C’est très simple : l’objectif vise à « nettoyer » la Bande de Gaza – depuis l’axe de Netzarim jusqu’à la route, de toute la population palestinienne soit 300 000 personnes selon l’estimation du plan, alors que la communication mondiale l’estime à près de 400 000.
Première phase du plan : Tsahal (l’armée israélienne) fait savoir à tous les habitants de l’enclave concernée qu’ils disposent d’une semaine pour se déplacer vers le sud en empruntant les couloirs « humanitaires ».
Deuxième phase : au terme de la semaine, Tsahal décrétera cette enclave comme étant une zone militaire fermée. Toute personne s’y trouvant encore sera considérée comme un terroriste du Hamas, qui devra choisir entre la reddition ou la mort. L’enclave est soumise à un siège total, afin de faire peser sur les résidents une pression insupportable de faim et de maladie.
Le plan souligne que le fait de donner à la population un avertissement préventif d’évacuation confère une situation conforme au droit humanitaire international. C’est le premier mensonge, que la communication dépendant de l’appareil sécuritaire, n’a pas cherché à infirmer. En effet, d’une part, le fait de donner un signal d’alarme initial n’annule pas le statut protecteur de citoyens non impliqués, et ne saurait constituer pour les forces armées un permis de les prendre pour cible, selon la Convention de Genève, tandis que l’état de siège militaire ne supprime pas, d’autre part, l’obligation de fournir une aide humanitaire aux citoyens concernés.
Le second mensonge du plan a trait à l’identité de son initiateur : Giora Einland. Par-delà les états d’âme liés aux justifications juridiques, que l’on observe, entre affamer les forces combattantes et le souci des citoyens non impliqués, ce même général assoiffé de sang, qui, dès le début de la guerre, exigeait sur toutes les estrades le châtiment collectif de toute la population de Gaza, de la traiter comme dans l’Allemagne nazie, et, si possible, de susciter également des épidémies. Il a ressassé cela pendant dix mois jusqu’à ce qu’il comprenne, en août 2024, que s’offrait à lui l’occasion d’engager un projet de tuerie au Nord de Gaza. Suivant l’avis de plusieurs conseillers occultes, le projet a été enrobé dans une couverture de mensonges à tonalité de « droit international » à destination des milieux politiques et de la communication. Il s’est agi, en fait, d’un génocide.
La communication et les politiciens se sont appliqués, comme toujours, à faire diversion. « Une partie du plan est déjà réalisée », ont affirmé anonymement des membres de la sécurité.
Le ministre de la Défense, Yoav Gallant s’est dépêché de démentir : nous n’affamons pas le Nord de Gaza ; ce plan n’est pas mis en application. Des soldats sur place ont toutefois révélé le bluff : « les commandants disent ouvertement que le plan est mis en œuvre par Tsahal…. l’objectif consiste à donner une date-limite aux résidents au nord de Netzarim pour se transporter vers le Sud. À partir de cette date toute personne se trouvant au nord sera considérée comme ennemie et pourra être tuée.
La réalité est encore plus effrayante. Comme on le verra, les événements qui se produisent au nord de Gaza depuis le début octobre ne correspondent pas au tableau tracé par les généraux, mais s’avèrent être une version plus sombre et plus brutale. Pour ainsi dire, le plan et sa mise en pratique intensive permettent à tout un chacun de ne pas se mettre à découvert, et de ne pas se référer à ce qui est réalisé, soi-disant dans le « cadre » du plan, mais, qui, en fait, en déborde largement, à deux points de vue. L’aspect immédiat : il a été primordial de piétiner la retenue humanitaire minimale indiquée dans le plan (un délai d’une semaine pour faire évacuer la population). L’autre aspect, prévu dans un second temps, est l’objectif réel de faire évacuer le nord de Gaza, sous couvert d’impératif sécuritaire, alors qu’en réalité, il s’agit, depuis le début, de préparer un transfert aux fins de colonisation.
La détresse au nord de Gaza
Le 17 septembre à 17 heures, Mosab Abou Toha lance un appel au secours à ses 30 000 « followers » sur Twitter : « Les chars et les soldats enserrent les maisons de mes proches. Ils tirent sur le rez-de-chaussée où vivent plus de 35 personnes. De grâce, à l’aide ! ».
Un second appel le lendemain : « l’armée les a bombardés; il y a des blessés sous les décombres ; ils parlent par téléphone avec les équipes de sauveteurs : « s’il vous plaît, aidez-nous ! », mais personne ne leur vient en aide.
