À l’occasion de la réunion de son Bureau international tenue les 27 et 28 mars 2021, la FIDH tient à réaffirmer formellement son soutien à la position des organisations palestiniennes et israéliennes rejetant l’occupation et la politique d’apartheid commises par Israël à l’égard des Palestinien·ne·s. Par des lois et des pratiques systémiques, Israël vise à instaurer une politique de discriminations institutionnalisées visant à favoriser les citoyen.ne.s israélien.ne.s de confession juive conduisant à la fragmentation de l’État de la Palestine. Outre les discriminations, ils·elles font face à des persécutions juridiques et institutionnelles qui constituent une violation grave du droit international et exigent une réponse adaptée de la communauté internationale afin de mettre un terme à ces crimes et à l’impunité dont bénéficie Israël.
Depuis 2009, plusieurs organisations palestiniennes membres de la FIDH dont Al-Haq, le Centre palestinien pour les droits de l’Homme et le Centre Al-Mezan pour les droits de l’Homme, ont analysé la dimension colonialiste et ségrégationniste de l’occupation israélienne. Elles ont documenté les assassinats, la destruction de biens sans justification sur le plan militaire, l’expropriation, la détention arbitraire et la torture, le transfert de colons israéliens vers les territoires occupés, les annexions des terres palestiniennes, les innombrables entraves à la libre circulation des palestiniens dont le mur de séparation, le pillage des ressources naturelles ainsi que de nombreuses autres exactions visant à maintenir une suprématie des Israélien·ne·s au détriment des droits des Palestinien·ne·s. Ces politiques et pratiques constitutives du crime d’apartheid ont été commises en toute impunité et leurs auteurs sont parvenus à échapper aux poursuites.
En janvier 2021, B’Tselem – le Centre d’information israélien sur les droits de l’Homme dans les territoires occupés, organisation membre de la FIDH et qui œuvre depuis sa création en 1989 à la documentation des violations des droits des Palestinien·ne·s commises par Israël en Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) et la bande de Gaza, a publié son rapport intitulé « Un régime de suprématie juive de la Méditerranée au Jourdain : c’est un apartheid ».
Le rapport confirme que le gouvernement israélien cherche à atteindre un régime de discriminations institutionnalisées visant à favoriser les citoyen.ne.s israélien.ne.s de confession juive. Pour y arriver, les autorités israéliennes ont divisé les terres et la population palestinienne en différentes unités, et ont attribué aux Palestinien·ne·s de chaque unité un ensemble différent de droits – tous moindre par rapport aux droits accordés aux citoyen·ne·s juif·ve·s résidant dans la même zone.
Les efforts de documentation fournis par les organisations palestiniennes et israéliennes ont amené de nombreuses instances internationales de droits humains à adopter les mêmes conclusions.
Un État qui utilise des lois, des politiques et des pratiques qui violent les droits humains, afin de maintenir ou de perpétuer la domination d’un groupe (racial, ethnique, national ou religieux) sur un autre groupe, est considéré comme un État qui commet le crime d’apartheid conformément au droit international.
• Les manifestations de l’apartheid commis par Israël :
En tant que puissance occupante, de facto et par la force de la loi, Israël applique diverses politiques pour établir un système de supériorité sur les Palestinien·ne·s.
