Des Français à Ramallah témoignent (du 23 octobre au 8 novembre 2023)

Ramallah, Palestine, May 4, 2019: The people walk through Al-Manara Square in the center of Ramallah. This circular square is dominated by a monument with a stone pillar surrounded by five stone lions who are described as a traditional symbol symbols of bravery, power and pride.

Témoignages de D et J

Ramallah, 8 novembre 2023

Bulletin météo en Europe : « La tempête traverse le pays du Nord au Sud, comme vous pouvez le voir sur cette carte. Les vents arriveront de L’Est puis de l’Ouest, tandis que des trombes d’eau pénétreront par le Nord risquant de provoquer des inondations et des dégâts considérables. Déjà, des torrents déferlent sur le pays, arbres arrachés, maisons dévastées. La sécurité civile est sur le pied de guerre mais les bourrasques de vent empêchent souvent leurs interventions, les mettant eux-mêmes en danger. Il semble que Jupiter soit déchaîné : même la mer s’y est mise, déversant des tsunamis sur les plages, endommageant sérieusement les hôtels du front de mer et pénétrant largement dans les terres. Vous pouvez voir ici, et là, et encore ici l’impact des cyclones. Toutefois, jusqu’à présent, les barrages hydrauliques du Sud semblent bien résister, permettant une régulation des flux. Nous attendons une éclaircie pour… ». La présentatrice est charmante, ses mains aux ongles longs et vernis semblent voler sur le tableau numérique interactif, perchée sur ses talons aiguilles, elle a une silhouette parfaite, sa voix est chantante.

Météo palestinienne : « Les bombardements se sont intensifiés au Nord, sur la ville de Gaza, tout le secteur de Beit Hanoun et les camps de réfugiés de Jabaliya et de Chati, avec y compris l’usage de phosphore, comme vous pouvez le voir sur cette carte. Les tanks avancent depuis l’Est en bombardant tout autour d’eux dans un large demi-cercle ; de l’Ouest arrivent des missiles tirés de la mer. Les habitants se trouvent coincés sous un déluge de feu dans un champ de ruines où il n’y a nulle part où s’abriter, les fantassins suivent les tanks. Le Sud n’est pas épargné, Khan Younis, le secteur de Rafah, etc. L’approvisionnement en eau et en nourriture devient extrêmement difficile, les gens en sont rendus à utiliser de l’eau de mer. Des centres de soins ont été détruits ou ne peuvent plus fonctionner faute d’électricité, là et là et là. Les ambulances ont les pires difficultés à accéder aux blessés du fait de l’état des routes. Les sauveteurs, n’ayant aucun engin de déblaiement ni même de gants se partagent 2 pelles ébréchées pour tenter de dégager les décombres, le plus souvent, ils le font à mains nues sous les bombardements qui ne cessent pas. Aviation et artillerie poussent méthodiquement la population survivante terrorisée vers Rafah dont la porte reste obstinément fermée ».  Le ton est détaché et chantant (le même que celui des présentatrices de chez nous), elle a la même élégance vestimentaire et les mêmes gestes gracieux. Comme chez nous, elle se retourne en souriant vers la caméra : « Voilà pour le bulletin de la journée ». Le petit Handala la regarde, les bras croisés dans le dos : « Et ?  Vous n’avez pas oublié la petite phrase de conclusion, celle sur l’éclaircie ? ». « Non, je suis désolée, je ne vois pas ça sur mes notes ».

Nous discutons de la présence constante de la télé allumée dans tous les foyers. « Tu sais, quand nous sommes allés en vacances chez M. en Bretagne, elle n’allumait jamais la télé. Au début, ça nous a fait drôle, ça nous manquait, et puis après on s’est habitués. On pouvait se promener dans le village, aller en forêt, aller visiter des musées et même aller à la mer. On se sentait en sécurité, peu à peu on s’est déstressés et puis on ne s’ennuyait jamais. Alors, on a fini par oublier complètement la télé ! Mais, ici, on ne peut aller nulle part, on est dans une grande ville mais c’est comme une prison. Même quand ça paraît calme, on ne sait jamais s’il ne va pas y avoir une entrée de l’armée et une balle « perdue ». Surtout, on ne peut pas quitter un certain périmètre : aller voir la famille, les amis à Zawiya ou ailleurs c’est dangereux, c’est toujours une prise de risque. La télé, c’est notre seule ouverture sur le monde qui n’est parfois qu’à 10 km, tu vois. Le problème c’est qu’elle ne nous apporte que des mauvaises nouvelles ».

