Entretien avec André Rosevègue, un des initiateurs du livre « Israël – Palestine, le conflit dans les manuels scolaires ». Un regard sur l’enseignement en France du plus vieux conflit en cours.

Paru sur le site de la Marseillaise, le 15 novembre 2015.

Propos recueillis par Roland Pfefferkorn.

La récente « recrudescence des violences » en Palestine illustre bien les difficultés à rendre compte de la situation. Les mots choisis par la presse sont le plus souvent ceux qui sont utilisés par le gouvernement israélien : recrudescence des violences (comme si l’occupant et le peuple occupé étaient logés à la même enseigne), escalade, sécurité. Les mots occupation ou résistance sont beaucoup plus rarement utilisés. On rencontre le même problème dans les manuels scolaires.

Un petit livre paru aux éditions Syllepse examine la manière dont les manuels rendent compte du conflit israélo-palestinien. Il traite notamment des représentations des figures du «Juif» et du «Palestinien» dans les manuels français, israéliens, palestiniens et suédois.

Nous avons rencontré André Rosevègue, l’un des initiateurs de ce livre.

Roland Pfefferkorn : Le conflit Israël Palestine est le plus étudié, bénéficiant pratiquement chaque semaine de la parution de nouveaux livres. Pourquoi ce livre de plus ?

André Rosevègue : L’originalité de notre démarche a été de s’intéresser à ce qui se passait dans l’école à ce sujet. Il faut savoir que les manuels scolaires représentent 12 % de l’édition en France, que plus d’un million de manuels qui abordent le sujet paraissent chaque année. Mais jusque-là pas un livre n’est venu s’interroger sur la manière dont le conflit central du Proche-Orient est présenté à toute la jeunesse de notre pays. Bien sûr les manuels ne disent rien sur la façon dont les enseignants traitent cette question dans leurs classes, mais les manuels induisent une sorte de « vérité scolaire ».

RP : Vous avez fait des comparaisons entre les manuels de différents pays. Les manuels français ont-ils une spécificité ?

AR : Oui. Il n’y a certes pas en France de manuel officiel, pas de visa du Ministère de l’Education par exemple. Cependant ce qui est frappant c’est que les manuels en usage dans notre pays ont tendance à reprendre un point de vue global très proche de celui du gouvernement et de celui qui domine dans les médias. Dominique Comelli, de l’Institut de Recherche de la Fédération Syndicale Unitaire, nous fait entrer dans la fabrique des manuels scolaires en France, Bernard Albert en montre les imprécisions et les réalités masquées. Sandrine Mansour-Mérien, historienne de la Nakba , les décrit en détail à propos des conditions de création d’Israël. Elle examine aussi la question du Mur comme de celle de la violence.
Pour éviter un point de vue trop franco-français, nous avons cependant tenu à faire des comparaisons internationales. En premier lieu, nous avons cherché à rendre compte de la manière dont ce conflit est enseigné sur place, aux jeunes israéliens comme aux jeunes palestiniens.

RP : Comment avez-vous procédé pour étudier les manuels israéliens et palestiniens ?

AR : Sur ce point nous avons bénéficié de la contribution d’une spécialiste, Nurit Peled-Elhanan, professeur de littérature comparée à l’Université hébraïque de Jérusalem. Elle a publié en 2012 à Londres un livre qui porte comme titre « la Palestine dans les manuels scolaires israéliens : idéologie et propagande dans l’Education ». La conclusion de son étude est sans appel et va au-delà de la situation particulière qu’elle décrit : «Le récit israélien officiel, typique des nouveaux Etats « ethnocratiques » et des récits nationaux, n’est pas et ne peut pas être tolérant, car il exige le refus catégorique de tout autre récit pour justifier « notre voie ». (…)Les manuels israéliens sont supposés inculquer le récit sioniste aux élèves juifs et aux élèves arabes ».

C’est une sociologue palestinienne, Samira Alayan, chercheuse et maître de conférences à cette même Université hébraïque de Jérusalem, qui a analysé pour nous les manuels palestiniens en Israël et en Palestine. Ces manuels rédigés sous le contrôle de l’Etat israélien y compris en Cisjordanie occupée et à Gaza sous blocus. Chose incroyable, ces manuels ne disent rien des événements de 1948 !

RP : Avez-vous fait des comparaisons avec des manuels d’autres pays européens ?

AR : Oui, nous avons bénéficié du concours de Michael Walls, professeur suédois au Centre de formation des enseignants de Göteborg. Il a fait l’analyse des manuels suédois. Il a cherché à répondre à la question : comment le pouvoir politique participe à la construction des savoirs et des représentations, voire la détermine ?

De l’ensemble des contributions on peut conclure que partout c’est le récit national israélien qui est repris. Les Juifs dispersés pendant deux millénaires reviendraient légitimement sur Leur terre, le problème des réfugiés serait dû au refus arabe et les interventions de l’armée israélienne sont présentées comme des ripostes au terrorisme…

Le travail des enseignants est difficile, plusieurs d’entre nous le sommes ou l’avons été. On leur demande de traiter d’événements survenus après leurs études, sur les prémisses desquels ils n’ont pas reçu d’enseignement. Les enseignants, y compris les rédacteurs de manuels qui ont assez peu de temps pour rendre leur copie à l’éditeur, sont malheureusement influencés par leurs propres préjugés, sans avoir le temps de prendre réellement connaissance des travaux universitaires les plus récents.

Ce problème n’est ni nouveau, ni spécifique à ce conflit…

Bien sûr, mais ce conflit est particulièrement long, dans une région explosée. De plus, la France est le pays européen où se trouvent la plus grande communauté « arabo-musulmane » et la plus grande communauté juive. Les jeunes de ces communautés sont régulièrement appelés à se solidariser avec les communautés en conflit. L’école de la République doit proposer un enseignement rigoureux et équilibré. Si par négligence ou inconscience il apparaît comme usant de « deux poids deux mesures », il faillit à sa tâche. Pour le dire autrement, quand des manuels présentent Jérusalem comme capitale d’Israël sans mentionner que c’est Tel Aviv qui est reconnue comme telle par la communauté internationale, quand d’autres ou les mêmes présentent le Mur comme construit sur la frontière alors qu’il s’enfonce profondément dans le territoire de Cisjordanie pour englober les colonies et les routes réservées aux colons, si cela met un jeune en colère et interpelle le professeur de façon un peu vive, dira-t-on que c’est lui qui importe le conflit ?