Ce qui se joue dans la commémoration du 7 octobre comme événement insigne en dehors de toute histoire et de tout contexte colonial, c’est le gommage de l’oppression de longue durée des Palestiniens et la légitimation de leur effacement.
« Nous pensons avec émotion aux otages retenus depuis 300 jours par le Hamas. La France continue d’œuvrer pour que tous soient libérés.« , écrit sur X Emmanuel Macron ce 1er août 2024.
« C’est aussi 300 jours de génocide du peuple palestinien, et 76 ans de colonisation d’occupation et d’apartheid. », lui répond la militante de la cause palestinienne Monira Moon.
De nombreuses opérations visent à instituer le « 7-Octobre » (on devrait presque dire le « Ten-Seven ») comme un Événement exceptionnel parmi les événements. Par exemple, chaque occasion calendaire sera bonne pour le marteler et lui conférer une portée mémorielle insigne. Les 100, 200, 300 jours… Et il faut s’attendre à un dispositif vraiment énorme pour le 7 octobre 2024.
Avoir une critique de ce dispositif est difficile : personne ne peut nier qu’il s’agit d’un moment important, personne ne peut refuser qu’on se souvienne des victimes. Est disqualifié moralement tout ce qui essaie de contextualiser historiquement ou politiquement le 7 octobre par la colonisation, l’occupation, l’oppression, l’absence de perspectives politiques négociées, un effacement progressif des droits et des existences palestiniennes. Notre approche est renvoyée à un manque d’empathie pour les victimes israéliennes, même si nous l’exprimons, car nous refusons de séparer le 7 octobre du contexte colonial, de parler des Israéliens détenus à Gaza sans parler des milliers de Palestiniens détenus par Israël.
Il est vrai que nous nous refusons à mettre sur le même plan, quantitativement et politiquement, ce qui provoque une oppression globale de longue durée et un effacement progressif d’un côté, et une opération qui répond à cette oppression de l’autre. Dire cela ne revient en rien à ôter aux factions palestiniennes toute agentivité et toute responsabilité dans la forme que cette opération a parfois prise. Mais il y a quelque chose d’indécent à nous renvoyer sans cesse à cette responsabilité palestinienne : réduire sempiternellement l’origine de la situation actuelle en Israël/Palestine au 7 octobre est aussi aveugle envers le passé qu’envers la guerre génocidaire qui a suivi, laquelle n’en est pas une conséquence mécanique mais plutôt l’accélération et l’aggravation d’une politique d’effacement qui était déjà en cours.
Ce qui se joue dans la commémoration unilatérale du 7 octobre comme événement insigne en dehors de toute histoire et de tout contexte colonial, c’est le gommage de l’oppression de longue durée des Palestiniens et la légitimation de fait (car pas toujours consciente) de leur effacement. Le sort de la centaine d’Israéliens détenus à Gaza importe. Celui des deux millions de Gazaouis aussi.
Face à l’opération mémorielle en cours, il faut rappeler la situation. Comme le synthétise Simon Assoun, depuis le 07 octobre, l’armée israélienne a largué 82 000 tonnes de bombes sur Gaza. Elle a détruit : 117 écoles, 198 bâtiments gouvernementaux, 610 mosquées, 150 000 habitations, 3 églises, 34 installations sportives, 3 030 km de réseau électrique, 700 puits d’eau, 206 sites archéologiques, 40 000 vies palestiniennes répertoriées et sans doute 186 000 ou plus en tout selon une évaluation prudente parue dans le Lancet. Mais tout cela, le Président de la République n’a pas jugé pertinent ne serait-ce que de l’évoquer après 300 jours de massacres.
Les représentants de l’État français n’ont pas une seconde de recueillement pour la Nakba ou pour aucun des événements traumatiques pour les Palestiniens. Le 7 octobre comme moment du déclenchement de la guerre génocidaire par le gouvernement israélien contre les Palestiniens de Gaza ne mérite pas l’attention de nos dirigeants. Les distances ne cessent de se creuser. Le déséquilibre de l’attention et de la considération est flagrant. Ce travail de mémoire, d’histoire, de politisation des événements, c’est donc à nous de le faire, contre l’État.
Source : Blog de Médiapart