Intervention de Sonia Fayman pour l’UJFP lors du meeting du 15 janvier à Saint-Denis

Intervention de Sonia Fayman, pour l’UJFP lors de la soirée-débat contre l’état d’urgence et la déchéance de nationalité à l’invitation de la Coordination Nationale Pas Sans Nous

1. Qu’est ce que l’UJFP

Association juive laïque dont les membres ne sont pas nécessairement juifs mais qui entend porter une parole juive sur le racisme, les inégalités, les oppressions et être solidaire des combats pour la justice.

2. Sur quelle base nous élevons-nous contre le projet de déchéance de nationalité

En tant que descendants de générations de Juifs qui ont vécu des persécutions dans les pays d’Europe centrale et, plus près de nous l’antisémitisme d’État de la France de Vichy pendant la seconde guerre mondiale, nous nous élevons contre la déchéance de nationalité qui s’annonce aujourd’hui.

Rappel : La loi sur les dénaturalisations a été mise en place dès le 22 juillet 1940, un mois à peine après la proclamation du régime de Vichy de Pétain. Le premier statut des Juifs, qui exclut ceux-ci de la fonction publique et des fonctions commerciales et industrielles, date du 3 octobre 1940, tandis que le second statut, qui oblige à l’immatriculation des entreprises juives et exclut les Juifs de toute profession commerciale ou industrielle, a été passé en juillet 1941. La loi du 4 octobre 1940 sur « les ressortissants étrangers de race juive », promulguée simultanément avec le statut des Juifs, autorise l’internement immédiat des Juifs étrangers. (Wikipedia)
Donc, le 22 juillet 1940, le gouvernement de Vichy promulgue un décret-loi portant sur la révision des naturalisations établies depuis 1927 : 15 000 personnes perdent la nationalité française, dont environ 8 000 Juifs, et deviennent apatrides. Dans le même temps, le décret Marchandeau réprimant l’antisémitisme dans la presse est abrogé. (Mémorial de la Shoah)

Et combien parmi nous, juifs nés en France sont obligés, si leurs parents ne le sont pas, de prouver leur nationalité ? Combien parmi nous à qui il est demandé pourquoi nous n’allons pas dans notre pays – supposément Israël – alors que justement l’UJFP milite pour dénoncer la main mise de l’État d’Israël et des sionistes en général sur les juifs du monde entier ?

Mais globalement, les juifs sont protégés en France par l’État, pour deux séries de raisons : d’une part, le fantôme de la collaboration française avec le judéocide nazi est encore bien présent et il faut s’en démarquer en se montrant l’ami des juifs : c’est la judéophilie qui n’est que l’envers du vieil antijudaïsme français ; d’autre part, la France fait partie du camp occidental qui soutient Israël envers et contre tout dans la dite guerre des civilisations.

Ainsi le CRIF a l’oreille bienveillante du gouvernement dont les membres se pressent à ses dîners. Valls a fait deux discours ignobles lors de la commémoration des attentats de janvier 2015, l’un place de la République, l’autre aux abords de l’Hyper cacher : à chaque fois, il rampe devant les autorités juives de France en les assurant que les juifs y ont toute leur place : s’il a besoin de le dire c’est que cela ne lui paraît pas naturel et il y va de son attachement indéfectible à Israël, fustigeant d’un même souffle l’extrême droite et l’extrême gauche pour leur « détestation d’Israël » – comme s’il s’agissait d’aimer ou de détester.

La critique que nous portons à Israël et au sionisme est politique, pas question d’amour ou de désamour là-dedans. Et c’est cette démarche politique qui nous fait nous élever contre le gouvernement français qui a définitivement rompu avec une politique de gauche, qui criminalise le boycott contre l’État d’apartheid qu’est Israël, et qui sème l’islamophobie.

Nous sommes solidaires des musulmans ou supposés tels qui sont depuis des années soumis à des discriminations. Ces discriminations sont l’une des manifestations d’une islamophobie envahissante et protégée, voire encouragée par l’État, à entendre les discours du premier ministre. Le vieux fond raciste et xénophobe de la bourgeoisie française qui faisait des Juifs les responsables de tous les maux, aux 19ème et 20ème siècles, se déchaîne maintenant contre les Musulmans.

3. De quoi la déchéance de nationalité est-elle le nom ?

Le pouvoir a sauté sur l’occasion offerte par les terribles attentats du 13 novembre pour décréter l’état d’urgence, le prolonger et proposer de déchoir de la nationalité française des ressortissants binationaux lorsqu’ils sont menaçants pour la sécurité publique.

La déchéance de nationalité est prévue dans la constitution dans les cas suivants :

• une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ou un acte de terrorisme ;
• des atteintes à l’administration publique commises par des personnes exerçant une fonction publique ;
• s’être soustrait aux obligations du service national ;
• s’être livré au profit d’un État étranger à des actes « incompatibles avec la qualité de Français et préjudiciables aux intérêts de la France ».

Le code civil précise en outre que les faits doivent s’être « produits antérieurement à l’acquisition de la nationalité française ou dans le délai de dix ans à compter de la date de cette acquisition ». Un délai porté à quinze ans dans le cas d’une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour acte de terrorisme.

Aujourd’hui, le gouvernement fait fi de cette règle et propose une mesure étendue à tous les binationaux. À cet égard, un groupe de binationaux voit dans la déchéance de nationalité la création d’une catégorie intermédiaire entre les Français et les étrangers ; or il existe déjà la catégorie de Français par acquisition qui les distingue des Français de naissance. L’inégalité est déjà bien implantée dans les règlements et pratiques administratifs.

Tout le monde s’entend sur l’absence de portée pratique d’une telle mesure en termes de sécurité publique.

