Entretien avec Daniel Lévyne (UJFP-Bretagne)

Daniel Levyne

Article paru dans le premier numéro du journal rennais « l’Estaca » de février-mars 2015 page 5

Dans le grand bordel ambiant, les journalistes présentent comme acquis l’existence en France des « communautés » juives et musulmanes.

Ainsi des institutions, tels le CRIF et le consistoire pour les « juifs », et le CFCM pour les « musulmans », pourraient parler en leurs noms. Cet essentialisme, cet enfermement, premier racisme, la parole de l’UJFP le combat.

Créée en 1994 dans la foulée des accords d’Oslo, l’UJFP rend audible une voix juive non-sioniste, issue des résistances aux racismes, au fascisme, aux guerres coloniales.

L’organisation tisse des liens avec les militants israéliens et palestiniens pour une paix juste, c’est à dire fondée sur les principes d’égalité. Elle participe à la campagne de boycott BDS. Pas de ron-ron citoyenniste donc mais un combat pour l’égalité là-bas comme ici.

Les impérialismes, les intérêts entre grandes puissances, mais aussi la violence et les inégalités propres à nos sociétés « démocratiques », l’UJFP n’est pas dupe, et sait délier la question politique de la problématique confessionnelle

Daniel Lévyne, membre représentant en Bretagne de l’Union Juive Française pour la Paix a répondu aux questions de l’Estaca.

Les médias parlent régulièrement de la communauté « juive » de France, et relaient les propos du CRIF et du Consistoire comme la parole des juifs de France. Quel regard portez-vous sur cette situation ?

C’est un problème. La communauté juive organisée, c’est à dire les organismes qui se disent représentatifs des juifs, comme le CRIF ou le Consistoire d’un point de vue religieux, ne représentent qu’une minorité des juifs. La population juive n’est pas homogène, comme toute autre population. Cette pseudo-représentativité essentialise la judéité, elle fait disparaître la diversité des juifs de France dont la présence est attestée depuis le moyen-âge et est le produit d’histoires différentes.

L’essentialisation fait disparaître les positions politiques des individus juifs, leur rapport à la religion, certains sont pratiquants, d’autres non mais conservent un lien avec leur judéité, et combien sont simplement athées ou même ne se pensent pas comme juifs ? Cette assimilation communautaire, qui nie la singularité politique, efface aussi les différences sociales entre les juifs de France dont beaucoup vivent aussi en banlieue dans des HLM.

Le 10 janvier dernier le premier ministre israélien, Benjamin Nétanyahou a lancé un appel aux Européens juifs, plus particulièrement les français pour qu’ils aillent vivre en Israël, « leur patrie », que reflètent ces propos ?

Dans le projet sioniste, les habitants indigènes de la Palestine sont considérés comme des intrus qui devront partir. Toute la politique israélienne provient de cette idéologie, y compris l’Alyah. Pour un sioniste, l’antisémitisme est considéré comme une donnée éternelle. Le sionisme c’est faire croire qu’il n’y a pas de cohabitation possible entre juifs et non-juifs, qu’il n’y a pas de vivre ensemble possible.

Le sionisme se nourrit de l’antisémitisme, réel ou supposé. Voici le piège tendu aux juifs de France, s’enfermer dans cette problématique raciste, ségrégationniste, et finalement meurtrière.

Quant à l’idée qu’Israël soit leur patrie, c’est logique dans la pensée sioniste de Nétanyahou, et ce n’est pas la première fois qu’on assimile Israël à la patrie des juifs français. Déjà lors de l’affaire Merah j’avais été choqué d’entendre dans les médias parler de « rapatriement » des corps des victimes en Israël. Comme si la France n’était pas la patrie des français juifs. Cela s’est répété après les meurtres de l’hyper-casher.

L’UJFP à l’instar du tribunal Russell pour la Palestine, estime qu’Israël pratique une politique d’apartheid à l’égard des palestiniens, participe à la campagne BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanction).

BDS, ce n’est que l’application du droit international. Un appel rédigé en 2005 par des palestiniens porte les trois revendications qui doivent être portées par le mouvement de solidarité pro-palestinien dans son ensemble.

Primo : la fin de la colonisation, le retrait des territoires occupés et depuis 2007 la fin du blocus de Gaza.