Ramallah, 5 novembre 2023

Blinken à Ramallah aujourd’hui : nouvelle manif. Blinken à Ramallah, il faut quand même oser ! Oser venir comme oser recevoir. Tous les Palestiniens avec qui nous discutons sont furieux : à la fois contre l’émissaire américain et contre leur propre gouvernement. Il est clair pour tout le monde que mettre fin à ce conflit passera, tôt ou tard, par des négociations mais, pour les Palestiniens, « négociations » ne peut plus en aucun cas passer par la case « compromis » car dans le sinistre jeu de l’oie mondial ils ont sans interruption été les dindons de la farce : les jeux ont toujours été pipés d’avance, toujours les mauvaises cartes pour eux, avec les croupiers complices. Discuter, oui, mais sans droit de veto et pas sous les bombes. Beaucoup ont conscience que leur lutte est aussi le symbole de la lutte de libération de tous les peuples opprimés, alors, au mieux, discuter et s’organiser avec l’Assemblée générale de l’ONU mais uniquement sur la base des droits inaliénables qui leur ont été reconnus : passer de déclarations purement formelles à une mise en œuvre effective mais arrêter de se prêter à des ronds de jambes dans l’espoir, un jour peut-être, de recevoir quelques miettes, régulièrement saupoudrées d’obus. Inconcevable d’avoir pour juge celui qui vous tue à petit ou à grand feu : pour les Palestiniens, cette rencontre d’aujourd’hui à Ramallah, en plein cœur de la Palestine occupée, n’est ni plus ni moins qu’une provocation du bras financier et du dealer d’armes de leur bourreau.

Dans le cortège, deux pancartes rédigées à la main avec le même message en français et en anglais : « Oh, fils de nos nations arabes, expulsez les USA, la France, le Royaume Uni, attaquez leurs intérêts, boycottez leurs produits ! ». Nous discutons avec les hommes qui les portent en nous présentant comme français et toujours la même réaction : « Nous ne sommes pas contre le peuple français mais Macron doit dégager ». Une femme à côté de nous intervient dans la discussion, elle est très remontée : « Personne ne peut comprendre ce que nous ressentons, ce que c’est que de voir nos enfants tués et le monde entier contre nous ! ». Une amie palestinienne tente de lui expliquer qui nous sommes mais rien n’y fait ; c’est la colère, la révolte qui parlent et, puisque nous sommes français, qu’on entende bien ce qu’elle a à nous dire, parce que, quand même « La France est une démocratie, non ? Macron n’est pas tombé du ciel, si ?! ». Comment la contredire ? Assurément, la question palestinienne aura désormais à s’inscrire dans les programmes politiques des uns et des autres en France. Dans l’immédiat, la femme continue, la révolte est toujours là, peut-être avec juste un peu moins de colère à notre égard : « Les gouvernements, tous les gouvernements, ils sont tous pareils, mon gouvernement aussi je le déteste, comme tous les autres ! Il n’y a qu’une seule chose qui les intéresse : l’argent, l’argent, l’argent ! Les êtres humains, ils n’en ont rien à faire ! C’est l’internationale de l’argent qui compte, rien d’autre, y compris chez les Arabes ! Terre promise, pas promise, ils s’en fichent totalement, ils sont ici, ils font ça ici uniquement parce que nous sommes sur la route de leurs intérêts ! Allah Akbar ! Allah Akbar ! ».

