Après la divulgation d’une liste de responsables israéliens pouvant être condamnés, Tel-Aviv craint le pire dans l’enquête de la CPI sur les crimes de guerre.27 août 2014 – Des Palestiniens marchent dans une rue au milieu des maisons détruites dans le quartier de Shejaiya, dans la ville de Gaza. Ce quartier a été l’un des plus durement touchés par les bombardements israéliens – Photo : archives
Lorsque la procureure de la Cour internationale de justice (CPI), Fatou Bensouda, a confirmé en décembre dernier que la Cour disposait de preuves suffisantes pour poursuivre une enquête sur les crimes de guerre en Palestine occupée, le gouvernement israélien a répondu avec sa rhétorique habituelle, accusant la communauté internationale de partialité et insistant sur le « droit d’Israël à se défendre ».
Au-delà des poncifs et du discours israélien typiques, le gouvernement israélien savait trop bien qu’une enquête de la CPI sur les crimes de guerre en Palestine pourrait lui coûter cher. Une enquête, en soi, représente une sorte d’acte d’accusation. Mais si des dirigeants et responsables israéliens devaient être inculpés de crimes de guerre, ce sera alors une autre histoire, car cela devient une obligation légale pour tous les membres de la CPI d’appréhender les criminels et de les remettre à la Cour.
Israël est resté publiquement réservé, même après que Bensouda, en avril dernier, a soutenu sa décision de décembre avec un rapport juridique de 60 pages, intitulé : « Situation dans l’État de Palestine : Réponse de l’accusation aux observations des Amici Curiae, des représentants légaux des victimes et des États ».
Dans ce document, la CPI aborde un grand nombre de questions, de doutes et de rapports soumis ou soulevés dans les quatre mois qui ont suivi sa décision antérieure. Des pays comme l’Allemagne et l’Autriche, parmi d’autres, ont utilisé leur position d’amici curiae – « amis de la Cour » – pour remettre en question la compétence de la CPI et le statut de la Palestine en tant que pays.
Bensouda a insisté sur le fait que « le Procureur est convaincu qu’il existe une base raisonnable pour ouvrir une enquête sur la situation en Palestine en vertu de l’article 53(1) du Statut de Rome, et que le champ de compétence territoriale de la Cour comprend la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, et Gaza (territoires palestiniens occupés) ».
Cependant, Bensouda n’a pas fourni de calendrier définitif pour l’enquête ; elle a plutôt demandé que la Chambre préliminaire de la CPI « confirme l’étendue de la compétence territoriale de la Cour en Palestine », une étape supplémentaire qui n’est guère nécessaire puisque l’État de Palestine, signataire du Statut de Rome, est celui qui a en fait renvoyé l’affaire directement au bureau du Procureur.
Le rapport d’avril, en particulier, a été le signal d’alarme pour Tel-Aviv. Entre la décision initiale de décembre et la publication de ce dernier rapport, Israël a fait pression de plusieurs manières, en s’assurant l’aide de membres de la CPI et en recrutant son plus grand bienfaiteur, Washington – qui n’est pas membre de la CPI – pour intimider la Cour afin qu’elle revienne sur sa décision.
Le 15 mai, le secrétaire d’État américain, Mike Pompeo, a mis en garde la CPI contre la poursuite de l’enquête, visant notamment Bensouda pour sa décision de demander des comptes aux criminels de guerre en Palestine.
Le 11 juin, les États-Unis ont imposé des sanctions sans précédent à la CPI, le président Trump ayant publié un « décret » qui autorise le gel des avoirs et une interdiction de voyager à l’encontre des fonctionnaires de la CPI et de leurs familles. Ce décret permet également de s’attaquer à d’autres personnes ou entités qui aident la CPI dans le cadre de son enquête.
