Photo : Des volontaires de Nation Station, une cuisine associative implantée dans une ancienne station-service, cuisinent des repas pour des déplacés du Liban-Sud, à Beyrouth, le 24 septembre.
Par Philippe Pernot
L’armée israélienne intensifie ses bombardements contre le Hezbollah, au Liban, tuant des centaines de civils. À Beyrouth, une cantine autogérée se mobilise pour nourrir les personnes déplacées, réfugiées dans la capitale.
Beyrouth, correspondance
Des volontaires de toutes nationalités hachent des oignons, coupent des carottes et préparent une marmite de riz pendant qu’un drone de surveillance israélien bourdonne dans le ciel de Beyrouth. Une activité fébrile règne dans la station-service reconvertie qui accueille Nation Station, une cuisine associative qui distribue habituellement des repas aux personnes les plus démunies de Geitaoui, un quartier à l’est de la ville.
Depuis une semaine, l’association est mobilisée pour faire face à l’escalade de la guerre entre le Liban et Israël : des dizaines de volontaires, jeunes pour la plupart, s’activent pour nourrir des déplacés venant du Sud-Liban et de la banlieue sud de Beyrouth, réfugiés dans la capitale libanaise.
« On fait des journées de presque douze heures en cuisine pour préparer 400 repas trois fois par jour », explique Sélène, une jeune volontaire franco-libanaise. « Être dans l’action et s’engager, ça fait passer un peu la tension et l’anxiété constante qu’on ressent à cause de la guerre », dit-elle à Reporterre. Depuis deux semaines, Israël enchaîne les attaques sur le Liban : explosions des bipeurs et walkies-talkies, bombardements massifs sur le Sud-Liban et la vallée de la Bekaa, frappes aériennes contre les dirigeants du Hezbollah dans la banlieue sud de Beyrouth qui ont tué le dirigeant du mouvement islamiste, Hassan Nasrallah, le 27 septembre… Et maintenant des opérations terrestres à la frontière, comme l’a affirmé l’armée israélienne.
400 petits-déjeuners
Plus de 1 500 personnes ont été tuées par Israël au Liban, 7 000 blessées et un million déplacées, dont une majorité de civils, dans cette « nouvelle phase » de sa guerre contre le mouvement politique et armé chiite, le Hezbollah. Des dizaines de milliers de personnes ont trouvé refuge dans des écoles à Beyrouth, mais beaucoup dorment aussi dans les rues et les places publiques de la capitale. Malgré le chaos qui règne, des associations tentent d’assurer un minimum de solidarité avec les victimes de la guerre. « Nous avons été créés en 2020 après l’explosion du port de Beyrouth : être réactif en temps de crises est dans notre ADN », explique Jenitta Hebbo, 25 ans, gérante des opérations de l’association Nation Station.
Le lendemain, à 9 h 30, après avoir passé des heures à préparer des sandwichs pour le petit-déjeuner, Jenitta et Sélène se rendent en voiture à Dekwaneh, un quartier voisin de Beyrouth. Là-bas, des centaines de personnes déplacées ont trouvé refuge dans une école d’hôtellerie. Ce sont les volontaires de la branche libanaise d’Action contre la faim (ACF) Espagne qui y distribuent les 400 petits-déjeuners préparés par Nation Station.
« Nous nourrissons notre propre communauté, nos familles, alors nous donnons 1 000 % de notre énergie pour aider notre pays », explique Abdallah Sanan, gérant de la distribution des repas, à Reporterre d’une voix fatiguée, mais déterminée. Lui-même est originaire de Nabatiyeh, une ville moyenne du sud du Liban, qu’il a fui alors que les missiles israéliens pleuvaient sur la région, faisant des centaines de morts civils, touchant des mosquées et des hôpitaux.
Des familles déplacées du Liban-Sud reçoivent un hébergement d’urgence et de l’aide à l’institut technique de Bir Hassan.
Seuls ses canaris ont pu être sauvés
Autour de lui, une certaine tension règne et la crainte des espions israéliens est grande : les journalistes ne sont pas autorisés à prendre des photos des déplacés ni à leur parler, sauf pour quelques exceptions. Mahmoud, 56 ans, est l’un de ceux qui ont accepté de témoigner de leur exode forcé. Sa maison, dans le village frontalier d’Aita al-Jabal, a été bombardée peu après son départ, le 23 septembre dernier. « La maison, les champs, tout a disparu », soupire l’ouvrier agricole, qui gagnait son salaire en cultivant des champs de tabac autour de sa maison. Il a seulement réussi à sauver ses canaris, qui gazouillent dans leurs cages posées dans la cour de l’école. « Je les ai amenés parce que ce serait mal de les abandonner — ils auraient été tués dans le bombardement », soupire-t-il.
L’armée israélienne affirme viser des armes cachées au sein de la population civile, mais Mahmoud affirme qu’« Israël ne fait pas de différence entre les civils du Sud-Liban et les combattants : pour eux, nous sommes tous coupables ». Alors que l’État hébreu a annoncé avoir effectué des opérations terrestres contre les villages frontaliers dans la nuit, la perspective pour les agriculteurs et les déplacés du Sud-Liban de retrouver un jour leurs champs et leurs collines s’amenuise.