Le 18 octobre à 17 heures, soit 24 heures après le premier appel, la triste nouvelle est tombée : l’armée les a tous tués : enfants, femmes, vieillards ; personne ne leur est venu en aide. Cette impuissance a fait fortement écho en moi, comme celle des personnes encerclées le 7 octobre, qui, en vain ont appelé une aide, qui n’est pas venue. Il n’y a pas de plus grande terreur que celle de savoir que ton sort est scellé, et qu’il n’y aura pas de délivrance, que ce n’est plus qu’une question de minutes ou d’heures avant de perdre la vie, fusillé ou étouffé.
Mosab Abou Toha a senti un déchirement encore plus fort du fait de l’éloignement. C’est un poète gazaoui1, échappé de l’enfer de Gaza en novembre 2023, grâce à ses relations occidentales. Comme les journalistes palestiniens, qui rendent compte de ce qui se passe à Gaza, il se lève chaque matin pour lutter contre l’indifférence du monde, contre la conscience émoussée, et la somnolence des téléspectateurs occidentaux qui regardent les nouvelles. « Le monde a renoncé à nous », a-t-il écrit par la suite. Y a-t-il quelqu’un pour entendre la plainte ?
Que se passe-t-il ? Prenez, par exemple, cet événement : au moins 32 membres de la famille d’Abou Toha ont péri à Jabalya lors d’un bombardement par l’aviation israélienne. Cela n’a pas retenu l’attention de la communication israélienne. L’événement n’a même pas été mentionné sous la forme d’« élimination de terroristes ». Il ne s’est rien passé. Comme on le verra, il y a eu beaucoup d’événements semblables à celui-là.
Il faut parler de ce qui se passe au nord de Gaza, en parler de toute urgence, car un tel malheur se reproduit à un rythme très rapide, et le concours de circonstances actuel montre que l’extermination de milliers de personnes enfermées dans cette enclave n’est pas exclue. Qualifier cela de « plan des généraux » est une duperie. Il y a, avant tout, une déficience d’information fiable, mais le peu d’information disponible est placé sous silence. Très peu de ce qu’on va lire ici a filtré dans les informations en Israël.
Que se passe-t-il au nord de Gaza ?
Les données ci-dessous ont été collectées à diverses sources : communication occidentale, organisations humanitaires, Agences de l’ONU, et quelques journalistes encore actifs au nord de Gaza. Rien de ce qui figure ici n’a été transmis par le Hamas, ni par ses porte-paroles ou des organismes qui lui seraient rattachés. S’agissant du nombre de victimes transmis par le ministère de la santé sous contrôle du Hamas, ii a été validé, à plusieurs reprises, par des instances neutres, des chercheurs et des communicants sérieux.
En septembre, le ministère de la santé palestinien a publié une liste de 34 000 personnes tuées, identifiées selon leur âge, leur genre, et leur numéro d’identité. Plus de 8 000 morts n’ont pu encore être identifiés, et beaucoup d’autres restent enfouis sous les décombres. Ceux qui nient ces chiffres entendent détourner notre attention quant aux horreurs, qui ne dépendent pas exclusivement de l’exactitude absolue du chiffre. Je sais aussi que la majorité des Israéliens préfèrent leurs bulletins d’information, bien enveloppés, avec l’imprimatur local officiel.
En Israël, très peu d’oreilles et d’yeux sont disponibles pour se préoccuper et regarder ce que Tsahal effectue réellement au nord de Gaza (« ce sont des mensonges, et si c’est la vérité, elle n’a aucun intérêt »).
L’offensive au nord de Gaza a débuté le 5 octobre avec l’aviation, l’artillerie, puis, l’invasion terrestre par la troupe 162. Les habitants de Beit-Hanoun, Beit Layah et Jabalya se sont vu ordonner de partir vers le sud, en suivant deux axes « humanitaires ». Selon des estimations imprécises (car à Gaza le nomadisme est fréquent), de 250 000 à 400 000 personnes se trouvent actuellement au nord de Gaza. Israël a indiqué qu’il assumerait la responsabilité de l’acquisition de l’assistance humanitaire, de son acheminement et de sa distribution dans la Bande de Gaza – autrement dit : de l’administration civile.
Le mensonge à propos de l’évacuation humanitaire
Contrairement à la présentation donnée par Tsahal, selon laquelle les habitants du nord de Gaza peuvent circuler librement vers le sud et quitter la zone dangereuse, les témoins sur place font état d’un tableau effrayant : quiconque sort de son domicile est la cible de tireurs ou de drones israéliens. Ceci a été confirmé par l’équipe de « Médecins sans Frontières » à Jabalya. Des équipes de secours et des porteurs de drapeaux blancs, qui tentaient de venir en aide ont aussi été victimes de tireurs israéliens. Les tireurs sont postés sur des toits, et visent tous ceux qui essaient de sortir. Au même moment, des soldats et des chars ont pénétré dans le camp ; ils ont détruit des maisons, et disloqué des routes et des champs. Une vidéo effrayante diffusée le 19 octobre, montre un enfant blessé par un tir, allongé sur le sol et appelant à l’aide. Peu à peu, des jeunes, dont aucun ne porte une arme, s’approchent de lui pour s’assurer de son état. Environ une douzaine de personnes sont ainsi regroupées, lorsqu’elles sont mortellement fauchées par un missile.