La décision de Washington de prendre des mesures punitives contre la Cour – mise en place dans le seul but de tenir les criminels de guerre responsables de leurs crimes – est à la fois scandaleuse et odieuse. Elle révèle également l’hypocrisie de Washington : le pays qui prétend défendre les droits de l’homme tente d’empêcher ceux qui ont violé ces mêmes droits de rendre des comptes devant la justice.
Suite à son échec de mettre fin aux procédures juridiques de la CPI concernant ses enquêtes sur les crimes de guerre, Israël a commencé à se préparer au pire. Le 15 juillet, le quotidien israélien Haaretz a fait état d’une « liste secrète » établie par le gouvernement israélien. Cette liste comprend « entre 200 et 300 fonctionnaires », allant des responsables politiques aux militaires et aux agents de renseignement, qui risquent d’être arrêtés à l’étranger si la CPI ouvre officiellement une enquête sur les crimes de guerre.
Les noms commencent au sommet de la pyramide politique israélienne, parmi lesquels le Premier ministre Benjamin Netanyahu et son partenaire de coalition actuel, Benny Gantz.
Le simple nombre de fonctionnaires israéliens figurant sur la liste est révélateur de la portée de l’enquête de la CPI et, d’une certaine manière, constitue une auto-indication, puisque les noms comprennent d’anciens ministres de la défense israéliens – Moshe Ya’alon, Avigdor Lieberman et Naftali Bennett ; d’actuels et d’anciens chefs d’état-major des armées – Aviv Kochavi, Benny Gantz et Gadi Eisenkot et d’actuels et d’anciens chefs des services de renseignements internes, le Shin Bet – Nadav Argaman et Yoram Cohen.
De nombreuses et importantes organisations internationales de défense des droits de l’homme ont déjà, à plusieurs reprises, accusé tous ces individus de graves violations des droits de l’homme pendant les guerres meurtrières menées par Israël dans la bande de Gaza assiégée, à commencer par l’opération dite « Plomb durci » en 2008-2009.
Mais la liste est beaucoup plus étendue, car elle couvre « des personnes occupant des postes beaucoup plus subalternes, y compris des officiers militaires de rang inférieur et, peut-être même, des fonctionnaires impliqués dans la délivrance de divers types de permis aux colonies et aux avant-postes de colonies ».
Ainsi, Israël est bien au fait que la communauté internationale persiste à considérer que la construction de colonies illégales en Palestine occupée, le nettoyage ethnique des Palestiniens et le transfert de citoyens israéliens vers les terres occupées sont tous inadmissibles au regard du droit international et équivalent à des crimes de guerre.
Nétanyahu doit être également déçu de constater que toutes les concessions faites par Washington à Israël sous la présidence de Trump n’ont pas réussi à changer la position de la communauté internationale et l’applicabilité du droit international, de quelque manière que ce soit.
En outre, il ne serait pas exagéré de considérer que le report par Tel-Aviv de son projet d’annexion illégale de près d’un tiers de la Cisjordanie, est directement lié à l’enquête de la CPI car l’annexion aurait définitivement contrecarré les efforts de ses soutiens visant à empêcher que l’enquête puisse se dérouler.
Alors que le reste du monde, avec en particulier les Palestiniens, les Arabes et leurs alliés, attendent toujours avec impatience la décision finale de la Chambre préliminaire, Israël continuera sa campagne ouverte et secrète d’intimidation de la CPI et de toute autre entité visant à exposer les crimes de guerre d’Israël et à juger ses criminels de guerre.
Washington poursuivra de son côté tous ses efforts pour que Netanyahu, Gantz et les « 200 à 300 » autres responsables israéliens ne soient jamais confrontés devant la Cour.
Mais le fait qu’il existe une « liste secrète » indique que Tel-Aviv comprend que cette époque est différente et que le droit international, qui a négligé et abandonné les Palestiniens pendant plus de 70 ans pourrait, pour une fois, rendre ne serait-ce qu’un peu de justice.
Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah
Voir en ligne : l’article sur le site de Chronique de Palestine