Nous partageons l’article d’Anna Lippman « J’ai cessé de porter l’étoile de David parce qu’elle est devenue un symbole de suprématie et de fascisme », initialement publié en anglais sur Mondoweiss et traduit par l’UJFP, non pas pour imposer une “bonne manière” de vivre sa judéité ou de se vêtir, mais parce que ce texte souligne combien les références symboliques peuvent être perverties ou détournées.
Notre camarade a écrit son article après un incident survenu à Oakland, dans le restaurant palestinien Jerusalem Coffee House. Un homme tente d’entrer et se filme portant une casquette bleue ornée d’une étoile de David blanche, avant que le gérant ne lui demande de partir.
Cet incident a été médiatisé à l’échelle nationale comme une agression antisémite. Pourtant, comme l’a rappelé le poète et écrivain palestinien Mohammed El-Kurd, l’État d’Israël utilise l’étoile de David comme un « symbole raciste, génocidaire », en l’inscrivant sur les corps de Palestiniens torturés et sur les ruines de Gaza détruites. Dès lors, est-il si illégitime de considérer le port de ce symbole dans un restaurant Palestinien comme une provocation ? Plus généralement, comment prendre au sérieux le fait qu’Israël utilise l’étoile de David comme un signe de conquête coloniale ?
Peter Beinart a répondu à Mohammed El-Kurd que « si vous appelez des symboles Juifs racistes seulement parce qu’Israël se les approprie, vous faites plus que condamner Israël. Vous condamnez le judaïsme ». C’est là une façon de fuir le vrai problème. Depuis plus d’un an, Israël mène une guerre génocidaire contre le peuple palestinien, au cours de laquelle l’étoile de David est utilisée comme un symbole de conquête coloniale. Il nous faut affronter la réalité en face : l’étoile de David (Magen David) est devenue, aussi, un symbole de haine au service d’un État génocidaire. Peut-on encore se la réapproprier, la porter fièrement contre l’État qui la souille ? C’est le choix de beaucoup d’entre nous. D’autres, comme Anna Lippman, ne se sentent plus le cœur à tenter d’honorer et sauver l’étoile de David ».
Les deux choix sont légitimes et relèvent de la sensibilité de chacun.e. En revanche, nous n’avons pas le droit d’ignorer qu’en Palestine, Israël et son armée utilisent l’étoile de David comme un symbole génocidaire, et que de ce fait, elle est « désormais associée au génocide de Gaza et à l’apartheid israélien ». Nous avons encore moins le droit d’accuser d’antisémitisme les Palestinien.nes que ce symbole révulse. Nous accuser de condamner le judaïsme, c’est une inversion des responsabilités.
La publication de cet article a suscité des réactions indignées. Si certaines sont clairement malhonnêtes voire diffamatoires, d’autres relèvent d’une véritable incompréhension. Il nous a donc semblé important de rappeler le contexte d’écriture de l’article.
Le sionisme et la judéité s’interpénétrant malgré nous, il reste bien périlleux de distinguer l’un de l’autre et nous ne saurions exempter toute attaque portant sur l’étoile de David d’intention antisémite, sans prendre en compte le contexte. Il reste cependant malhonnête d’en nier la complexité dans l’accaparement de nos références culturelles par l’État sioniste et de toute la symbolique de haine dont celles-ci ont été chargées.
Nous invitons à ce titre celles et ceux qui ont affiché une étoile de David en pendentif en commentant « j’emmerde l’UJFP » à employer plutôt leurs forces à « emmerder » l’État d’Israël : c’est lui qui souille l’étoile de David, pas nous. Et si notre article vous choque plus que les tombes, les corps, les terres palestiniennes et libanaises profanées d’une étoile de David, vous devriez revoir vos échelles de valeurs. Quant au collectif sioniste qui s’est fendu d’un communiqué diffamatoire expliquant que nous justifierions « l’agression de Juifs et Juives », nous lui conseillons de retirer son texte, car si le ridicule ne tue pas, il y a des cas où il déshonore.
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En octobre 2023, j’ai fièrement porté mon collier avec l’étoile de David lors d’un rassemblement d’urgence pour Gaza, mais un an plus tard, je n’ai plus pu le porter. Israël a fait en sorte qu’il soit impossible de dissocier ce symbole de l’inimaginable dévastation perpétrée sous sa bannière.
Par Anna Lippman · 9 novembre 2024
Il y a quelques semaines, dans le centre de Toronto, j’ai vu un groupe de juifs sionistes croiser une voiture décorée pour la fête de Diwali. La voiture était couverte de fleurs et de bougies, ainsi que de symboles hindous. Consterné par la présence d’un svastika au milieu des décorations, ce groupe s’est mis en colère et a commencé à crier que c’était un antisémitisme flagrant. Je me suis demandé s’ils connaissaient le lien entre ce symbole et la religion hindoue, mais je doutais qu’ils s’en soucient. Malgré ses origines (et son orientation différente) dans les cultures bouddhiste et hindoue, le svastika est aujourd’hui pour beaucoup synonyme de nazisme. Pour ma part, connaître l’histoire de ce symbole n’atténue en rien la réaction viscérale que j’éprouve à la vue d’un svastika.
Le 29 octobre, un homme d’Oakland, en Californie, a été expulsé du Jerusalem Coffee House par son propriétaire parce qu’il portait une casquette de base-ball bleue ornée d’une étoile de David blanche. La police enquête à présent sur cet incident en tant que délit de haine antisémite. Était-il antisémite de demander à cet homme de partir ? Peut-être. Pourtant, personne ne pose une question plus importante à propos de cet incident : pourquoi cet homme a-t-il jugé bon d’entrer dans un café palestinien coiffé d’une casquette reflétant si fidèlement le drapeau d’Israël ? Ne s’attendait-il pas à susciter une réaction viscérale de la part de ceux-là mêmes qui sont massacrés au nom de ce drapeau ? Les Palestiniens qui ont assisté à la mort et à la destruction de leur patrie sous ce symbole n’ont-ils pas le droit d’être offensés par celui-ci ?