Telle est la réalité dans laquelle les résidents de Gaza, épuisés et affamés, sont sommés de se déplacer vers la « zone humanitaire ».
En fait, la politique de Tsahal a été beaucoup plus brutale que ce qui peut en être présenté publiquement ; c’est pourquoi le système de propagande a recouru à une masse d’arguments afin d’expliquer pourquoi les habitants du nord de Gaza ne prennent pas part aux évacuations. De ridicules propos contradictoires ont ainsi été formulés, notamment une information selon laquelle le Hamas empêcherait les habitants de se déplacer, en les frappant à coups de bâton. Comment continuer à affirmer que « ceux qui choisissent de ne pas être évacués sont des terroristes dont le sort est de mourir » ? Si l’on écoute les habitants (ce qui exige l’effort de passer outre à la communication israélienne) on entend à chaque fois un même appel désespéré : nous ne pouvons pas partir, l’armée israélienne nous tire dessus. Le 20 octobre Tsahal a publié, sous un titre rédigé comme une prévision météorologique soporifique, l’image d’un convoi de personnes déracinées : « la mobilité des résidents palestiniens de la région de Jabalya située au nord de Gaza se poursuit. Jusqu’à présent, plus de 5 000 Palestiniens ont quitté cette zone. » « Se poursuit », « Ont quitté » : un vocabulaire passif et anesthésiant. Si l’on regarde attentivement, on constate que toutes les têtes portent un voile ou un foulard : c’est un convoi de femmes et d’enfants. Où sont les hommes ? Ils ont été emmenés, on ne sait où. On entendra peut-être parler de leur sort dans les centres de détention israéliens, dans quelques mois. Les femmes et les enfants n’ont pas été « évacués », mais purement et simplement expulsés.
Cela a précédemment été dit : le plan des généraux a fixé à la population civile un délai d’une semaine avant que la région soit décrétée : domaine militaire fermé. En fait, il n’y eut pas une semaine de délai. Tsahal a d’emblée considéré le nord de Gaza comme un espace militaire où toute circulation entraînera une ouverture du feu mortelle. À première vue, le plan des généraux sert de mirage pour détourner le regard et la critique face à une réalité plus brutale que ce qui en est dit.
L’encerclement du nord de Gaza s’est accompagné du blocage de l’entrée de nourriture et de médicaments. Il s’est avéré être une politique délibérément destinée à affamer.
Selon le programme de ravitaillement de l’ONU, la pénurie d’aliments a commencé le 1er octobre, soit cinq jours avant l’intervention militaire. Cette situation a reçu une autorisation officielle des USA, comme il ressort de la demande américaine à Israël, du 15 octobre, de permettre l’entrée d’une assistance au nord de Gaza pendant 30 jours, sans quoi les envois d’armements à Israël seront interrompus. Ce qui signifie qu’une assistance n’avait pas pu être apportée jusqu’à alors. La période de 30 jours ainsi formulée est apparue grotesque.
Le ministre des Relations extérieures de l’Union Européenne a rappelé qu’en l’espace de 30 jours des milliers de personnes risquaient de mourir de faim. La prise de position américaine a donné l’impression qu’à l’instar de « menaces » antérieures, celle-ci revêtait une forme rituelle destinée à apaiser la conscience des libéraux inquiets. Au mois d’août précédent, lors d’une rencontre interne avec des organisations humanitaires, la représentante de l’administration américaine avait fait savoir que les USA n’interrompraient pas les livraisons d’armes à Israël, comme moyen de pression. S’agissant de la violation du droit humanitaire international, la représentante a émis une réponse tranchante : « ces règles ne s’appliquent pas à Israël. »
Le 10 octobre, Israël a bombardé l’unique entrepôt de farine au nord de Gaza. Ni avant ni après il n’y a eu de communiqué pour dire que des terroristes du Hamas se cachent parmi les morceaux de pain. Le bombardement d’un entrepôt de farine constitue un cas d’école de crime de guerre, et un élément supplémentaire dans le dossier génocide contre Israël.
Le 14 octobre Tsahal a bombardé un centre de distribution de nourriture de l’ONU à Jabalya, tuant dix personnes. Le 19 octobre Israël a tué quatre ingénieurs et techniciens d’Oxfam, venus réparer des conduites d’eau à Kfar Khouza, au sud-est de Gaza, ce qui confirme la politique visant à affamer et assoiffer la population.
