Interview de Pierre Stambul par le Courrier de l’Atlas

Parue en une version légèrement raccourcie dans le numéro de décembre 2015 du Courrier de l’Atlas p 30-31.

Pierre Stambul est co-président de ll’Union Juive Française pour la Paix (UJFP). Il est auteur de deux ouvrages : « le Sionisme en questions » et « Israël / Palestine du refus d’être complice à l’engagement ». Il milite ouvertement, depuis des années, pour les droits des Palestiniens et dénonce régulièrement, la colonisation, et la violation du droit international par Israël.

Quel regard portez-vous sur les attaques au couteau, menées par les Palestiniens depuis quelques semaines en Cisjordanie et Jérusalem-Est.

S’agit-il pour vous d’une nouvelle Intifada ?

Les Palestiniens sont désespérés. Des décennies d’occupation et de colonisation ont fragmenté la Palestine : Cisjordanie, Jérusalem-Est , Gaza, Palestiniens d’Israël, réfugiés, prisonniers, chacun subissant une forme particulière d’oppression. Nétanyahou assume l’apartheid et dit ouvertement : « il n’y aura pas d’Etat palestinien ». L’occupant a fait voler en éclat le compromis très inégal d’Oslo. La communauté internationale est complice en laissant faire et en empêchant toute sanction contre Israël. Alors, comme en 1987, la population se révolte et, au péril de sa vie, affronte l’occupant.

Des groupes fondamentalistes n’hésitent plus à monter sur l’esplanade, lieu saint qui abrite la Mosquée al-Aqsa pour réclamer le droit d’y prier. Or le statut quo en vigueur prévoit que seuls les musulmans peuvent y adresser des prières… Pensez-vous que l’on va vers la mise en cause de ce statut?

Ces groupes de fanatiques intégristes ont toujours existé. Jusque-là, les gouvernements israéliens les empêchaient de venir faire des provocations sur l’esplanade des mosquées. Non seulement Nétanyahou leur a permis de venir mais il a ouvertement évoqué de séparer en deux la mosquée al-Aqsa comme à Hébron où une synagogue a été installée dans le Caveau des Patriarches. Nétanyahou rêve de mettre le Proche-Orient à feu et à sang pour avoir les mains libres. Mais il a été obligé de reculer et de promettre le statu quo au roi de Jordanie.

Plus de vingt ans après les accords d’Oslo (1993), la perspective de la création d’un Etat palestinien n’a jamais été aussi lointaine. Est-ce pour cela que certains acteurs veulent donner un caractère strictement religieux aux évènements actuels ?

Ces accords ont été une gigantesque mystification. L’OLP a reconnu Israël dans ses frontières d’avant 1967. Jamais il n’y a eu la promesse qu’il y aurait un Etat palestinien ou que la colonisation cesserait. Entre ces accords et l’assassinat de Rabin, ce dernier a installé 60000 nouveaux colons. Ceux-ci forment aujourd’hui 10% de la population juive israélienne et presque la moitié du gouvernement ou de l’armée. Oslo est définitivement mort, même Mahmoud Abbas l’a admis. Fondamentalement, cette guerre n’est pas religieuse. Elle porte sur le refus du colonialisme et de l’apartheid et la lutte pour l’égalité des droits.

Comment expliquez-vous que l’Etat d’Israël bénéficie d’une impunité totale malgré les crimes commis régulièrement contre le peuple palestinien et les nombreuses violations du droit international ?

L’Etat d’Israël, morceau d’Occident implanté au Proche-Orient, pays surarmé et aux technologies de pointe est l’Etat rêvé des dirigeants occidentaux. Pour tenir le Proche-Orient, les dirigeants occidentaux ont besoin d’Israël et des régimes féodaux du Golfe. C’est l’Europe qui a inventé l’antisémitisme et c’est en Europe que s’est déroulé le judéocide nazi. Les dirigeants européens font payer leur crime au peuple palestinien qui n’y est pour rien.

