DES VIES SANS VALEUR…

Ces derniers jours, quatorze associations humanitaires ont adressé une lettre au président de la République affirmant que la politique actuelle de l’État vis à vis des migrants est d’une faillite absolue, puisque allant jusqu’à mettre leurs vies en danger.

Le 2 janvier 2019, l’association briançonnaise « Tous Migrants » et le comité de soutien aux 3+4+ 2 nouveaux solidaires convoqués le 10 janvier prochain devant le Tribunal Correctionnel de Gap lancent, eux aussi, un appel à la solidarité avec les migrants et ces citoyens solidaires, soulignant à juste titre, que les chasses à l’homme et les violences policières qui les accompagnent sont réservées aux seules personnes de couleur, les contraignant à prendre toujours plus de risques.

Ils notent également que la police les traque dans la montagne, les refoule illégalement – mineurs compris – sur ordre de l’État, profitant de ce régime de non droit pour se comporter avec violence.

Naturellement, nous ne pouvons que partager l’ensemble de ces constats accablants.

Mais, à la lumière de notre propre histoire – et nous ne cessons de le rappeler – en réalité, la France poursuit depuis les dernières années de la Troisième République une politique en tout point identique de rejet de l’autre, du refus de l’accueillir et de le protéger s’il tente de franchir nos frontières. S’il parvient à arriver en France, il se voit infliger une politique d’exclusion sociale et d’invisibilité avant d’être de nouveau expulsé.

Hier, la République enfermait ceux qu’elle désignait comme étant des infiltrés, des indésirables « en surnombre dans l’économie française » dans des camps nommés très exactement par le Ministre de l’Intérieur de l’époque : camps de concentration.

En un mot, l’État français – hier comme aujourd’hui – fabrique au moyen de décrets et de lois de circonstance liberticides, des clandestins et des indésirables, transforme les femmes et les hommes de conscience en délinquants passibles d’être traduits devant des tribunaux correctionnels.

Si nous faisons aujourd’hui l’impasse sur cette continuité politique de la Troisième à la Cinquième République, et sur le poids de l’idéologie coloniale jamais réglée dans les comportements de l’État et que nous ne nommons pas la couleur noire des migrants qui tentent (après avoir survécu à des épreuves mortifères et abordé les rivages européens) de franchir nos frontières, nous masquerons l’essentiel.

L’idéologie coloniale occidentale – la nôtre – construite sur la classification de l’humanité en « races » avait relégué les peuples noirs à une position de sous-hommes et déclaré leurs vies sans valeur justifiant ainsi le droit à la barbarie, le droit à leur esclavage.

Le XXIe siècle a rendu caducs ces concepts d’un autre temps, mais pas l’idéologie qui les a portés.

La violence d’État à laquelle nous assistons aujourd’hui à l’égard des migrants noirs, partout en France, les chasses à l’homme dans les Alpes, les milices fascistes tolérées au dessus de Briançon, les zones de rétention qui ne disent pas leur nom, la criminalisation de la solidarité, attestent de cette continuité.

La négation de tous les principes inscrits dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme dont nous venons de fêter le soixante-dixième anniversaire, de toutes les conventions internationales pourtant signées par la France – dont celles relatives aux Droits des Enfants – en un mot : du droit international moderne écrit au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, réaffirmant le droit sacré à la vie pour toutes et tous, sans distinction de la couleur de la peau, de la religion – réelle ou supposée.

Tout cela témoigne de la volonté de l’État de recourir de nouveau à des pratiques que nous espérions définitivement bannies.

Et nous – parce que Juifs considérés hier comme étant des vies sans valeur – en surnombre dans l’économie française – nous qui avons connu cette politique d’État d’exclusion, de non droit, de mise en danger organisée, délibérée, avant de nous livrer aux nazis,

Nous qui sommes les derniers témoins de cette politique criminelle, nous qui avons été des étrangers dans notre propre pays, nous sommes tenus d’établir ces parallèles nécessaires, à alerter nos concitoyens, les jeunes générations principalement, des dangers qui menacent aujourd’hui les plus fragiles, les plus démunis entre tous : les migrants noirs.

À affirmer notre totale solidarité à leur égard, notre totale solidarité avec celles et ceux qui les aident, les accueillent et les protègent.

« וַאֲהַבְתֶּם, אֶת-הַגֵּר: כִּי-גֵרִים הֱיִיתֶם, בְּאֶרֶץ מִצְרָיִם »

 » Et vous aimerez l’étranger car vous avez été étrangers en Égypte »,

enseigne aux Juifs le Deutéronome.

Plus que jamais – que nous soyons croyants ou non – il nous incombe d’affirmer la modernité de cette injonction suprême.

Le Bureau national de l’UJFP, le 5 janvier 2019