Toutes les agences d’assistance alertent, en termes forts, sur la catastrophe en cours, et mettent en garde sur le fait qu’elles se trouvent dans l’impossibilité de remplir leur mission première, du fait des conditions instaurées par Israël dans le nord de Gaza. Un nouveau compte-rendu d’IPC sur la situation alimentaire à Gaza augure de « résultats catastrophiques » dus à une grave sous-alimentation, plus particulièrement dans le nord.
Le 16 octobre, la communication israélienne a informé qu’à la suite de la pression américaine 100 camions transportant une assistance ont été introduits au nord de Gaza. C’est encore un mensonge : les camions sont allés au sud. Le 19 octobre, les Agences de l’ONU ont à nouveau déclaré : « Il n’y a pas de signe qu’Israël s’emploie à augmenter significativement l’aide dans la région ». Remarquons que l’on parle maintenant d’un embargo sur la nourriture depuis près de trois semaines. Ces derniers jours, il semble que des camions aient pu entrer, mais on ne sait pas combien car on ne dispose d’aucune preuve en image (les photos d’une file de camions au barrage d’Erez ne prouvent rien, ils sont là depuis plusieurs semaines).
La communication israélienne déborde de commentaires comme quoi le Hamas « règne encore sur le reliquat d’administrations civiles et sur les clans qui pillent la marchandise ; comme si Israël n’avait rien à voir avec l’anarchie régnante dans Gaza en ruines ; comme si la famine ne débouchait pas inéluctablement sur des pillages. Nous savons, notamment par les livres de Primo Lévi, que des gens sont prêts à tout pour avoir accès à la nourriture. Israël n’a tout simplement pas compris que toute déclaration de propagande porte en elle un retour à l’envoyeur, d’une bonne partie de ses accusations.
Destruction systématique des ruines du système de santé
Les centaines de victimes : tués et blessés durant les deux semaines écoulées sont amenées vers les trois seuls hôpitaux du nord de Gaza, qui sont dans l’impossibilité de procurer des soins à un aussi grand nombre de patients, compte tenu du fait qu’ils ont déjà dû prendre en charge des dizaines de blessés graves, selon le rapport de Médecins sans Frontières.
Dès les premiers jours de son offensive, Tsahal a ordonné sous 24 heures l’évacuation des trois hôpitaux, car toute personne qui s’y trouverait serait faite prisonnière ou tuée. L’hôpital Kamal Adouane et sa proximité ont été bombardés par l’armée dès le début de l’opération. La fourniture d’essence a été bloquée, causant une coupure d’électricité, qui met en danger immédiat les patients en soins intensifs et les et les nouveau-nés en couveuse. Selon le témoignage détaillé du directeur de l’hôpital, la prise en soins sur place des patients en détresse vitale et intransportables est une obligation absolue. C’est pourquoi lui-même et son équipe resteront présents jusqu’au dernier moment
Le 18 octobre, Tsahal a bombardé l’hôpital Indonésien et l’hôpital Al Avouda. Deux patients sont décédés des suites de la coupure d’électricité à l’hôpital Indonésien, qui a cessé de fonctionner le lendemain. Les comptes-rendus font référence à tout au plus 40 patients hospitalisés, ce qui donne une idée de l’écart énorme entre les besoins et les capacités du système de santé au nord de Gaza. De ce fait des blessures légères se terminent plus d’une fois par un décès dans la souffrance, les équipes médicales n’ayant pas les moyens pour assurer les traitements. Israël attaque chaque maison et chaque ruelle dans Gaza – tout est censé grouiller de terroristes et, par conséquent, constituer une cible légitime. Et sous quel prétexte l’entrée à Gaza de six associations d’assistance médicale en lien avec l’OMS a-t-elle été interdite ? La raison très vraisemblable qui a été donnée est qu’il s’agit là d’un acte de rétorsion à l’encontre des organisations de médecins occidentaux présentes à Gaza, qui ont publié des articles et des photos montrant des tirs de soldats sur des enfants. Cet état d’esprit de vengeance contre un envoyé qui transmet des témoignages est tout à fait caractéristique de l’appareil de sécurité israélien. On se souvient de la déclaration ridicule de Gantz, ministre de la Défense, à propos de six associations palestiniennes des Droits de l’Homme, qualifiées « d’organisations terroristes » – une déclaration ne reposant sur aucun fait convaincant, et destinée à servir de prétexte au discrédit fait en Israël aux reportages produits par ces mêmes organisations.