Karl Marx : « La misère religieuse est tout à la fois l’expression de la misère réelle et protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature opprimée, l’âme d’un monde sans cœur, comme elle est l’esprit des conditions sociales d’où l’esprit est exclu. Elle est l’opium du peuple ». On n’a souvent et longtemps retenu de ce très long texte qu’une courte phrase, jusqu’à ce que la théologie de la Libération venue d’Amérique latine et reprise en Afrique du Sud par des militants pour un autre ordre du monde ne vienne secouer les certitudes d’une partie de la gauche européenne et ne l’amène à considérer qu’on pouvait avoir, simultanément, une foi religieuse, des principes de justice sociale et une action contre la domination capitaliste synonyme d’injustices, d’oppression et de répression. Les propos de cette femme du peuple (manifestement sympathisante du Hamas) étaient clairs et sa perception des choses aiguisée et, même si elle en appelait à une justice divine, nous aurions tort, comme pour Marx, de n’entendre qu’une partie de son discours. Ce dont il est question aujourd’hui, et singulièrement en France, c’est de refuser de superposer une guerre religio -laicarde à la guerre sociale et internationale menée par les puissants contre les peuples. Il s’agit d’aller, au-delà des fois proclamées ou non proclamées des uns et des autres, vers une unité de lutte pour la justice et contre la domination de l’argent. De même, toute tentative à caractère ethnicisant serait, maintenant plus que jamais, criminelle : nous avons besoin de toutes les forces et de toutes les forces unies contre la barbarie. Et cette lutte ne peut être uniquement nationale ni européo centrée. Nous, les peuples, devons lier intimement nos destins. Ils le sont déjà, du fait de l’oppression généralisée des plus pauvres et des plus faibles partout dans le monde, mais c’est un lien subi dans lequel toutes les tentatives de divisions (nationalités, ethnies, religions, origines, sexe, etc.) peuvent facilement s’immiscer. Il nous faut constituer désormais des liens choisis qui respectent les différences, il nous faut construire, au-delà de toutes les frontières qu’on veut nous imposer, un projet global de libération. Mais ce projet ne pourra passer par le mépris ni l’exclusion des opinions religieuses ; il devra les intégrer en ce qu’elles sont aussi « l’âme d’un monde sans cœur », susceptible de servir de base, aux côtés d’autres bases, à la construction d’un monde nouveau expurgeant le capitalisme et ses scories. Si nous ne comprenons pas cela, nous allons dans le mur et la Palestine est actuellement la ligne de front.

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Après la manifestation, nous sommes partis marcher dans les collines de Ain Qinya avec un de nos amis. Paysages grandioses, oliviers, blocs de pierre cyclopéens, pentes vertigineuses, des « qasr » partout (antiques tours rondes de pierres sèches, basses et massives, dans lesquels les paysans se mettaient à l’abri lorsqu’ils venaient travailler aux champs), et toujours un « wadi » en bas (ruisseau parfois quasi à sec l’été mais gorgé d’eau en hiver : les plus importantes nappes phréatiques de la région se trouvent sous la Cisjordanie). On comprend pourquoi nos ancêtres sapiens s’y sont sentis si bien… On imagine des petits sentiers de randonnée, des fleurs, des bancs pour s’asseoir à l’ombre des arbres, des familles se baladant ou s’arrêtant pour lire des panneaux explicatifs, des parcours sportifs pour les jeunes jusqu’au sommet de la colline. Mais aujourd’hui, au sommet de la colline d’en face, il y a ces alignements de parallélépipèdes blancs : algécos de chantiers inoffensifs chez nous mais postes avancés tenus par les colons les plus extrémistes ici. Aujourd’hui, nous sommes les seuls promeneurs mais les terrasses sont jonchées de déchets. Notre ami est désolé : « Vous voyez, les gens viennent et laissent tout derrière eux ». Nous avons souvent eu des discussions, dans le passé, sur ce sujet avec plein de copains conscients du problème. « Qu’est-ce que tu veux, d’après toi qu’est-ce qui est le plus grave en ce moment pour les gens, des bouteilles et des sacs en plastique partout par terre, la puanteur des ordures ou l’odeur des bombes à Gaza ? ». Et, pour les plus pessimistes : « De toute façon, notre terre sera brûlée, et nous avec, alors… ». Mais tous disent : « Nous resterons, quoi qu’il arrive ». Je me dis parfois que nos petites préoccupations écologiques doivent vraiment leur sembler bien futiles, si elles ne sont pas tout simplement considérées comme indécentes…

