Le samedi 15 février dernier, l’ASTI (Association de Solidarité avec les Travailleurs Immigrés) organisait une journée de lutte contre le racisme et pour l’égalité des droits à Petit-Quevilly.
Voici l’intervention de Pierre Stambul.
Juif et antisioniste, lutter contre l’antisémitisme ou la judéophobie et combattre les représentations sionistes, droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, soutien au peuple palestinien
L’antisémitisme est-il un racisme à part ? Il l’a été, c’est sûr parce qu’il a abouti à l’extermination planifiée de 6 millions de Juifs.
Aujourd’hui tout semble brouillé : un Etat raciste qui pratique l’apartheid invoque ce génocide nazi pour justifier l’occupation, la colonisation et les crimes de guerre.
L’antijudaïsme chrétien
C’est le christianisme qui est à l’origine des persécutions antijuives. Les deux religions ont été longtemps en concurrence. Quand le christianisme devient religion officielle dans l’Empire Romain puis en Europe, il édicte contre les Juifs toute une série d’interdits, le plus important étant celui de posséder la terre et il confine les Juifs dans des quartiers réservés qui seront les juderias ou les ghettos. Dans le monde chrétien se propagent toute une série de stéréotypes contre les Juifs : le peuple déicide, les crimes rituels, la volonté de dominer le monde. Les Juifs occupent des métiers interdits aux Chrétiens (l’usure notamment) et des postes d’intermédiaires entre les seigneurs et le peuple qui les rendent impopulaires.
S’il y a eu dans l’Europe chrétienne quelques périodes fastes, les Juifs vont subir de très nombreuses expulsions, la plus importante étant celle d’Espagne en 1492 et des massacres (vallée du Rhin au XIe siècle, Espagne au XIV-XVe siècle, Ukraine au XVIIe siècle). En pays musulman, les Juifs ont eu le statut de « dhimmi » qui n’était pas la citoyenneté mais qui les a globalement protégés des persécutions spécifiques.
De l’émancipation à l’antisémitisme racial
L’émancipation des Juifs commence au XVIIIe siècle en Allemagne et en France où les Juifs acquièrent la citoyenneté. Les Juifs sortent du ghetto et deviennent une minorité invisible. L’antijudaïsme chrétien se transforme en antisémitisme racial. Des théoriciens pseudo-scientifiques inventent le mythe d’une « race juive » (alors que les Juifs sont majoritairement descendants de convertis). Quand les grands empires (autrichiens, ottoman, russe) s’effondrent, l’Europe devient la proie d’un nationalisme exacerbé. Les Juifs deviennent l’obstacle au rêve fou de construire des Etats ethniquement purs. L’antisémitisme devient le dénominateur commun de toutes les élites européennes. Les Juifs vivent des situations contrastées. En Europe occidentale et centrale, ils ont souvent des situations sociales aisées, mais sont soumis à toute une série d’interdits. Plus de 60% des Juifs du monde entier vivent dans un seul pays, l’empire russe. En grande majorité dans ce pays, ce sont des prolétaires ou des sous-prolétaires. Cette situation conduira à une désaffection assez massive vis-à-vis de la religion et à un ralliement aux idées révolutionnaires.
L’antisémitisme européen va donc frapper essentiellement ceux qu’Hannah Arendt appelle des parias.
Le sionisme, théorie de la séparation
Le sionisme a été très longtemps un mouvement très minoritaire chez les Juifs. Dès son apparition, il suscite méfiance et hostilité aussi bien chez les Juifs religieux que chez les Juifs révolutionnaires. Parmi ceux-ci, le Bund prône l’émancipation des Juifs au moyen de « l’autonomie culturelle » et dans le cadre de la révolution mondiale sans territoire spécifique.
Le sionisme n’a jamais combattu l’antisémitisme, il s’en est toujours nourri. Pour lui, Juifs et Non-juifs ne peuvent pas vivre ensemble, que ce soit dans le pays d’origine ou dans le futur « Etat juif » qu’ils veulent créer de toutes pièces.
Le sionisme va s’adresser avec succès aux dirigeants européens en leur proposant de débarrasser l’Europe de ses Juifs pour en faire des colonisateurs européens au Proche-Orient.
Dès le départ, le sionisme est un colonialisme qui vise à expulser le peuple autochtone. C’est un nationalisme qui a inventé la langue, le peuple et la terre. C’est une idéologie qui a inventé une histoire fantastique (l’exil et le retour des Juifs) avec des mensonges fondateurs comme « la terre sans peuple pour un peuple sans terre ». C’est une idéologie négationniste vis-à-vis des Palestiniens dont les droits, la dignité et même l’existence en tant que peuple sont niés.
Des années avant le génocide nazi, le sionisme a créé toutes les institutions qui ont expulsé les Palestiniens de leur propre pays.
Il faut donc bien comprendre que le sionisme a créé une rupture fondamentale entre la figure du juif paria « inassimilable » ou la pensée universelle de personnalités comme Einstein, Freud ou Arendt, et la société militariste et raciste qui s’est construite sur les décombres du peuple palestinien.