En définitive, il n’y a pas lieu d’être convaincu par la position israélienne. La logique de l’occupation est toujours la même : « punis celui qui révèle tes crimes et non pas celui qui les commet. Les victimes seront toujours palestiniennes. »
Selon l’OMS, durant la première quinzaine d’octobre, Israël n’a autorisé l’accès au nord de Gaza qu’à une seule unité sanitaire sur 54 qui ont demandé à entrer. Comment qualifier une telle politique d’empêchement quasi-total d’assistance médicale à une population placée en situation de faim, de guerre et de menaces ? La commission de l’ONU, qui a remis son rapport le 10 octobre a ainsi résumé cette politique : « Israël a adopté une politique méthodique de destruction du dispositif de santé à Gaza, comme composante d’une vaste agression sur Gaza, tout en commettant des crimes de guerre et un crime contre l’humanité, se traduisant par l’extermination, par le biais d’ attaques incessantes et délibérées contre des équipes et des installations médicales ».
Un massacre par jour
Ou, plus exactement, un massacre par nuit ! L’aviation bombarde durant la nuit. Les victimes dorment et il est plus difficile d’évacuer les blessés ; le chaos est total.
La semaine dernière, l’armée de l’air israélienne a assassiné des familles entières, chez elles, quasiment toutes les nuits : ainsi, le 14 octobre, Tsahal a tué une famille de 11 personnes dans le camp de Jabalya, de même que le médecin venu à leur secours. Le 17 octobre, Tsahal a tué 22 personnes réfugiées dans une école dans le camp de Jabalya. Le 19 octobre, Tsahal a tué, dans trois maisons, 33 personnes dont 21 femmes, toujours dans le camp de Jabalya. Le 20 octobre, Tsahal a tué au moins 87 personnes dans plusieurs immeubles d’habitation à Beit Lahaya.
Ces événements ne sont quasiment pas évoqués dans la communication israélienne, ni dans leur étendue ni dans une approche visant à comprendre la logique d’une telle tuerie de masse. Les médias étrangers peinent également à en rendre compte, et on en comprend bien la raison : Israël n’autorise pas aux journalistes étrangers l’entrée à Gaza. Ceux qui s’y trouvaient ont purement et simplement fini par partir : 123 d’entre-eux ont été tués par Tsahal depuis le 7 octobre, selon les données transmises par le « Comité de Défense des Journalistes ». Chiffre record en 32 ans d’activité du Comité ! Au cours de cette opération au nord de Gaza, un artilleur de Tsahal a tué un caméraman et a blessé un journaliste de la chaine Al Aksa, alors qu’ils effectuaient un reportage sur le blocus de Jabalya, et un drone a tiré sur un cameraman d’Al Jazeera, dont tout le corps s’est trouvé paralysé. Tsahal s’est également employé à réduire les comptes-rendus de la zone d’extermination en bloquant les réseaux d’internet, le 18 octobre. À qui profite cette interruption d’internet ? À celui qui le ferme, ou à celui qui essaie de le réouvrir ? La réponse est claire. Israël, qu’a-t-il à perdre en ouvrant les frontières à la presse mondiale ? La réponse, une fois encore, est claire : Israël perdra son contrôle exclusif sur le narratif. Depuis le début, en effet, le narratif de la communication israélienne a été une logorrhée d’invraisemblances pout tout ce qui provenait de Gaza. Dès lors que les envoyés du « New York Times » , du « Washington Post » et de la « B.B.C » ont été contraints de quitter Gaza, où ne sont restés que des représentants d’Al Jazeera, des chaines arabes, et des journalistes palestiniens locaux, la communication israélienne a pu facilement qualifier leurs reportages de « biaisés » , de « propagande du Hamas », etc. La communication israélienne s’est instaurée en maître des lieux, qui admoneste quiconque ose se différencier d’elle.
Le public israélien, est protégé et tenu à l’écart des horreurs perpétrées en son nom. Au cours de l’année écoulée, nombre d’enquêtes ont été publiées à travers le monde sur les crimes de guerre commis par les forces israéliennes dans la Bande de Gaza. Le flot de victimes les a comme effacées des consciences. Ces événements ont précédé l’actuelle extermination au nord de Gaza ; ils sont ici rappelés pour deux raisons : tout d’abord, en les révélant et en lisant les détails à leur sujet, il n’y a pas lieu d’être surpris par ce qui se passe maintenant à Jabalya et à Beit Lahaya. Ensuite, cela explique une ou deux choses sur la coupure totale de la communication et du public israélien d’avec ce que font nos bons soldats, ce qu’ils ont fait, sont en train de faire, et continueront de faire aussi longtemps qu’on ne les en empêchera pas.