Au Canada, le lobby sioniste a passé l’année dernière à décrier toute apparition de l’étoile de David au sein du mouvement propalestinien. Qu’il s’agisse de messages sur les réseaux sociaux ou de pancartes de protestation, ils ont affirmé que la représentation de cette étoile dans tout ce qui critique Israël est antisémite et assimile l’ensemble du peuple juif à l’État d’Israël. Pourtant, ce lobby et l’État d’Israël ont eux-mêmes travaillé sans relâche pour confondre le judaïsme et Israël. Au-delà de placer l’étoile au milieu du drapeau israélien, le Centre pour les affaires israéliennes et juives l’a également intégrée à son logo. Le B’nai Brith Canada utilise le symbole juif de la ménorah dans son logo. Lorsque les sionistes eux-mêmes commencent à s’approprier le symbolisme juif, la distinction entre le judaïsme et Israël devient floue.
Peut-être plus que quiconque, c’est Israël lui-même qui s’approprie les symboles juifs à des fins fascistes. Alors que le génocide se poursuit à Gaza, l’armée israélienne célèbre cette dévastation en traçant ou en peignant à la bombe l’étoile de David sur des bâtiments et des quartiers démolis. Lorsque la peinture en aérosol vient à manquer, les soldats et la police marquent et tracent ce symbole sur les Palestiniens eux-mêmes. L’adoption de ce symbole pour terroriser est encore plus évidente en Cisjordanie. Les villes et les quartiers palestiniens sont souvent vandalisés par de jeunes colons qui peignent à la bombe l’étoile et l’accompagnent de slogans fascistes sur des peintures murales palestiniennes et sur des drapeaux. Lorsque les colons parviennent enfin à expulser les Palestiniens de leurs villages, une étoile ou une ménorah est souvent placée au sommet de ces terres ethniquement nettoyées.
Le 9 octobre 2023, j’ai porté fièrement mon collier avec l’étoile de David lors du rassemblement d’urgence pour Gaza. Je voulais que les gens sachent sans équivoque que j’étais juive et toujours en faveur de la Palestine. Lors du rassemblement du 5 octobre 2024 marquant un an de génocide à Gaza, mon collier portait à la place le symbole « Chaï » [חי]. Je ne cherche plus à honorer et sauver l’étoile de David.
Comme le svastika, l’étoile n’a rien de répréhensible en soi ; ce symbole existait avant Israël et existera après la disparition d’Israël. Pourtant, ce symbole, qui faisait autrefois partie intégrante de la façon dont j’affiche mon identité, est aujourd’hui synonyme de la cruauté et de la malfaisance du régime sioniste. Lorsque les Palestiniens regardent ce symbole, qui a été utilisé pour représenter la suprématie juive et la destruction des Palestiniens, ils ne font pas de distinction entre ce symbole lorsqu’il est bleu et entre deux bandes ou lorsqu’il est doré et autour de mon cou. Tous deux représentent la destruction du peuple palestinien.
En discutant de l’incident d’Oakland sur les réseaux sociaux, Mohammed El-Kurd avance le même argument selon lequel l’étoile de David est désormais un symbole de haine, que les Juifs le veuillent ou non. Peter Beinart a répondu en disant que le symbole est un symbole juif qui existe en dehors de son appropriation par Israël et que critiquer l’étoile de David est en fait une condamnation du judaïsme. Je reconnais que ce n’est pas la faute des Juifs si Israël a décidé d’utiliser notre symbole comme logo de son régime fasciste. Cependant, nous ne sommes pas absous du poids actuel de ces symboles et nous ne devrions pas blâmer les Palestiniens pour leurs émotions viscérales lorsqu’ils voient ces symboles.
Lors de mon dernier voyage en Cisjordanie, des enfants de la région fouillaient mes affaires à la recherche de cadeaux potentiels. En trouvant le collier Magen David que je portais au passage de la douane, une fille s’est tournée vers moi et m’a dit : « Oh, tu aimes donc Israël ? » Non ! ai-je répondu avec véhémence. Ils ont rigolé et m’ont demandé pourquoi j’avais leur symbole sur mon collier. J’ai d’abord tenté d’expliquer qu’il s’agissait d’un symbole du peuple juif, non de l’État d’Israël. Mais j’ai vite déchanté. Pour les Palestiniens qui ne connaissent rien du judaïsme, hormis son rôle dans l’oppression et le nettoyage ethnique, cette étoile symbolise le mal, la destruction et la haine. J’avais expressément retiré cette étoile en entrant en Palestine, car je savais qu’il était provocant de la voir.
En Amérique du Nord, la communauté juive bénéficie d’une attention particulière pendant Diwali en raison de l’utilisation du svastika et de ses associations avec l’Allemagne nazie et les mouvements suprémacistes blancs. Les Palestiniens doivent bénéficier de la même considération lorsque des Juifs choisissent d’arborer l’étoile de David, qui est désormais associée au génocide de Gaza et à l’apartheid israélien. Israël a fait en sorte qu’il soit impossible de dissocier ce symbole de l’inimaginable dévastation perpétrée sous sa bannière. Israël a fait de l’étoile de David un symbole de suprématie et de fascisme. Je refuse de m’associer et d’associer mon judaïsme à Israël et à tout ce qu’il représente. C’est pourquoi je ne porte plus d’étoile juive.
Traduction SF pour l’UJFP