Au plan juridique, plusieurs lois ont été adoptées par Israël ayant un caractère discriminatoire à l’égard des Palestinien.nes de 1948 (ayant le passeport israélien) et des Palestinien·ne·s de 1967 vivant dans les Territoires palestiniens occupés, et qui établissent des différences de traitement en ce qui concerne l’état civil, la protection juridique, l’accès aux avantages sociaux et économiques ou le droit à la terre et à la propriété. Parmi ces textes juridiques, l’on cite à titre indicatif la loi sur la nationalité israélienne et l’entrée en Israël adoptée en 2003 (loi temporaire) permettant à toute personne de religion juive, de n’importe quel pays, d’aller vivre en Israël et d’obtenir ainsi la citoyenneté israélienne. Un droit totalement nié pour les Palestinien·ne·s y compris les réfugiés dont le droit au retour en Palestine a été consacrée depuis 70 ans dans la résolution 194 des Nations Unies. Cette loi discriminatoire et la violation du droit international, reflètent la volonté de la puissance occupante de modifier la composition démographique de la population en œuvrant à assurer une supériorité quantitative pour les Israélien·ne·s juif·ve·s. Dans son dernier amendement en 2018, cette loi a donné au ministre de l’Intérieur israélien un large pouvoir discrétionnaire pour annuler ou suspendre le permis de séjour permanent des Palestinien·ne·s à Jérusalem, ce qui leur fait perdre la résidence en Israël sans conditions ni critères objectifs, à de rares exceptions près. Cette loi entrave le droit des citoyen·ne·s israélien·ne·s ou des résident·e·s de Jérusalem-Est d’obtenir le regroupement familial lorsque leur conjoint est Palestinien·n·e et vit en Cisjordanie ou dans la bande de Gaza.
Plus discriminatoire encore, la Loi fondamentale de 2018 érige Israël en État-nation du peuple juif et confirme le caractère discriminatoire à l’égard des non-Juif·ve·s dans l’État d’Israël en ce qu’elle dispose que l’exercice du droit à l’autodétermination en Israël est réservé au peuple juif. Cette loi fait de l’hébreu la seule langue officielle du pays, reléguant l’arabe au rang de « langue à statut spécial ». En outre, alors que les implantations israéliennes situées dans le Territoire palestinien occupé sont illégales au regard du droit international et que, de surcroît, elles constituent une entrave à l’exercice des droits humains par l’ensemble de la population, la Loi fondamentale leur confère le statut constitutionnel de « valeur nationale » (art. 1er, 2 et 5).
Dans la pratique, les exemples de la discrimination raciale structurelle et institutionnelle pratiquée par Israël en tant que puissance occupante ne manquent pas. Depuis 1948, les confiscations et expropriations de terres palestiniennes se poursuivent. Israël a établi ainsi plus de 700 villes et villages juifs. Dans le même temps, aucune nouvelle ville ou village palestinien n’a été créé. Aujourd’hui, 93% des terres en Israël sont des terres domaniales. En revanche, les Palestinien·ne·s ne possèdent que 3% de la terre, même s’ils représentent environ 20% de la population d’Israël. Plusieurs lois sont adoptées afin de justifier la judaïsation des terres palestiniennes dont la loi relative à la propriété des absents. Dans le Territoire palestinien occupé, y compris à Jérusalem-Est, des restrictions limitant l’accès des Palestinien·ne·s aux ressources naturelles, notamment aux terres agricoles et à des systèmes adéquats d’approvisionnement en eau, continuent d’être imposées. Le régime israélien restreint sévèrement également la construction et le développement dans le peu de terres qui reste aux communautés palestiniennes à l’intérieur de son territoire souverain. Il s’abstient aussi de préparer des plans d’urbanisation qui reflètent les besoins de la population, et garde les zones de juridiction de ces communautés virtuellement inchangées en dépit d’un accroissement de la population.
En outre, seule Israël décide du mouvement dans les différentes zones avec des restrictions à la liberté des Palestinien·ne·s de circuler y compris pour voyager à l’extérieur et rentrer selon différentes formules. Par exemple, les Palestinien·ne·s de Cisjordanie qui souhaitent entrer en Israël, à Jérusalem-Est ou dans la Bande de Gaza doivent faire une demande auprès des autorités israéliennes. Le mur de la séparation, bâtit sur le territoire palestinien, dont la construction a été condamnée par la Cour internationale de justice, rend la circulation des Palestinien·ne·s encore plus contrainte.
Dans la Bande de Gaza, assiégée depuis 2007, la population entière est emprisonnée puisqu’Israël interdit presque tout déplacement, pour entrer ou sortir — sauf dans les rares cas définis comme humanitaires. Sous le blocus, les habitant·e·s de Gaza sont empêché·e·s d’accéder aux services de base y compris à l’eau potable et à l’aide sanitaire et humanitaire urgente.