Et après « le plan des généraux »
La justification d’un plan aussi drastique a été d’emblée douteuse. Il a été fait état de « 5 000 terroristes » qui se cachent dans le nord de Gaza, mais un suivi attentif des opérations révèle qu’il n’y a quasiment pas eu d’affrontement avec une troupe du Hamas. Tsahal s’enorgueillit d’avoir liquidé des « centaines de terroristes » – comme d’habitude sans donner de détails, ni de noms, ni de lieux identifiés. Seul un journaliste de Haaretz a osé exprimer un doute : « Des commandants sur le terrain disent que la décision de mener l’opération au nord de Gaza a été prise sans analyse approfondie, et il semble qu’elle était surtout destinée à faire pression sur la population. …La compagnie 162, postée au sud de Gaza, s’est vu intimer de se préparer à un grand raid sur Jabalya, au nord., bien que cela ne soit justifié par aucune information émanant des services de renseignement. De plus, il n’y avait pas unanimité parmi les hauts gradés de l’armée concernant la nécessité de cette opération, dont plusieurs ont pensé qu’elle mettrait en danger la vie des otages. Des sources ont indiqué au journal Haaretz que les soldats entrés à Jabalya ne se sont pas heurtés en face à face à des terroristes.
Quelle était donc la véritable motivation de ce plan ? On peut d’ores et déjà le deviner. Au moment où ces lignes sont écrites, des centaines d’Israéliens ont édifié une « ville des cabanes » (en référence biblique à la « fête de tabernacles »), à côté des kibboutz Réhim et Beeri, avec le slogan : « préparons-nous à la colonisation à Gaza ». 21 ministres et députés du Likoud et du sionisme religieux honorent l’événement de leur présence et un chantre évoque : « la reconstruction de la ville de Gaza en cité hébraïque, technologique, verte et à l’unisson de toutes les parties de la société israélienne ». Il est vrai que des Israéliens se sont, depuis toujours, unis autour de l’expulsion et l’arrachement de Palestiniens de leurs terres.
C’est la suite directe des festivités organisées cette année en janvier dans les « Bâtiments de la Nation » (« les conquérants colonisent la Bande de Gaza ») auxquelles des milliers ont participé, en présence de 27 membres de la coalition. En proportion du soutien public, cela signifie que presqu’un Israélien sur quatre approuve le « nettoyage » de Gaza et sa colonisation par des Juifs. Le mouvement « nahala » (héritage) de Daniela Weiss s’est déjà organisé en vue de ce projet : six noyaux de colonisation, 700 familles attendent leur tour, et seul manque encore le moment convenu. Un moment de détournement de l’attention nationale (vers le nord, la Cisjordanie, l’Iran, etc…), un moment de ferme décision, et le pieu sera planté de l’autre côté de la frontière. Cela s’appellera : « point d’implantation militaire » ou « établissement agricole », modelé vers la droite avec des méandres vers la gauche ; autant de détails connus et ressassés. L’armée ne les laissera pas tomber, ce sont les meilleurs d’entre nous, l’armée est la chair de leur chair, et ce sera donc le retour.
Ceux qui ont une vue perçante le savaient. Dès la première semaine de la guerre : au moment où tous les Israéliens ont digéré la fracture, le sionisme religieux a déplié les cartes et y a planté des aiguilles de colonisation. La blessure de la « séparation » est restée ouverte, c’est une blessure délibérément maintenue ouverte, car on ne l’a jamais cicatrisée.
C’est un traumatisme qui n’a cessé d’être entretenu et nourri année après année, qui a distillé son poison dans le forum communautaire, et dans une rangée complète de politiciens de droite pleins de haine, et assoiffés de vengeance. C’était la nouvelle dérive d’une fondation israélienne.
250 personnes ont subi des bombardements massifs quotidiens. Il n’est pas étonnant d’entendre les habitants du nord de Gaza dire que ces dernières semaines ont été les plus pénibles depuis le début de la guerre. Ces jours-ci, Tsahal a tué près de 70 personnes.
Il est cependant difficile croire qu’en un laps de temps de 45 jours, et même de 100 jours, Israël pourra, de façon systématique, exterminer les 400 000 habitants du nord de Gaza ; cela prendrait plus de dix ans. Si l’on repousse cette hypothèse extrême, menée par des moyens jamais vus jusqu’à présent, la direction dans laquelle s’engage Israël apparaît comme une voie moyenne entre extermination et transfert. Cette impression s’est trouvée renforcée ces jours derniers, quand Tsahal a commencé à publier les photos de convois de personnes déplacées en marche vers le sud. Une fois encore, la réalité et le narratif israélien ont très vite divergé ; aussi est-il important de dire la vérité.
La vérité est que Tsahal a entrepris de déplacer plusieurs abris de réfugiés, en les obligeant sous la menace des fusils de partir vers le sud. Le canal de propagande « Ici » a publié des photos du convoi prises de drones, sous-titrées : « Des Gazaouis quittent Jabalya ». Ils « quittent », tout comme les habitants d’El Majdal et de Mansiya ont « quitté » en 1948. Les habitants ont eux-mêmes témoigné : « Celui qui n’obéit pas aux ordres, on lui tire dessus ». Ainsi, des femmes et des enfants dans un même convoi, des hommes âgés de plus de 16 ans, montrant une pièce d’identité sont soumis à un départ forcé dont témoignent rarement directement les caméras de celui qui expulse. Des années plus tard, on écrira dans les livres d’histoire : ils sont partis de leur propre volonté.
