11 mai |Ghislain Poissonnier |Tribunes
La question de la liberté de parler de BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) et d’agir dans le cadre de cette campagne ne se pose pas qu’en France. Après la Cour d’appel d’Angleterre et du Pays de Galles, les juridictions allemandes ont eu à se prononcer sur cette question récemment.
Le 11 février 2019, un habitant de la ville allemande d’Oldenburg – une ville de Basse-Saxe d’environ 160.000 habitants – dépose à la mairie une demande visant à l’autoriser à utiliser une salle municipale pour y organiser un évènement dans le cadre de la semaine contre l’apartheid israélien (Israeli Apartheid Week), qui a lieu chaque année dans le monde entier au mois de mars ou d’avril.
La mairie refuse d’accorder cette autorisation, en avançant que la campagne BDS est antisémite et que sa critique de l’Etat d’Israël peut entrer dans le cadre de la définition de l’antisémitisme proposé par l’International Holocaust Remembrance Alliance (IHRA). L’avocat du requérant dépose une requête en référé auprès du tribunal administratif d’Oldenburg pour que cette autorisation lui soit accordée.
Le 21 mars 2019, le tribunal administratif d’Oldenburg rend une décision indiquant que le requérant ne démontre pas suffisamment que BDS n’est pas antisémite et que le refus de la mairie est dès lors justifié.
Appel est interjeté par le requérant qui produit une opinion du professeur John Dugard écrite spécialement pour l’affaire. L’opinion indique que les politiques et pratiques israéliennes en Palestine occupée peuvent être qualifiées d’apartheid, à l’image de la situation ayant prévalu en Afrique du Sud, et que le mouvement BDS, qui s’inscrit dans la droite ligne des mouvements anti-apartheid et demande le respect du droit international par l’Etat d’Israël, est légitime et légal. Un groupe de juristes européens aide également l’avocat du requérant à produire des conclusions qui rappellent la légalité en droit international des objectifs que la campagne BDS se fixe (égalité des droits entre Palestiniens et Israéliens, démantèlement du mur et des colonies, fin de l’occupation, reconnaissance des droits des réfugiés palestiniens) et la nécessité pour les Etats d’agir pour le respect de ces objectifs. Les conclusions soulignent en outre que le droit à l’appel au boycott est couvert par la liberté d’expression tant en droit international qu’en droit européen (du fait de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme).
Le 28 mars 2019, la Cour supérieure administrative de Basse-Saxe, située à Lüneburg, réforme le jugement. L’arrêt (Voir PJ) indique que, dans la mesure où l’accusation d’antisémitisme constitue une allégation particulièrement grave, la charge de la preuve repose sur celui qui l’allègue, ici la mairie. Or, en l’espèce, cette dernière ne produit aucune preuve de ce que le requérant et la campagne BDS en général violent les principes d’une société démocratique et l’ordre public.
Finalement, l’évènement prévu dans le cadre de la semaine contre l’apartheid israélien – une conférence animée par le professeur Norman Paech – peut se tenir dans une des salles de la municipalité d’Oldenburg.
Cette affaire appelle quelques observations :
L’accusation d’antisémitisme est souvent utilisée pour tenter de justifier des mesures visant à rendre impossible la tenue d’évènements de la campagne BDS. Mais ces accusations peuvent être démontées, y compris devant les tribunaux. L’antisémitisme est une forme de racisme tout à fait inacceptable et tous ceux qui sont attachés au respect du droit international y sont nécessairement opposés. Cependant, le chantage à l’antisémitisme doit aussi être dénoncé lorsqu’il vise à rendre impossible des modes d’actions pacifiques visant à promouvoir le respect du droit international dans le cadre du conflit israélo-palestinien.
L’arrêt rendu par la Cour supérieure administrative de Basse-Saxe confirme que les activités BDS et l’appel au boycott des produits israéliens sont couverts par la liberté d’expression.
Un argumentaire fondé sur le droit international permet sans doute de mieux convaincre les magistrats de ce que la campagne BDS est à la fois légale et légitime.
La solution retenue par la Cour supérieure administrative de Basse-Saxe pourrait servir d’inspiration à tous ceux qui, en France, se heurtent à des refus de personnes publiques – collectivités locales, universités, écoles supérieures – de les autoriser à tenir des évènements liés à la campagne BDS. La jurisprudence fort critiquable du juge des référés du Conseil d’Etat qui fait fi de l’ancrage en droit international de la campagne BDS est-elle toujours d’actualité ?
Ghislain Poissonnier, magistrat.