Expulsion par Israël d’une famille palestinienne pour la remplacer par des colons

Zena Tahhan, Al Jazeera

Les autorités ont transmis un ordre d’expulsion à la famille Sabbagh de 45 personnes, de façon que des colons israéliens puissent emménager dans leur maison.

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Sheikh Jarrah, Jérusalem-Est occupée

Blotties autour d’un radiateur électrique par une froide journée d’hiver, quatre Palestiniennes sont assises, anxieuses, passant des coups de fil à des connaissances pour se renseigner sur les logements à louer dans la ville.

« Nous ne pouvons pas partir à la dernière minute. Nous devons trouver une solution, les Israéliens peuvent arriver à tout moment pour nous expulser de nos foyers, » dit Ramziyeh Sabbagh, âgée de 31 ans. Elle doit donner naissance à une fille dans cinq jours.

« Mon mari est dans le déni du fait que nous pouvons être expulsés, » dit Khadija Sabbagh, la tante de Ramziyeh. « Je ne sais pas ce que nous allons faire. A ce stade nous n’avons que Dieu. »

Umm Alaa Skafi, qui habite à côté et dont la famille est confrontée aussi à l’expulsion, est passée prendre des nouvelles de sa chère voisine.

« Continuez à prier. Ne laissez pas votre esprit vagabonder. Tenez-vous occupés. Je suis ici pour vous. Je préparerai un plat et je l’apporterai pour vous et votre famille, » a dit Umm Alaa à Khadija.

Le 12 janvier, les autorités israéliennes ont transmis un ordre d’expulsion à la famille Sabbagh – comptant environ 45 personnes – de façon que des colons israéliens puissent emménager dans leurs maisons.

On a donné jusqu’au 23 janvier aux cinq frères, leur femme, leurs enfants et petits enfants pour quitter leur maison. Mardi, les avocats représentant la famille ont déclaré que les autorités israéliennes avaient accepté de geler l’expulsion jusqu’à ce qu’une décision finale soit trouvée d’ici un mois. Les familles habitent là depuis 1956.

Elles ont été chassées de force de leur ville natale de Jaffa pendant la Nakba palestinienne de 1948 – le nettoyage ethnique de la Palestine par les milices sionistes pour créer l’état d’Israël. Ayant eu des parents dans le quartier voisin de Wadi al-Joz, ils se sont installés à Jérusalem.

Avec l’UNRWA, l’organisme des Nations Unies de secours aux réfugiés palestiniens, la Jordanie, qui exerçait le contrôle sur la Cisjordanie et occupait Jérusalem-Est occupée, a fourni des appartements à 28 familles de réfugiés palestiniens, dont la famille Sabbagh, dans le quartier de Sheikh Jarrah.

La bataille pour expulser les Palestiniens

Pas longtemps après la guerre de 1967, par laquelle Israël a occupé Jérusalem-Est, des groupes de colons ont commencé à prétendre être propriétaires d’un certain nombre de propriétés. En 2003, les groupes, qui prétendaient qu’ils avaient enregistré les terres à leur nom en 1972, en ont vendu la propriété à Nahalat Shimon, une société de colons qui est enregistrée à l’étranger.

Nahalat Shimon s’est ensuite lancé dans une longue bataille juridique pour expulser plusieurs familles palestiniennes de Sheikh Jarrah. En 2009, la société a expulsé trois familles. En 2017, il a été dit à une autre famille de partir.

En novembre 2018, après plus d’une décennie de procédures juridiques, la Cour Suprême israélienne a rejeté l’appel introduit par les avocats représentant la famille Sabbagh, par lequel ils ont cherché à contester la propriété du groupe de colons sur les terres.La Cour Suprême a soutenu la décision d’un tribunal de rang inférieur dans laquelle il refusait d’aborder la question de savoir qui était propriétaire des terres ou d’examiner les documents produits par les familles et leurs avocats, en se fondant sur l’expiration de la période de prescription.

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« Nous sommes ici depuis 62 ans. Même si nous ne sommes pas les propriétaires des terres, ou des bâtiments, comment peut-il y avoir des lois qui autorisent l’expulsion de gens au bout de 62 ans ? » déclare Mohammad Sabbagh, âgé de 70 ans, l’aîné des frères, qui a fui avec ses parents vers Jérusalem avant la naissance des ses autres frères.

