Union juive française pour la paix

Ella Keidar Greenberg : « Je refuse »

Capture decran 2025 04 08 a 16.10.10 Ella Keidar Greenberg : "Je refuse"

Je m’appelle Ella Keidar Greenberg. J’ai été élevée pour être un homme et un soldat. À 14 ans, j’ai fait mon coming out en tant que femme transgenre et j’ai rejeté les diktats de la société en matière de genre. Aujourd’hui, à 18 ans, je refuse de m’engager et rejette les dogmes militaristes de la société.

Capture decran 2025 04 08 a 16.10.10 Ella Keidar Greenberg : "Je refuse"
Ella Keidar Greenberg©Soul Behar Tsalik/Mesarvot

Peu après mon coming out, j’ai trouvé le Manifeste du parti communiste dans la bibliothèque de ma grand-mère. Durant les deux années suivantes, j’ai lu des ouvrages de philosophie politique et de théorie marxiste. Grâce à ces lectures, j’ai approfondi ma compréhension de l’histoire sanglante et du présent également sanglant du pays où je vis. Avec le mouvement de protestation contre le coup d’État judiciaire, une voie s’est ouverte pour moi : transformer ma frustration en espoir et en action politique.

J’ai rapidement rejoint la lutte contre l’occupation en tant que militante et organisatrice. D’abord, au sein du bloc anti-occupation et des manifestations hebdomadaires de la rue Kaplan, puis au sein du Mesarvot Network, de la Communist Youth Union, du Hadash (DFPE) et du Parti communiste. Depuis, le militantisme est devenu le centre de ma vie.

J’ai organisé une manifestation massive contre la propagande transphobe ; manifesté avec des militants palestiniens contre le vol de terres alors que les soldats tiraient sur nous des grenades assourdissantes et des balles en caoutchouc ; j’ai bloqué des routes ; j’ai été blessée par des policiers et lors d’expulsions violentes par la police des frontières ; j’ai organisé une campagne importante de refus sous l’égide du mouvement Youth Against Dictatorship ; j’ai assuré une présence protectrice et rejoint la co-résistance à Masafer Yatta ; et, maintenant, je refuse.

La principale raison de cet acte est que mon pays commet un génocide à Gaza. Des centaines de milliers de personnes ont été tuées par des bombardements, dans des destructions volontaires d’infrastructures, par la famine, par des tirs visant n’importe qui. Des millions de personnes ont été arrachées à leurs foyers et continuent de vivre déplacées. Telle est la réalité quotidienne à Gaza depuis 18 mois. Tout cela à cause d’une guerre censée ramener les otages chez eux, mais qui, en pratique, les abandonne. La guerre d’extermination ne s’est pas arrêtée en Cisjordanie puisque l’on assiste à une escalade de la violence des colons, soutenue plus que jamais par l’armée.

Des dizaines de villages ont subi un nettoyage ethnique, comme s’ils n’avaient jamais existé, et des quartiers entiers ont été détruits et dépeuplés dans le cadre d’opérations destructrices à Jénine et Tulkarem. Maintenant que le gouvernement a repris sa campagne de destruction à Gaza, la situation devrait continuer de s’aggraver.

En Israël, nous assistons à une persécution politique policière contre les militants de gauche et les Palestiniens d’une ampleur jamais vue depuis la période du régime militaire de 1948 à 1966, à des arrestations consécutives à des déclarations sur les réseaux sociaux ou à des manifestations et à des actions citoyennes.

On constate : un abandon systématique et volontaire de la société arabe face au crime organisé ; 24 otages encore vivants attendent toujours de retrouver leurs familles ; une terrible crise économique qui touche en premier lieu les travailleurs ; une augmentation de 65 % des violences conjugales liée à l’augmentation de 40 % du nombre d’armes à feu possédées par les civils.

De plus, nous voyons une recrudescence des violences contre la communauté queer et une réduction simultanée des budgets gouvernementaux qui lui étaient alloués.

Et le coup d’État judiciaire contre lequel nous avons bloqué des routes il y a peu est maintenant légalisé à la hâte sous nos yeux.

Ces processus ne se déroulent pas indépendamment du génocide qui a lieu à Gaza. Ces systèmes ne se limitent pas au soldat posté au checkpoint, au patron qui paie trop peu, ou à ceux qui interdisent notre autonomie de genre et médicale, mais ils concernent aussi l’éducation dans ces institutions, la somme de tous les mécanismes sociaux qui nous préparent à devenir des sujets obéissants du système.

C’est cette logique que les personnes trans, comme les refuzniks, sapent. C’est pourquoi nous sommes si effrayants, car le système existant et sa reproduction sont habituellement assurés par nous, le peuple, par notre discipline et notre obéissance.

Mais l’obéissance ne nous mène qu’au néant. Les décideurs militaires et gouvernementaux disent clairement, encore et encore, qu’ils ne s’intéressent ni à la stabilité de l’accord de cessez-le-feu, ni à nos droits, ni au retour des otages. Leur intérêt pour nous se limite à notre fonction de chair à canon pour l’industrie de l’extermination et de l’expansion.

Les régimes politiques les plus obscurs et les horreurs qu’ils imposent ne s’effondrent pas si les citoyens obéissent à la loi et font ce qu’on leur dit, tout en espérant que quelqu’un d’en haut reviendra à la raison et comprendra que cela doit cesser. Face à la réalité de l’extermination de masse, de l’abandon systématique, du bafouement des droits, de la guerre – l’impératif absolu est le refus.

Ne restez pas installés dans votre complaisance : rassemblez-vous, organisez-vous, résistez.

Dans 40 ans, lorsque nos petits-enfants nous demanderont ce que nous avons fait pendant le génocide de Gaza, lors de l’effondrement de l’ordre ancien, si nous avons abandonné ou si nous avons résisté, quelle est la réponse qui vous paraîtra préférable ?

Je sais ce que je répondrai : que j’ai choisi de résister. C’est pourquoi je refuse.

Ella Keidar Greenberg

Traduction : Jean-Philippe Cazier

Ella Keidar Greenberg, 18 ans, a été condamnée le 19 mars dernier à trente jours de prison pour avoir refusé de servir dans l’armée israélienne, peine qu’elle effectue actuellement.

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