Par Un collectif d’élus et d’acteurs associatifs — Tribune publiée dans Libération le 4 octobre 2019.
Tous les mouvements politiques qui se réclament des valeurs progressistes doivent aujourd’hui prendre position sur cette question, avoir une ligne claire.
Nous sommes de sensibilités politiques diverses, nous sommes tou·te·s progressistes et venons des quatre coins de France. Nous sommes issu·e·s de différentes générations. Notre point commun ? Nous sommes convaincu·e·s que la question des quartiers populaires est une question politique de premier plan. Pour la plupart d’entre nous, nous y avons grandi, nous y vivons, nous y militons au quotidien.
Au fondement de nos engagements, il y a au moins celui de lutter pour l’égalité réelle, pour la justice et contre toutes les discriminations, a fortiori quand elles se cumulent ajoutant (souvent dans un cadre de ségrégation territoriale) assignation sociale et racisme. A l’occasion des universités d’été de La France insoumise, lors d’un atelier sur la laïcité, plusieurs militants ont été vivement interpellés pour avoir réagi aux propos d’Henri Peña Ruiz, philosophe, qui intervenait lors de cet atelier. L’un d’entre eux, le journaliste Taha Bouhafs a été violemment pris à partie.
Si nous savons que beaucoup de celles et ceux que nous côtoyons ont les idées claires, nous savons aussi pertinemment que pour certains partis et courants de la gauche, la question du rapport aux musulman·e·s, à l’islam et à tout ce qui y est lié est un angle mort de la lutte contre le racisme.
L’islamophobie est un racisme
Nous savons aussi combien la laïcité peut-être instrumentalisée à des fins racistes. Il y a quinze ans déjà, nombre d’entre nous mettait en garde contre la logique discriminante de la loi interdisant le port des signes religieux à l’école.
Nous savions à l’époque, qu’avec cette loi faite sur mesure à l’encontre des musulmanes, nous mettions le doigt dans l’engrenage islamophobe… Et les polémiques, lois, projets de lois s’accumulant avec les années nous ont malheureusement donné raison : accompagnement des sorties scolaires par des mamans portant le voile, burkini à la plage, hijab-running, fast-food halal, licenciement pour port de la barbe… A chaque saison sa polémique !
Ce n’est pas un débat sémantique : l’islamophobie est un racisme. C’est d’ailleurs bien comme cela que la définissent le Conseil de l’Europe, la Commission européenne ou l’ONU. Et non, ce n’est pas le fait de dire la réalité qui la crée.
Cela n’a rien à voir – ce serait vraiment mal nous connaître – avec une quelconque envie d’immunité offerte aux dérives et prétentions d’ingérences politique et morale des religions. Rien à voir non plus avec une quelconque volonté d’interdire le blasphème ou de remettre en cause la laïcité telle que la République l’a définie de façon intelligente et équilibrée en 1905 !
Si nous sommes si attaché·e·s à faire de la lutte contre l’islamophobie une question centrale, ce n’est pas juste par principe ou pour le plaisir de débattre. C’est bien parce que les conséquences sont dramatiques au quotidien en France, et plus particulièrement en banlieue : discriminations multiples (emploi, logement… ou même entrée au restaurant !), agressions verbales et physiques, mise au ban de la société, stigmatisation, humiliations…
L’islamophobie peut devenir meurtrière, à l’image de la tuerie de Christchurch, en Nouvelle-Zélande. Tuerie dont l’auteur a été inspiré par l’ultra-droite française identitaire.
Attendons-nous d’en arriver là pour réagir dans notre pays ? Continuerons-nous de nier l’existant ?
Nous ne luttons pas contre l’islamophobie par plaisir, par revanche, mais bien parce que des citoyen·ne·s la subissent tous les jours. Nous agissons, au quotidien, pour la justice sociale, pour l’écologie, pour l’éducation… nous le faisons le plus souvent avec des militant·e·s de gauche ou du mouvement social. Nous sommes même parfois candidat·e·s à des élections sous des étiquettes de partis politiques de gauche et écologistes ou à leurs côtés… Nous voudrions continuer à le faire sereinement, dans la confiance mais des doutes persistent. Nous nous devons en effet de rappeler un élément simple et basique, condition de tout engagement, de toute alliance ou coopération politique : la lutte contre le sexisme, l’homophobie, le racisme sous toutes ses formes, incluant la lutte contre l’islamophobie ne se négocie pas, ne peut être ignorée, et se doit d’être au cœur de tout projet politique.
C’est un sujet de société aujourd’hui incontournable, décisif. Et il n’est pas possible que des mouvements politiques qui se disent progressistes continuent d’être dans le déni ou dans l’esquive, parfois même la complicité.
Nous demandons aujourd’hui à tous les mouvements politiques qui se réclament des valeurs progressistes censées nous rapprocher de prendre position sur cette question, d’avoir une ligne claire, de la dénoncer partout où elle s’exprime et de travailler à éradiquer l’islamophobie de leurs discours et de leurs rangs en commençant par la reconnaître pour ce qu’elle est : une des formes hélas de plus en plus répandue du racisme et de la violence subie par des pans entiers de la population au quotidien.
Nous ne pouvons plus faire confiance à celles et ceux qui nient ou font l’autruche, nous ne pouvons plus rien avoir à faire avec celles et ceux qui en arrivent à propager eux-mêmes cette haine.
Premier·e·s signataires :
Pierre Serne, conseiller régional et militant des droits LGBTI+ (Montreuil), Zohra Boukenouche, militante associative (Marseille), Salah Amokrane, militant (Toulouse), Elsa Touré, militante politique (Corbeil-Essonne), Elyes Samir Baaloudj, militant des quartiers populaires, Ahmed Chouki, Président d’association, Djellali Seddaoui, militant au Fuiqp, Aïssata Seck, adjointe au maire de Bondy, Salah Zaouiya, ancien militant du MIB contre les violences policières et les morts suspects en prison, Soraya Guendouz, militante Syndicat des quartiers populaires (Marseille), Madjid Messaoudene, élu de Saint-Denis, Youcef Brakni, militant des quartiers populaires, Taha Bouhafs, journaliste, Karfa Sirra Diallo, fondateur directeur de Mémoires et partages, Yamina Aissa Abdi, militante associative, Amel Makhloufi, militante, Stéphane Steunou, militant politique, Luk Vervaet, enseignant dans les prisons (Belgique), Sami Benjaffel, militant antiraciste, Narjesse Forestier, militant associatif (Saint-Étienne), Nadim Ghodbane, militant associatif (Saint-Étienne), Abdelkader Zerarga, militant associatif (Saint-Étienne), Lela Bencharif, militante associative (Saint-Étienne), Ali Rahni, militant associatif (Roubaix), Laura Slimani, élue municipale de Rouen