Au même moment où la télévision israélienne diffusait des images de ce « départ » tranquille, un journaliste a fait état d’un nouveau bombardement sur un abri de personnes déplacées, dans ce même camp de Jabalya, qui a fait 10 morts et 30 blessés. Une médecin témoin présente sur les lieux révèle l’horreur : « des tracts ont été largués avertissant les résidents de l’endroit d’avoir à le quitter. Après seulement dix minutes, avant que les gens aient pu sortir, le site a été bombardé. Parallèlement, et aussitôt après le départ des personnes déplacées de l’école, qui leur servait d’abri, Tsahal a incendié ces bâtiments.
Le tableau commence à se clarifier. Le plan des généraux est une opération de duperie. La population, qui a reçu des menaces, n’est pas disposée à subir volontairement des obus et des missiles lancés dans l’air. Même au seuil de la mort, tout être humain préférera une souffrance connue à une terreur inconnue – mais qui , dans Tsahal, est capable d’imaginer la pensée d’un Palestinien comme celle d’un homme ? Les signes n’ont pas attendu une semaine, mais sont apparus immédiatement. L’extermination a été une phase d’épouvante, de terreur, le moyen pour Tsahal de convaincre les habitants du nord de Gaza de s’évacuer « volontairement ». Mais cela n’a pas suffi. L’armée de terre a alors été envoyée vers les abris des déplacés et, à la pointe du fusil, les a obligés à sortir et à marcher vers le sud, après que les homme ont été séparés et emmenés pour être interrogés ou emprisonnés.
Tout indique qu’Israël n’a pas l’intention de laisser revenir les personnes déplacées. De ce point de vue, l’extermination au nord diffère de tout ce qu’on a vu précédemment. Tsahal s’emploie vraiment à incendier, détruire, et raser chaque bâtiment après le départ des Palestiniens. – et même parfois sur eux. Ces jours derniers une publication a fait état de ce qu’aux Etats-Unis et en Europe, on soupçonne Israël de refouler les Palestiniens du nord de Gaza. Combien de temps cela prendra-t-il ? Il est difficile de prédire où se situera précisément le point moyen entre la capacité d’endurance des Gazaouis, la quantité maximale quotidienne de morts que s’autorise Tsahal, et la réaction de la communauté internationale. Un compte-rendu publié ces jours-ci précise que les déplacés ne s’installent pas au sud de l’axe de Netzarim, mais aux abords de la ville de Gaza ; ils craignent que s’ils sortent de l’enclave, ils ne pourront plus y revenir. Si Tsahal les en expulse, cela confirmera que ce ne sont pas des motifs opérationnels qui ont guidé l’entreprise de nettoyage ethnique du nord de Gaza.
Quoi qu’il en soit, à un tel rythme, l’extermination et le transfert peuvent durer encore plusieurs semaines.
Que nous reste-t-il à faire ?
Pas grand-chose, de notre côté ; mais le peu, qui est possible, il faut le faire !
Commençons par ce qui ne vaut pas la peine. Cessons de prendre en compte les appels venus de la galerie, l’incessant bruit de fond de la diversion sioniste interne : « mais la charte du Hamas ! », « mais l’Iran ! », « mais ce sont des barbares ! ». Rien de cela n’est pertinent face à un génocide – ces mots ne sont pas jetés à la va-vite : quatre historiens israéliens spécialistes sont parvenus à cette conclusion. En quoi, précisément, le 7 octobre justifie-t-il d’incendier des écoles et des boulangeries ?
Quel rapport y a- t-il entre la charte du Hamas et le blocage de l’entrée du matériel médical, qui se transforme en décès massifs de blessés ?
Laissons tomber la caricature, qui s’appelle « opposition ». « L’alternative », qu’elle propose, va de la « séparation », qui laisse à Israël une complète liberté d’action sécuritaire dans les territoires, et la résurrection de « l’option jordanienne » (Yaïr Golan), à « l’occupation stratégique » à Gaza et au Liban (Ronen Tzour ). Telle est la plaisanterie appelée : « alternative politique à la droite ». Et encore une fois vient le bavardage incessant sur des accords politiques perfectionnés multi-niveaux et multi latéraux, au service d’un objectif principal : fuir une réalité somnolente. Refus de se confronter à nos actes et à leurs conséquences sur cette réalité ; refus de se voir responsable du malheur ; en effet, si le Hamas y a pris une lourde part, et la nôtre est bien plus lourde, notamment par notre refus de considérer les Palestiniens comme de vrais êtres humains, comme nous-même, , et non pas comme des déchets humains.
