors qu’un vote du parlement européen l’avait déjà demandé en 2002) mais elle a plutôt renforcé ses liens économiques scientifiques et militaires avec Israël.

Certes avec ses recommandations sur la nécessité de distinguer les produits des colonies et les entreprises y travaillant afin de les exclure du bénéfice des subventions européennes, elle a fait un pas sous la pression, mais fondamentalement, et surtout avec les opérations militaires de ces dernières années au Moyen Orient, et contre Daesh aujourd’hui, l’UE se situe dans le camp et le cadre occidental de l’Otan et donc considère qu’Israël est son allié dans la région comme l’Arabie Saoudite.

Imposer des sanctions à Israël aujourd’hui est vital pour les Palestiniens otages de cette situation où ils n’ont rien à « offrir » stratégiquement.

Le système médiatique et le système politique veulent convaincre les peuples de leur impuissance. Nous sommes encore une fois devant la formule du TINA (There Is No Alternative). Si le peuple palestinien n’avait pas résisté depuis 65 ans, on en parlerait aujourd’hui comme des Indiens d’Amérique. Mais si nous voulons qu’il recouvre ses droits, il faut comme contre l’Apartheid d’Afrique du Sud que la société civile mondiale impose à ses gouvernements de changer d’attitude.

Bio-Express
Issue d’une famille juive marocaine, Michèle Sibony a grandi en France. Elle a fait ses études universitaires à l’université de Haïfa, en Israël.
En contact avec les féministes militantes contre l’occupation et les mouvements pacifistes et anticolonialistes, elle a rejoint l’Union Juive Française pour la Paix (UJFP), lors de la deuxième Intifada.
Michèle Sibony est co-auteur de l’ouvrage « À contre-chœur : les voix dissidentes en Israël » (Textuel, 2003) en collaboration avec Michel Warschawski.