Israël. La nation des bombes à fragmentation

Par Gideon Levy

Les bombes à fragmentation sont surtout destinées aux zones densément peuplées. C’est là qu’elles peuvent tuer le plus efficacement. C’est la raison pour laquelle l’armée israélienne les veut.

Israël veut tuer autant de personnes innocentes que possible. Ce pays ne veut en aucun cas faire partie de la communauté des nations éclairées. Il n’y a pas d’autre interprétation possible du rapport glaçant publié lundi par Gili Cohen sur Haaretz qui explique que l’establishment de la défense a décidé de préférer un canon encore en cours de fabrication en Israël à un canon allemand, et ce dans le seul but de contourner l’interdiction internationale des bombes à fragmentation.

Plus de 100 pays ont signé le traité international interdisant l’utilisation de bombes à fragmentation ; comme d’habitude, Israël n’en fait pas partie. Israël n’a rien à cirer des traités, des lois internationales, des organisations internationales – ce sont que des tracasseries inutiles. Comme d’habitude, Israël se trouve dans le même camp que la Russie, le Pakistan, la Chine, l’Inde et, bien sûr, les Etats-Unis, qui est le pays qui a versé le plus de sang depuis la Seconde guerre mondiale. Voilà les compagnons de route que choisit Israël.

Les bombes à fragmentation sont une arme particulièrement barbare. Il s’agit de bombes qui explosent en libérant des milliers d’éclats qui se propagent à grande vitesse sur une zone étendue, tuant et blessant au hasard. Parfois elles explosent plusieurs années après avoir été lancées. Le monde entier a été consterné et dégoûté par ce type d’armes de destruction massive, et pour de bonnes raisons. Le monde, mais pas l’État d’Israël. Il est communément admis que nous sommes un cas à part, et que nous avons le droit de faire n’importe quoi. Pourquoi ? Parce que nous le pouvons.

Et cela a été prouvé. Nous avons utilisé des bombes à fragmentation au cours de la Seconde guerre du Liban [juillet-août 2006], et le monde n’a pas réagi. Nous utilisons également sans pitié des obus à fléchettes. En 2002 j’ai vu un terrain de football à Gaza touché par des obus qui répandent des milliers de fléchettes potentiellement létales. Tous les enfants qui jouaient sur ce terrain de foot ont été touchés.

Une autre fois j’ai vu des milliers de fléchettes répandues par des obus plantés dans les murs de maisons à Gaza. Il n’était pas difficile à imaginer ce que ces fléchettes infligeaient à des corps humains.

Les obus à fléchettes ont également été bannis dans le monde, mais pas en Israël. Pourquoi ? Peut-être parce que nous sommes le « Peuple élu », peut-être parce que nous avons le droit de faire n’importe quoi. Puisque nous nous battons pour notre existence, désespérée et précaire, comme une frêle feuille dans le vent, nous avons le droit d’utiliser des bombes à fragmentation, des obus à fléchettes, du phosphore blanc, et ainsi de suite. Après tout, nous luttons pour notre survie contre l’avancement de l’armée de la République de Gaza et les divisions terrifiantes des armées de la Cisjordanie. Nous sommes dressés contre les forces aériennes de Balata [gomme extraite d’une arme portant le même nom] et la flotte navale de Deheisheh [camp de réfugiés en Cisjordanie établi en 1949, grâce à la location de terres au gouvernement-royaume de Jordanie], et surtout contre l’« effroyable brutalité » des Palestiniens. Et donc nous avons besoin d’armes, le plus possible, sans restriction.

Les bombes à fragmentation ont semé un chaos effroyable et la destruction au Kosovo, au Laos, en Afghanistan et en Irak. Israël veut faire la même chose. Les champs de la mort de la prochaine guerre pour l’occupation, guerre qui arrivera certainement, ressembleront aux champs de la mort au Laos, grâce aux bombes à fragmentation tirées par le nouveau canon sacré made in Israël. Sinon, pourquoi aurions-nous besoin de bombes à fragmentation. N’avons-nous pas suffisamment d’armes autorisées dans notre arsenal ? Les bombes à fragmentation sont surtout destinées aux zones densément peuplées. Où nous pouvons tuer plus efficacement. C’est pour cette raison que l’armée israélienne les veut.

La prochaine fois que vous utiliserez l’argument selon lequel tout le monde est contre nous et que vous prétendrez que les critiques et l’animosité contre Israël n’ont pas leur origine dans les actions de ce pays, pensez aux bombes à fragmentation. L’État d’Israël est en train de s’exclure lui-même du concert des nations, rejoignant les États les plus brutaux, bafouant les décisions internationales. Et ensuite il se plaint que le monde entier le hait sans raison. La prochaine fois que vous penserez à l’armée israélienne, cette armée la plus morale du monde, souvenez-vous des bombes à fragmentation.

L’histoire des bombes à fragmentation n’est pas moins atroce que celle des sous-marins, néanmoins elle ne suscite aucun intérêt en Israël. Les sous-marins signifient de l’argent, des témoins d’État et des suspects, c’est sexy de s’en occuper. Les bombes à fragmentation concernent les vies de personnes innocentes, et qui s’en souciera ?

Les sous-marins représentent la corruption [allusion un contrat passé avec l’Allemagne avec des commissions « réparties » dans le cercle proche du Premier ministre, pour une somme de deux milliards de dollars ; voir article dans The Guardian, par Peter Beaumont, le 12 juillet 2017], et la nation est contre la corruption. Les bombes à fragmentation reflètent le mépris arrogant et continuel de la loi internationale, ce qui n’intéresse personne dans ce pays. Or c’est le même establishment de défense, pourri jusqu’à la moelle, qui est derrière les deux affaires – un type de corruption dans l’affaire des sous-marins, et un autre type de corruption dans l’affaire des bombes à fragmentation. Mais l’establishment de la défense peut être tranquille, personne ne lui fera un procès pour l’utilisation de bombes à fragmentation

Gideon Levy

Article originel en anglais publié dans le quotidien Haaretz en date du 10 août 2017

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