Deuxio : l’égalité des droits pour tous les citoyens d’Israël.

Tertio : Application du droit au retour des palestiniens conformément aux résolutions onusiennes. En 2009, comme l’avis de la Cour Internationale de justice était resté sans effet, la campagne internationale de boycott a démarré.

Elle concerne, le commerce des produits et entreprises israéliennes, les manifestations sportives internationales, où la présence d’un État pratiquant l’apartheid est inacceptable, mais aussi sont visés les événements culturels et universitaires.

Bien sûr il n’est pas question de s’en prendre à des individus parce qu’ils seraient israéliens, mais si un artiste participe à une exposition organisée ou financée par l’ambassade d’Israël ou une association sioniste, nous appelons au boycott. De même dans le domaine universitaire.

Cette campagne a fait l’objet de multiples poursuites par l’État français, où en est-on ?

Michèle Alliot-Marie a lancé les hostilités (le 12 février 2010 [ndlr] ) par une circulaire assimilant le boycott à une forme de discrimination envers une nation. Il y a eu plusieurs procès un peu partout en France, certains ont débouché sur des non-lieux, quelques autres à des condamnations (mais pas pour l’objet juridique de la circulaire, [ndlr]). Deux pourvois en cassation sont encore en cours.

Mais au-delà de BDS il y a une volonté politique de réprimer les mouvements de soutien aux palestiniens.

Oui. Les manifestations interdites de l’été dernier (pendant les bombardements meurtriers de Gaza [ndlr] ) l’illustrent parfaitement. On a parlé d’une attaque de synagogue rue de la Roquette en marge d’une manifestation pour associer encore l’antisionisme à l’antisémitisme. Mais cette attaque n’a jamais eu lieu, le rabbin de la Roquette a fait une déclaration publique à ce sujet. Il y a eu des échauffourées entre des manifestants et des membres de la LDJ2 le 13 juillet, mais jamais il n’y a eu d’attaque de synagogue. Je sais que la LDJ1 a menacé les abords du cortège pendant toute la manifestation, et quand certains manifestants ont réagi à leurs provocations au moment de la dispersion, les jeunes de la LDJ sont allés se réfugier derrière les CRS.

L’été dernier, alors que Tsahal a tué 2000 palestiniens dans Gaza, la France s’est abstenue à l’ONU lors du vote condamnant les bombardements. Répression à l’intérieur, soutien inconditionnel à l’international, pourquoi l’État Français colle-t-il autant à la politique Israélienne ?

La France a toujours appuyé Israël, il ne faut pas oublier que c’est un gouvernement socialiste qui a fourni l’arme atomique à Israël dans les années 50. Il y a eu le tournant de De Gaulle qui avait pris la mesure des conséquences de l’occupation des territoires palestiniens, puis il y eut Chirac, mais il est vrai que depuis Sarkozy il y a clairement un parti-pris pour Israël.

Cela dit, il n’y a pas que la France qui soutienne Israël, en gros tous les pays occidentaux, USA en tête. Certains disent que ce soutien serait lié à une culpabilité post-génocide. Je ne crois pas. Israël est un pays occidental, tête de pont de l’impérialisme dans une région riche en pétrole

C’est aussi un modèle de savoir-faire et d’expérimentation dans les domaines de la sécurité, de l’armement du contrôle des populations. Israël est un État-laboratoire qui teste les armes, les drones sur les populations palestiniennes. C’est ce qui intéresse les occidentaux.

Politiquement, pour les tenants du choc des civilisations, Israël est l’avant-garde de l’Occident face à la barbarie, idée déjà portée en son temps par Théodore Hertzl quand il vendait son projet sioniste.

C’est le plus grand reproche que nous adressons aux sionistes, c’est d’embrigader les juifs, eux qui avaient été les parias de l’Europe, dans une guerre de civilisation qui mène à la catastrophe. Quand ils soutiennent la politique israélienne le CRIF ou les autres organisations parlant « au nom » des juifs font que les juifs sont perçus comme des oppresseurs dans leur ensemble. C’est grave il y a racialisation des conflits.

Les problèmes ne sont pas religieux ou civilisationnels, le problème Israélo-Palestinien est un problème de droit qui ne peut se résoudre que dans l’égalité des droits et dans la justice.