L’apartheid et les politiques à fins suprématistes s’ancrent différemment dans chaque zone et les formes d’injustice qui en résultent varient mais sont aujourd’hui progressivement et davantage condamnées par la communauté internationale.
• L’action de la communauté internationale contre l’apartheid commis par Israël :
Des instances internationales sont depuis quelques années vocales sur les politiques d’apartheid mises en place par Israël. C’est ainsi qu’en décembre 2019, le Comité des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD) a exprimé sa préoccupation au sujet de l’existence de politiques et de pratiques israéliennes d’apartheid contre le peuple palestinien des deux côtés de la ligne verte. Dans ses observations finales concernant le rapport d’Israël, le comité souligne « S’agissant de la situation particulière du Territoire palestinien occupé, le Comité demeure préoccupé (voir CERD/C/ISR/CO/14-16, par. 24) par les conséquences des politiques et des pratiques assimilables à la ségrégation appliquées dans ce territoire, illustrées notamment par l’existence de deux systèmes juridiques et institutionnels totalement distincts, dont l’un est conçu pour les communautés juives vivant dans les implantations illégales, d’une part, et l’autre pour les populations palestiniennes habitant dans les villes et les villages palestiniens, d’autre part. Le Comité est consterné par le caractère hermétique de la séparation entre ces deux groupes, qui vivent sur le même territoire mais ne sont pas sur un pied d’égalité pour ce qui est de l’utilisation du réseau routier et des infrastructures et de l’accès aux services de base et aux ressources en eau. Cette séparation se manifeste concrètement par l’existence d’un ensemble complexe de restrictions à la liberté de circulation découlant de la présence du Mur de séparation, des implantations, des barrages routiers et des postes de contrôle militaires, ainsi que de l’obligation d’utiliser des routes distinctes et de l’application d’un régime de permis qui a des conséquences préjudiciables pour la population palestinienne (art. 3) ».
Le 16 juin 2020, plus de cinquante experts et rapporteurs spéciaux des droits de l’homme de l’ONU ont publié une déclaration commune dans laquelle ils considèrent que « le projet d’Israël d’annexer près d’un tiers de la Cisjordanie « est la vision d’un apartheid du 21e siècle » ajoutant que « ce qui resterait de la Cisjordanie serait un bantoustan palestinien, des îles de terre déconnectées, complètement entourées par Israël et sans lien territorial avec le monde extérieur ». Les experts et rapporteurs spéciaux de l’ONU ont mis en garde contre cette grave violation du droit international précisant qu’au « lendemain de l’annexion serait la cristallisation d’une réalité déjà injuste : deux peuples vivant dans le même espace, dirigés par le même État, mais avec des droits profondément inégaux ».
Depuis 2013, la FIDH a alerté sur le crime d’apartheid perpétré par Israël.
Aujourd’hui, après avoir accueilli avec satisfaction la décision historique rendue le 21 février 2021 par la Chambre préliminaire I de la Cour pénale internationale (CPI) confirmant que la compétence de la Cour s’étend à Gaza et à la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, et que, par conséquent, le Procureur est autorisé à enquêter sur les crimes internationaux commis dans ces territoires, la FIDH appelle à enquêter, en sus des crimes de guerre, sur l’ensemble des faits, lois et pratiques attestant du crime d’apartheid.
Parallèlement, et outre les responsabilités individuelles du ressort de la justice pénale internationale, il demeure de la responsabilité de la communauté internationale et des États membres des Nations Unies de prendre des mesures décisives pour faire cesser immédiatement l’état d’apartheid et mettre un terme à l’intensification des activités de colonisation en Cisjordanie occupée, y compris Jérusalem-Est. Ces crimes, comptant parmi les plus graves du droit international doivent prendre fin et les Palestinien·e·s doivent pouvoir exercer leur droit à l’autodétermination.