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Dans la famille où nous sommes, il y a cette petite fille complètement craquante, avec ses éclats de rire permanents, son petit air coquin et déterminé, intelligente, drôle, malicieuse, gourmande de tout, tellement câline et en même temps tellement « persévérante » quand elle veut quelque chose. Du haut de ses 2 ans et demi, elle met autant d’application à répéter les mots arabes, anglais, français qu’à s’entraîner à reproduire les boucles et les bâtons sur son petit cahier. Et autant également à répéter : « Fi Kafer Akab ». « Tu vois, me dit sa grand-mère, on lui apprend à être gentille, polie… et aussi à mentir ! Elle doit absolument apprendre à dire qu’elle habite à Jérusalem alors qu’elle n’y a jamais mis les pieds et qu’elle habite en plein cœur de Ramallah ». Pourquoi ? Parce que son père est originaire de Jérusalem et pas sa mère et que si elle veut avoir un jour une identité (et la possibilité de voyager), elle ne doit pas être de Cisjordanie. Donc pour l’instant, à 2 ans et demi, cette petite fille n’a toujours pas d’existence reconnue.

Quant à sa tante, elle a eu le malheur elle aussi de tomber amoureuse d’un beau Jérusalémite et, double peine (comme sa sœur !) c’est une jeune femme indépendante qui ne veut sous aucun motif abandonner son travail à Ramallah. Son promis travaille, lui, à Jérusalem, une distance inférieure à celle séparant Rennes de Châteaugiron. Elle a son permis, sa voiture, lui aussi. En Bretagne, ils pourraient choisir de résider dans l’une ou l’autre ou dans un village entre les deux. Ici, c’est impossible. « Où allons-nous vivre ensemble ? Sur la lune, peut-être… ».

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17 h 45 : nous apprenons qu’une roquette israélienne lâchée per un drone vient de tomber à Ain Aata, au Sud Liban. Dans la voiture, une grand-mère et ses trois petits-enfants, pulvérisés.

En Israël, près de 90 médecins (parmi lesquels des gynécologues et de nombreux pédiatres) ont signé une pétition pour soutenir le projet de bombardements des hôpitaux de Gaza au nom de la lutte contre le terrorisme et du droit à se défendre… Craig Mokhiber; dans sa lettre de démission évoque la radio des mille collines : y aura-t-il un jour des poursuites contre les fauteurs de génocide ?

A partir de 18 h (d’après ce que nous en savons), des bombardements intensifs reprennent : est-il plus courageux de bombarder de nuit ? Dans les hôpitaux il n’y a plus de carburant pour les générateurs, les médecins soignent bien souvent à la lueur de téléphones (seuls les panneaux photovoltaïques apportent un minimum d’électricité, quand ils n’ont pas été détruits). Il n’y a plus de lits non plus. Les blessés arrivent parfois dans des camions à bestiaux et sont déchargés à même le sol, sur le carrelage, lorsqu’il s’agit d’enfants, on en met deux par lit, directement sur le métal des sommiers, il y a longtemps qu’il n’y a plus de matelas. Qui peut justifier cela et se regarder encore dans une glace ?!

Je suis désolée de ne pas vous parler fleurettes ni rêves de réconciliation universelle. Pourtant, je fais des efforts. Mes amis palestiniens surtout font des efforts, des efforts titanesques pour continuer à parler de la vie, mais là, franchement, il y a des moments où trop c’est trop !

