Reçu de Gaza et traduit par Jonathan Daitch ce matin du 24 novembre 2023
Un texte de Hossam Al Madhoun
Cela fait presque 10 jours que je n’ai rien écrit. Il y a beaucoup de choses dont je voudrais parler, mais les mots sont handicapés. Les mots ne reflètent pas ce que je vois, ce que je ressens, ce que je veux dire.
Hier, j’étais à la clinique et j’attendais mes collègues, les conseillers, pour leur donner leurs tâches et leur assigner les abris et les écoles afin de fournir un soutien psychologique aux enfants. L’un d’entre eux n’était pas là. J’ai demandé de ses nouvelles et quelqu’un m’a dit qu’il s’était passé quelque chose ; deux personnes que notre collègue disparu accueillait ont été tuées dans un attentat à la bombe. Je connais l’oncle de notre collègue disparu, c’est mon ami, et je sais qu’il s’est réfugié chez eux.
J’ai paniqué ! J’ai terminé avec mes collègues et je me suis précipité pour voir mon ami et savoir ce qui s’était passé. Quand je suis arrivé, mon ami et mon collègue étaient là, assis en plein air devant la maison. Leurs visages parlaient, leurs visages disaient tout. Leurs visages me disaient qu’il s’était passé quelque chose de terrible. Mon ami m’a dit que le mari de sa fille et son petit-fils avaient été tués à cet endroit. Ils s’étaient réfugiés ici ensemble, mais le mari de sa fille est allé hier voir sa mère dans une autre maison avec une grande famille. Il a emmené avec lui son fils aîné, Waseem, âgé de 6 ans. La maison, un immeuble de quatre étages abritant 37 personnes, a été bombardée. Ils sont morts, ils sont tous morts. Hommes et femmes, garçons, filles, bébés sont morts. Tous.
Pendant qu’il parlait, sa fille, que je connais depuis qu’elle a sept ans, accrochait les vêtements de son enfant mort sur le fil, comme si rien ne s’était passé. Elle avait lavé les vêtements de son fils mort et les avait mis à sécher au soleil pour qu’il les mette quand il reviendrait. Je l’ai regardée et j’ai cherché les mots qui pourraient expliquer ce qu’elle ressent, ce qu’elle pense. Je n’ai pas trouvé les mots. Quels mots peuvent décrire cela ? Bon sang ! Où sont les mots ? Pourquoi les mots ne nous aident-ils pas ? Les mots sont faibles. Les mots sont handicapés. Les mots sont infirmes. Aucun mot ne peut dire ce qu’elle ressent ou ce qu’elle pense. Elle a perdu son mari et son fils aîné. Le garçon a été retrouvé et enterré, et son mari est toujours sous les décombres avec 14 autres personnes sur 37.
Je déteste les mots ! Ils me font me sentir impuissant, ils me font me sentir stupide à l’idée même de parler avec des mots de cette situation.
Et, pendant que nous parlons, ils mentionnent Mahmoud, Mahmoud, mon ami. C’est l’oncle du mari. Lui aussi s’est réfugié dans la grande maison familiale avec sa femme et ses enfants, son frère et sa femme et ses enfants, et leurs parents. Ils étaient tous là. Ils sont tous morts.
Non, s’il vous plaît ! Non, pas Mahmoud ! Non, il ne peut pas être mort ! Je ne peux pas accepter cela. Mahmoud n’est pas mort, Mahmoud est vivant ! S’il vous plaît, dites-moi qu’il n’est pas mort… s’il vous plaît !
Je l’ai rencontré au marché de Nusairat il y a trois jours. Nous nous sommes serrés dans les bras, nous avons parlé, nous avons ri. On ne peut pas rencontrer Mahmoud sans rire. Il est si beau, si intelligent, bien habillé, toujours le visage et le crâne rasés, avec un grand sourire qui ne le quitte pas une seule minute. Son beau sourire remplit l’air de joie et de bonheur. C’est lui qui fait en sorte que tout le monde se sente bien et détendu. Le sourire de Mahmoud ouvre toutes les fenêtres de l’espoir et du réconfort. Son cœur est si grand, plus grand que le monde lui-même. Il peut prendre le monde entier dans son cœur. C’est lui qui a toujours été capable d’aider, de soutenir, de résoudre les problèmes, d’être avec les gens. Des gens qu’il connaissait ou des gens qu’il n’avait jamais rencontrés. Il était disponible pour tout le monde, comme si Dieu l’avait créé pour les autres. Il ne peut pas être mort ! Mon Dieu, Mahmoud, mon ami. Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?
Après avoir écrit cela sur Mahmoud, je me sens si mal, si mal. Tous ces mots ne sont rien. Ils ne disent rien sur mon ami. Ils le rendent petit, alors qu’il est bien plus que cela.
Les mots sont une malédiction ! Les mots sont faibles. Les mots sont impuissants. Tous les mots ne peuvent pas dire ce que je ressens maintenant. Tous les mots ne peuvent pas dire ce que je veux dire à propos de Mahmoud.
Hossam Al Madhoun
Comédien, Conseiller pédagogique chargé actuellement à Gaza d’une équipe de Conseillers qui donnent un soutien aux enfants dans des abris et écoles non bombardés.
Vous pouvez le retrouver dans « Voix du théâtre en Palestine », il y avait délivré un beau témoignage sur son métier de comédien et sur la paix.
Hossam a une longue implication ainsi que sa famille dans le domaine des droits de l’homme. Il est responsable de la protection de l’enfance au centre de développement MA’AN dans la ville de Gaza. Le 1er novembre, en pleine guerre à Gaza, il a envoyé le texte, ci-dessous, qui reprend ses engagements.
« Pendant plus de 30 ans, j’ai travaillé dans le domaine humanitaire avec Save the Children International, Action contre la faim et de nombreuses autres organisations. Ma femme a également travaillé au CICR, à Humanity and Inclusion et dans de nombreuses autres organisations humanitaires internationales. Nous avons étudié le droit international des relations humaines, nous y croyons, nous avons appris que ces lois devraient assurer la justice et la prévention de tout préjudice pour les civils et les personnes innocentes, en particulier en temps de guerre. Notre fille suit nos traces, elle étudie le droit à l’université et elle est actuellement à l’étranger pour obtenir un master en droits de l’homme et démocratie. »
Hossam Al Madhoun