Vous avez déclaré que le sionisme était un crime contre les Palestiniens et un suicide pour les juifs. Or depuis l’arrivée de Netanyahu et la droite au pouvoir on assiste à une radicalisation de la société israélienne et un déchaînement des colons fondamentalistes…

Le complexe de Massada fortement cultivé en Israël, c’est l’idée que tout le monde en veut aux Israéliens et que la mort est préférable au compromis. Il s’appuie sur un épisode (discuté) disant qu’à Massada, les Juifs insurgés contre Rome auraient préféré le suicide à la reddition. Ce qui est sûr, c’est que délibérément, toute idée d’accord permettant aux Israéliens de rester (comme les Blancs sud-africains ont pu rester au moment de la chute de l’apartheid) est refusée par Nétanyahou. Il veut toujours faire des Palestiniens les « Indiens » du Proche-Orient enfermés dans leur réserve. Ce projet criminel est bien sûr suicidaire.

Vous êtes juif, fils de déporté que pensez-vous de l’antisémitisme réel ou supposé dans les banlieues françaises ?

Il y a en France une dangereuse montée du racisme : contre les Arabes, les Noirs, les Rroms, les musulmans, les migrants. L’antisémitisme perdure. Il n’a rien à voir avec celui des années 30. Les Juifs ne sont plus les parias de l’Europe. Mais les stéréotypes persistent : « ils dominent le monde », « ils ont l’argent » et cela peut être meurtrier. La complicité du CRIF avec les crimes israéliens met sciemment en danger les Juifs de France en les sommant d’être complices ou traîtres. L’UJFP rappelle cette longue période où une majorité des Juifs considérait que son émancipation comme minorité opprimée était inséparable de celle de l’humanité. Nous sommes très bien accueillis dans les banlieues.

Il existe un amalgame entre antisionisme et l’antisémitisme. D’après-vous, est-il fait à dessein ?

Je pense à l’inverse que le sionisme est antisémite. Le sionisme est une théorie de la séparation qui considère que Juifs et non Juifs ne peuvent pas vivre ensemble, ni dans le pays d’origine, ni en Israël/Palestine. Cette théorie a mené au nettoyage ethnique et à l’apartheid. Quand Nétanyahou dit aux Juifs de France qu’ils doivent partir en Israël, il se comporte en antisémite. Personne depuis Vichy n’avait osé nous dire que nous n’étions pas chez nous en France. L’antisionisme, c’est le retour à une forme de judaïsme universaliste qui a été longtemps dominante

L’Union Juive française pour la Paix participe activement à la campagne de Boycott, Désinvestissement, Sanctions contre Israël (BDS). Voulez-vous en préciser les raisons?

Pourquoi la guerre continue ? Pourquoi le peuple palestinien est-il martyrisé et marginalisé ? Parce que l’agresseur n’est pas sanctionné. Les revendications du BDS sont claires : la liberté (fin de l’occupation, de la colonisation, du blocus, destruction du Mur, libération des prisonniers), l’égalité des droits et la justice (le droit au retour des réfugiés). Le modèle, c’est le boycott de l’Afrique du sud à l’époque de l’apartheid. Le BDS, ce sont les peuples qui se substituent à la complicité des Etats.

Vous avez été arrêté en juin dernier par le RAID sur une fausse dénonciation après le piratage de votre ligne téléphonique…est-ce une mesure de représailles en raison de vos engagements pro-palestiniens ?

A l’origine, il y a un Franco-israélien Grégory Chelli (alias Ulcan) qui est un militant de l’extrême droite sioniste. Il a piraté de nombreuses lignes de téléphone. La méthode utilisée est souvent la même. Il appelle depuis Israël la police française : « allo ? Je suis X. J’ai tué ma femme. Si vous intervenez, je tire. » Systématiquement et sans vérifier, la police française fait le service après vente et intervient. Il y a 105 plaintes contre lui. Mais il est solidement protégé là-bas et Israël ne l’extradera pas. Ce qui est grave dans mon cas, c’est que j’ai été violenté par le RAID et j’ai eu 7 heures de garde-à-vue. 5 mois après, je n’ai reçu aucune explication crédible et on ne m’a toujours pas remboursé la somme avancée pour que les portes défoncées soient réparées.

Quel espoir pour la Paix entre les Palestiniens et les Israéliens ?

Arrêter de prendre en considération la sécurité de l’occupant. Il y a un crime fondateur dans cette guerre : l’expulsion de la majorité des Palestiniens de leur propre pays en 1948. Il faut réparer. Le fil directeur, ça doit être l’égalité des droits et la justice. Rien ne se passera tant qu’Israël ne sera pas sanctionné et boycotté. Nous ne pouvons et ne devons pas nous taire.

Pierre Stambul