Et, par là-dessus, la lecture de la déclaration d’Abu Mazen après sa rencontre d’aujourd’hui avec Blinken : L’Autorité palestinienne retournera à Gaza… si une solution est trouvée, l’Autorité remplira complètement ses responsabilités dans le cadre d’une solution constructive sur toute la Cisjordanie et la bande de Gaza. Réactions des gens, pourtant ordinairement mesurés : « Espèce de m… ! », « Les tanks peuvent entrer à Gaza par force mais, s’il ne disparaît pas avant, jamais Abu Mazen ne pourra y pénétrer. Et ce n’est pas le Hamas qui l’en empêchera, c’est la population. Avec les dents si nécessaire ».   

Ramallah, samedi 4 novembre 2023

TV arabe, quatre fenêtres : Londres, Paris, Jordanie et.. ? Londres, Paris, Washington : manifestations monstres. Jordanie : rencontre des chefs d’États arabes avec Blinken. Londres, Paris : avec ou sans parapluies, drapeaux multicolores, majoritairement aux couleurs de la Palestine, mais pas que, rouge et arc-en-ciel aussi, slogans repris par les foules en colère. Jordanie : pupitres, messieurs en beaux costumes occidentaux avec cravates de couleur ou tenues traditionnelles, discours lénifiants. La rue jordanienne est moins calme ! Quatrième fenêtre : silence, fumées grises montant d’amas de décombres gris. Paysage lunaire : Gaza by day.

Nous avons été peu un surpris aujourd’hui en regardant France 24 (je ne suis pas sûre qu’il faille rajouter le mot « agréablement »…). Images rapides (mais quand même images) des ambulances bombardées hier soir mais pas trop choquantes : pas de cadrages serrés sur les blessés ni les morts, juste quelques traces de sang au sol, le parechoc d’une ambulance arraché, des trous dans la carrosserie, faits par des éclats d’obus (les dégoulinures de sang sont hors champ), des gens qui courent dans tous les sens (pas de cadrages sur les visages terrifiés). Brève interview d’un médecin de Gaza puis du responsable de la Croix Rouge et du croissant Rouge en Suisse : il confirme que les ambulances bombardées faisaient bien partie d’un convoi médical qui se rendait à Rafah pour faire soigner des blessés et des malades en Égypte et que cela avait été annoncé. « Est-ce qu’il y avait des gens du Hamas dans les ambulances comme le dit Israël ? ». « Je n’y étais pas mais je peux confirmer que nos équipes y étaient et qu’elles travaillent dans des conditions très difficiles où elles risquent leurs vies ». « Êtes-vous invité à la conférence pour la paix à Paris le 9 ? ». « Je n’ai pas entendu parler de ça ». -Je n’ai pas noté mot pour mot ce qui a été dit car je n’avais rien sous la main pour écrire, mais je pense ne pas trahir les échanges –

Des images aussi de travailleurs originaires de Gaza, kidnappés, emprisonnés, torturés en Israël puis ramenés par l’armée à Gaza. On voit en gros plan les blessures aux poignets, les bracelets de chevilles bleus avec des numéros et les visages exténués des hommes. Commentaire : « Il semble que les faits décrits par ces hommes soient attestés, de nombreuses vidéos circulent à ce sujet sur les réseaux sociaux ». On apprendra qu’Israël a fait un communiqué à ce sujet, déclare que l’armée va mener une enquête et qu’un réserviste a été limogé.

Près d’un mois pour que les images de ce qui se passe ici franchissent le barrage des écrans de télé ! Ça ressemble à de la censure militaire dans un pays en guerre ou je me trompe ? La France est-elle en guerre ? Ou bien y a-t-il un réel problème de démocratie, d’autocensure ?