Durant les heures passées à recueillir des témoignages de Gaza, un des phénomènes qui m’a le plus impressionné, bien que ses effets ne soient pas toujours aussi marquants que d’autres crimes, est la façon dont les soldats de Tsahal déplacent, à la façon d’un troupeau, les Palestiniens d’un point à un autre. Les tireurs d’élite et les drones leur emboîtent le pas, faisant feu sur ceux qui refusent de bouger ou restent en arrière. L’armée diffuse un ordre d’évacuation, et commence à bombarder ceux qui n’ont pas eu le temps de s’enfuir. Une telle déshumanisation fait penser à des scènes de la Shoah où des Juifs sont entassés dans des wagons de bétail.
Le degré de déshumanisation de l’homme palestinien dans l’espace d’expression israélien a atteint un point tel qu’il n’y a plus d’interlocuteur. Il faut comprendre cette situation, l’intérioriser, et en tirer les conclusions.
Il faut refuser cette guerre d’extermination et coopérer avec toute organisation ou mouvement dans le monde, qui demande d’arrêter cette guerre.
Je me suis menti à moi-même et j’ai été bienveillant envers les lecteurs, lorsque j’ai écrit à plusieurs reprises : « Israël a détruit » ou « Tsahal a bombardé ». J’aurais dû écrire : « ton cousin a détruit », « ton copain de lycée a bombardé », « ton collègue a ajusté son tir et a fait feu », etc. La trame des crimes exposée ici n’est pas abstraite ; une grande partie du public israélien y prend part, et ce depuis le début. Des milliers ont témoigné tout en y participant, et beaucoup d’autres appellent ouvertement au massacre, mais la majorité ne sont pas si arrogants et si explicites. Une majorité est simplement mobilisée à l’armée en tant que réservistes, « car il faut protéger le pays » ; elle y va et accomplit des crimes sans le savoir, ou en le sachant à moitié, en se taisant, ou en refoulant. Il y a encore mille raisons et prétextes, mais toutes et tous se dissolvent face aux 16 000 enfants morts, dont plus de 3 000 âgés de moins de cinq ans, identifiés par leur nom et leur numéro d’identité. Ils se dissolvent face à la destruction de toutes les structures civiles, qui ne sont pas et ne peuvent pas être des cibles strictement militaires.
C’est pourquoi, nous portons tous une plus ou moins lourde responsabilité. Le refus a besoin de tous les encouragements, de tous les soutiens et de tous les renforts. Le consensus sur cette guerre d’extermination empoisonne la société israélienne, et noircit tellement son avenir, que des petites poches d’opposition peuvent insuffler une force de résistance et d’espoir chez tous ceux, qui ne se sont pas laissés entraîner dans cette folie.
Nous pourrons aussi chercher des compagnons de lutte à l’étranger. Le puissant levier de la critique se trouve dans le tuyau des fournitures d’armes américaines, qui, dans cette guerre a fonctionné à un rythme sans précédent, et s’est trouvé impliqué dans de très nombreux crimes de guerre. Cependant, quelque chose d’autre n’a pas eu de précédent : pour la première fois, le tuyau s’est un peu rétréci, ne serait-ce que temporairement, lorsque qu’un acheminement de 1800 tonnes de bombes a été suspendu avant d’entrer à Rafah. C’est une goutte d’eau, mais aussi une goutte d’espoir. Elle ne se serait pas produite sans la pression prolongée de parties de la société civile auprès des représentants de l’establishment démocrate ; une pression qui s’est fait sentir jusqu’à la Maison Blanche. Les pétitions, les courriers adressés aux membres du Congrès, la publication de témoignages, les rencontre avec des collègues aux U.S.A, où on leur énonce la vérité à propos de Gaza et d’Israël – toute démarche permettant de sensibiliser l’attention de l’opinion publique contre le soutien automatique à Israël est la bienvenue. Cette approche comporte des chausse-trappes : des antisémites d’une part, et des « fabricants d’antisémitisme » issus de la propagande sioniste d’autre part.
Mais ceux qui ont bien les yeux en face des trous sauront se garder des uns et des autres.
La lutte pour stopper la guerre d’extermination et le transfert à Gaza et dans le nord de la Bande de Gaza est avant tout un combat humain, pour la vie des Gazaouis, mais aussi d’Israéliens. Pour la possibilité fondamentale de faire germer la vie sur cette terre imprégnée de sang et de haine ; pour les générations futures. Il n’y a pas de combat plus patriotique que celui-là.
Source : Blog de Idan Landau : ´´ne pas mourir idiot’´ 22 octobre 2024
Traduction MB, pour l’UJFP
- Vient de paraître un magnifique recueil de poèmes chez Julliard : Ce que vous trouverez caché dans mon oreille[↩]