« Nous avons eu un appartement en 1956. Quand la famille a grandi, nous avons bâti des maisons à côté pour mes frères et leur famille. Chaque pierre, chaque tuile et chaque mur de ces maisons parle du fait que nous sommes ici depuis 62 ans, » déclare-t-il à Al Jazeera.

« La situation dans laquelle nous sommes me brise le cœur. C’est très, très dur, » dit-il, d’une voix tremblante.

La maison à Jaffa de la famille Sabbagh existe toujours. Mais selon la loi discriminatoire israélienne, les Palestiniens, à la différence des Juifs, ne peuvent pas revendiquer les maisons dont ils se sont enfuis au cours de 1948, ce qui signifie qu’ils sont interdits de retour.

« Peu d’espoir »

Zakaria Odeh, directeur de la Coalition Civique pour les Droits des Palestiniens à Jérusalem – l’association qui les met en liaison avec les avocats – explique qu’il reste peu d’espoir pour les familles.

« Les tribunaux ont même refusé d’examiner les dossiers. Nous savons que nous sommes sous occupation israélienne, composant avec les tribunaux de l’occupant, mais nous essayons autant que possible de retarder l’expulsion, » déclare Odeh à Al Jazeera.

« L’ambiance politique générale a encouragé le gouvernement israélien et les groupes de colons à redoubler leurs efforts – particulièrement en raison du soutien sans limites du gouvernement des Etats-Unis sous l’administration Trump, » a-t-il poursuivi.

Alors que l’expulsion de la famille Sabbath est la plus immédiate, il y a au moins neuf autres familles de Sheikh Jarrah dont les procédures juridiques sont en cours.

Le cas de Sheikh Jarrah n’est pas unique. Des groupes de colons israéliens, dont beaucoup sont soutenus par le gouvernement, ont depuis longtemps visé – et ont réussi à y emménager – un certain nombre de quartiers palestiniens à Jérusalem-Est.

A Silwan, au Sud de la Vieille Ville, quelques 700 Palestiniens sont actuellement confrontés à l’expulsion et au déplacement.

Depuis l’occupation par Israël en 1967 des territoires palestiniens, la population israélienne habitant à Jérusalem-Est et en Cisjordanie est montée jusqu’entre 600.000 et 750.000 personnes. Ce nombre signifie qu’à peu près 11 % de la population juive d’Israël de 6,6 millions de personnes habitent maintenant dans les territoires occupés, en dehors des frontières [note]Il s’agit des lignes d’armistice de 1949 tracées à l’issue de la première guerre israélo-arabe de 1948.
Il s’agit de frontières de fait, reconnues internationalement, pour un Etat qui lui-même ne se reconnaît pas de frontières.]] internationalement reconnus de leur Etat, en contrevenant au droit international.

Non-respect du droit

Selon la Quatrième Convention de Genève, qui définit les protections humanitaires des civils coincés dans une zone de guerre, il est interdit à une puissance occupante de transférer des éléments de sa population civile dans les territoires qu’elle occupe.

Ceci a pour but de s’assurer que l’occupation est temporaire, pour protéger les civils du vol de ressources, pour interdire une situation de facto dans laquelle deux groupes habitant sur la même terre sont soumis à deux systèmes judiciaires différents et pour empêcher des changements dans la composition démographique du territoire.

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Revenons à Sheikh Jarrah, où les familles Sabbagh sont folles d’inquiétude et de peur.

« Je les ai vus expulser nos voisins, » déclare Khadija, âgée de 55 ans, la femme du frère de Mohammad. « C’était terrifiant. Ils ont fait une descente dans leur maison alors qu’ils dormaient et les ont jetés dehors. »

« Je préfère la mort à cette sorte de vie, cette torture lente qui vous ronge les nerfs, » poursuit Khadija dont les larmes lui ruissellent sur les joues.

« S’ils viennent nous expulser d’ici, qu’ils nous rendent alors nos maisons à Jaffa. Nous avons toujours les clés de notre maison à Jaffa. Je sais que nous retournerons un jour. »

La fille âgée de 15 ans de Khadija a un petit rire aux remarques de sa mère.

« Continue à rêver », dit-elle.

Traduit de l’anglais par Yves Jardin pour l’AFPS

Photo : Selon le droit international il est interdit à la puissance occupante de transférer une partie de sa population civile dans le territoire qu’elle occupe (Zena Tahhan/Al Jazeera)