Donc l’objectif est ailleurs, dans le symbole – symbole de quoi ? Symbole d’une France anciennement esclavagiste, impériale, raciste et aujourd’hui, néocoloniale et raciste, particulièrement islamophobe. Servi en cela par la phraséologie proto-religieuse de Daesh, le gouvernement intoxique l’opinion publique en mettant dans le même sac les auteurs des attentats qui ont frappé Paris (comme Beyrouth, Bruxelles, Bagdad, Kano etc.) et les diverses tendances fondamentalistes de l’islam.

Tout cela pour asseoir sa mesure indigne sur une peur entretenue à laquelle on donne l’illusion de pouvoir se débarrasser de l’Autre, l’allogène, le bouc émissaire. Ainsi les manipulations post- attentats font ressurgir la peur non seulement des étrangers mais de ceux qui ne sont pas des Français comme les autres, des Français comme eux, des Français « normaux ». Le pouvoir surfe sur ces réflexes primaires de méfiance et de peur de l’autre, pour tenter de faire reconnaître officiellement qu’il y a des Français moins français que d’autres. Or, ça c’est déjà la situation peut-être pas officielle mais de la vie réelle dans un pays où les inégalités sont criantes.

Et d’y aller de sondages qui montrent une majorité de Français favorable à la mesure.

Or, comme l’a dit Vincent Tiberj à Mediapart : « les données d’opinion sont valables à un instant T. Elles mesurent un état des forces politiques à un moment donné. Mais il y a une dynamique. L’opinion mesurée à un moment ne va pas systématiquement rester la même ». Et effectivement, la proportion de favorables a déjà baissé dans les sondages. Mais de toute façon, ces sondages ne disent pas le fond de la pensée des gens parce que nous sommes dans une société dépolitisée, uniquement convoquée à la pratique démocratique dans le registre électoral et sur la seule initiative du pouvoir d’État et livrée le reste du temps à l’intoxication publicitaire ou, plus prosaïquement, à l’angoisse de la précarité.

4. S’insurger en paroles et en actes

L’UJFP se mobilise non seulement contre l’état d’urgence et contre la déchéance de nationalité mais contre tout ce qui fait le lit de ces mesures, à savoir le rejet de l’autre et, dans la conjoncture actuelle, l’islamophobie en particulier.

Quelques exemples récents :

Des communiqués sont régulièrement publiés qui paraissent sur notre site, où vous pourrez lire notamment la déclaration que nous avons faite, avec l’UPJB, une organisation belge sœur, intitulée « des Juifs contre l’islamophobie »

Le 22 décembre, une lettre a été écrite à Valérie Pécresse, nouvelle présidente de la région Ile de France, en réponse à sa lettre aux Juifs d’Ile de France :
Vous vous engagez ensuite à combattre l’antisémitisme, ce que nous faisons également, ainsi que toutes les formes de racisme, qu’il vise les Juifs, les Musulmans, les Noirs, les Arabes, les Rroms, les Asiatiques ou d’autres. Nous estimons que tous les racismes doivent être combattus avec la même énergie et de manière unie, plutôt qu’en établissant des hiérarchies parmi les racismes et en créant ou en entretenant des divisions parmi les différents groupes de la population. Le décret Crémieux, que vous évoquez, a fait assez de dégâts en Algérie, créant un fossé irréconciliable entre Algériens juifs et musulmans, pour que nous n’appliquions pas, aujourd’hui, la même logique en France, singularisant les Juifs face aux Musulmans.

Et les militants de l’UJFP écrivent des textes qui manifestent nos combats contre le racisme sous toutes ses formes, contre l’oppression, l’injustice et le déni des droits.

Par exemple Rudolf Bkouche : « L’antiracisme, qui exprime en principe la reconnaissance de l’égalité entre les hommes, s’est transformé en une question de sympathie envers les peuples persécutés ou opprimés. Il ne s’agit pas de refuser les sympathies envers les peuples persécutés ou opprimés, mais il est nécessaire, pour une réflexion politique consistante, de définir les choix politiques indépendamment des sympathies que chacun peut éprouver envers un groupe humain, sympathie qui conduit souvent à opposer à la phobie que constitue le racisme envers un groupe humain une philie qui est tout aussi pernicieuse que la phobie et qui en fin de compte n’est qu’une forme de racisme inversé, un racisme en miroir pourrait-on dire ».

Ces textes visent à démystifier les manœuvres démagogiques, et à inciter à réfléchir, à développer une pensée autonome, à ne pas se laisser trop influencer par les média, les sondages et autres manœuvres simplificatrices et mensongères.

Le dernier avatar de l’état d’urgence et de la déchéance de nationalité en fait partie. Il utilise la peur bien compréhensible après les attentats pour creuser des clivages racialistes dans la société de France. Donc cette démarche indigne du gouvernement nous incite non seulement à la dénoncer mais à agir beaucoup plus en profondeur sur le racisme et la xénophobie. Il ne faut pas manquer une occasion de réagir contre les contrôles au faciès, contre les insultes racistes. Ce sont tous ces faits du quotidien qui préparent les esprits à des mesures plus violentes, quand on s’habitue, quand on pense que c’est normal, ou du moins inévitable.

Mais il est nécessaire aussi de débusquer le fond raciste de certains discours ou pratiques. Pour nous, à l’UJFP, c’est par exemple ne pas accepter des positions antisémites dans le mouvement de soutien à la Palestine où nous militons et expliquer que l’antisionisme ne vise pas les Juifs en tant que tels mais l’État usurpateur d’Israël. Plus largement, nous nous inscrivons dans le travail de critique de fond de l’empreinte coloniale sur les mentalités en France et sur les lois racistes qui dévoient la tolérance qui devrait être de mise dans un État laïc.

Sonia Fayman, pour l’UJFP