Pour bien comprendre cette rupture, il n’y a qu’à examiner qui était Balfour. Premier Ministre britannique en 1905, il s’était opposé, à coup de slogans antisémites, à l’immigration des Juifs en Angleterre. Le même Balfour, dans une lettre envoyée à Rothschild, « offre » la Palestine comme futur Etat juif.
Le génocide n’appartient pas aux sionistes
Tous les pays, toutes les idéologies ont failli pendant la montée du nazisme. Les sionistes, pendant toute cette période, ont toujours privilégié la construction de leur futur Etat sur toute autre considération. En 1933, Ben Gourion a signé avec les autorités nazies un « accord de transfert » des Juifs allemands. En 1942, alors qu’il y a des millions de morts juifs en Europe, la conférence sioniste de Biltmore n’a qu’une seule préoccupation : créer un Etat juif sur l’ensemble de la Palestine. Les terroristes du groupe Stern tueront des Britanniques jusqu’en 1944 (Lord Moyne). Il y a eu une résistance juive au nazisme, elle a été surtout communiste ou bundiste :
La prétention des Israéliens d’aujourd’hui de parler au nom des victimes du génocide est tout à fait obscène.
En 1945, le yiddishland, cette grande région où des millions de Juifs avaient vécu entre Mer Baltique et Mer Noire a disparu. On n’a pas donné le choix aux survivants. En les envoyant en Israël, l’Europe s’est débarrassée du crime antisémite sur le dos du peuple palestinien.
La destruction de la Palestine
Il faut dire les mots pour caractériser la situation actuelle au Proche-Orient : ce sont « occupation », « colonisation », « apartheid », « nettoyage ethnique » et fragmentation de la Palestine. Il y a en gros 6 millions de Juifs israéliens et 6 millions de Palestiniens entre Méditerranée et Jourdain. Les premiers ont tout : la richesse, la terre. Les Palestiniens sont privés des droits les plus élémentaires. La Cisjordanie est elle-même divisée en trois zones dont l’une est quasi-annexée. Les grandes villes palestiniennes sont encerclées par le Mur et les colonies qui pillent l’eau. Ce qui reste de la Palestine ressemble à des Bantoustans non-viables.
À Jérusalem-Est, les quartiers palestiniens sont attaqués : colonies sauvages et destructions de maisons avec la volonté de les rendre minoritaires dans ce qui devrait être leur capitale. Plus de 600000 colons sont installés au-delà de la ligne verte, la frontière internationalement reconnue.
A Gaza, 1800000 Palestiniens vivent en cage avec une pénurie planifiée de produits alimentaires, d’électricité, d’eau, de ciment … L’armée israélienne tue en toute impunité.
En Israël, 23 % de la population est palestinienne. Elle est discriminée pour le logement, le travail, la possession de la terre. La moitié de ces Palestiniens d’Israël vit sous le seuil de pauvreté. Les Bédouins du Néguev vivent dans des bidonvilles en plein désert et leurs villages sont régulièrement détruits.
Depuis 1967, 700000 Palestiniens ont connu la prison et ses exactions : isolement, tortures, absence de visites.
L’appel palestinien
En 2005, 172 associations palestiniennes de la société civile palestinienne, constatant que c’est l’impunité et la complicité de la communauté internationale qui permettent le rouleau compresseur colonial ont lancé un appel mondial au BDS (boycott, désinvestissement, sanctions) contre l’Etat d’Israël sur 3 grandes revendications :
– Fin de l’occupation, de la colonisation, destruction du Mur, libération des prisonniers
– Égalité des droits
– Droit au retour des réfugiés palestiniens.
L’Union Juive Française pour la Paix soutient totalement cet appel. Pas parce que nous serions des « Juifs traîtres » ou des « Juifs honteux ». Cette guerre n’est ni raciale, ni communautaire, ni religieuse. Elle porte sur des questions essentielles : le refus du colonialisme et l’égalité des droits. La politique israélienne est criminelle contre les Palestiniens. Loin de combattre l’antisémitisme, cette politique met sciemment en danger les Juifs en les sommant d’être complices ou traîtres.
Contre tous les racismes, l’égalité des droits
Les Juifs ne sont plus les parias de l’Europe. Le racisme frappe aujourd’hui prioritairement les Arabes, les Noirs, les Roms, les Musulmans qui sont les « dominés » de nos sociétés.
Bien sûr l’antisémitisme n’a pas disparu. On rencontre même des antisémites qui déguisent leur racisme en se disant antisionistes. Je pense bien sûr à Dieudonné et Soral dont les accointances avec l’extrême droite sont devenues une évidence.
Le soutien inconditionnel des institutions autoproclamées représentantes des Juifs français à la politique israélienne ne peut qu’alimenter un nouvel antisémitisme. La meilleure réponse, c’est ce que nous faisons à l’UJFP : manifester avec nos amis de l’ATMF (Association des Travailleurs Maghrébins de France) avec une banderole commune : « Juifs et Arabes Unis pour la Justice en Palestine ».
Il n’y a pas d’alternative au « vivre ensemble » dans l’égalité des droits que ce soit ici ou en Israël/Palestine.
Tous les racismes sont insupportables. L’instrumentalisation de l’antisémitisme pour justifier le colonialisme israélien l’est tout autant.
Pierre Stambul, coprésident de l’UJFP