Aujourd’hui il y a eu des manifestations montres partout dans le monde pour exiger l’arrêt des bombardements et la justice pour la Palestine. Nos téléphones sont bombardés de photos et de vidéos envoyées par les copains et les copines de Rennes : première manif interdite, deuxième une soixantaine de personnes, troisième 400 ou 500, aujourd’hui entre 1800 et 2000. Macron peut bien aller se rhabiller dans son beau palais de l’Élysée avec ses menaces à la noix vis-à-vis de son peuple ! Il ne va quand même pas essayer de redorer son blason en se présentant maintenant (qu’il a un peu le feu aux fesses !) comme un grand pacifiste après tout ce qu’il a dit ?! Si, sûrement, on apprend à n’avoir aucune pudeur dans certaines « grandes » écoles.

Les Palestiniens sont contents en voyant toutes ces preuves de solidarité populaire, contents pour nous, aussi, qu’on ait fait (un peu) reculer notre gouvernement. « Il faut continuer les mobilisations partout, il ne nous reste plus que ça comme point d’appui – d’autres disent qu’il ne leur reste plus qu’Allah – On espère tous que ça va être efficace… et qu’on ne sera pas tous morts avant ! ».

*

Samedi 4 novembre, direct, 21 h : Une cage : Gaza. Une cage dans la cage : le camp de réfugiés de Jabaliya. Pilonnages depuis plusieurs jours et ce soir encore : explosions, phosphore, brasiers, boucherie ! Les sauveteurs brûlent leurs mains nues sur les décombres encore fumants pour tenter de sauver des gens pendant qu’en arrière-plan ça continue à pilonner ! Un homme hurle face à la caméra : « Mais qu’est-ce que vous faites ?! Qu’est-ce que vous faites ?! Maintenant, c’est soit notre village, soit le paradis directement, le plus vite possible ! ». Et ça continue à exploser derrière. C’est juste totalement hallucinant !

Ça sonne à la porte. C’est la famille qui arrive : pas facile de rester seuls chez soi face à ces images.

Bilan d’après l’ONU : 9061 tués (dont près 4000 enfants et 3000 femmes), 22 911 blessés, 1 048 000 personnes déplacées.

Israël ne communique guère sur ses pertes. Le Hamas annonce avoir détruit 24 tanks.

Ramallah, 3 novembre 2023

Plusieurs juges de la CPI commencent à dire qu’il n’y a aucun doute que des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité aient été commis dans la Bande de Gaza. Un jour, c’est sûr, dans un an, deux ans, trois ans, après de longues et minutieuses enquêtes, après la production de rapports, grâce à des piles de dossiers signés et contre-signés, les choses seront attestées et le tampon de l’Histoire pourra être apposé sur leurs couvertures. Les morts seront scellées.

Mais les pleurs du petit garçon de Gaza (à la tête entourée de masques anti-Covid parce qu’il n’y a plus de pansements) continueront à résonner dans nos oreilles : « Je ne veux rien au monde. Je veux juste Maman ».

Le 28 octobre, un géant s’est dressé : Craig Mokhider, directeur du bureau de New York du Haut Commissariat aux Droits de l’Homme. Dans une longue lettre de démission, il déroule toutes les responsabilités passées et présentes de tous. Ce texte majeur, rédigé par un juriste spécialisé dans la défense des Droits de l’Homme, qui a travaillé sur les génocides des Tutsis, des musulmans bosniaques, des Yazidis, des Rohingyas n’a pour l’instant pas été porté à la connaissance du public dans les pays occidentaux. On y lit notamment : « … les médias occidentaux, de plus en plus captifs et liés à leurs États respectifs, violent ouvertement l’article 20 du ICCPR (Pacte international relatif aux droits civiles et politiques). Ils déshumanisent en permanence les Palestiniens pour faciliter le génocide. Ils diffusent de la propagande pro-guerre  et des appels à la haine nationale, raciale ou religieuse – une incitation à la discrimination, à l’hostilité et à la violence. Les entreprises de médias sociaux basées aux États Unis étouffent les voix des défenseurs des droits de l’homme tout en amplifiant la propagande pro-israélienne… A la suite de ce génocide, ces acteurs devront également rendre des comptes, comme ce fut le cas pour la radio des Mille collines au Rwanda ».

A 15 h, Nasrallah fait un discours à rallonge. Pour ne rien dire de nouveau.

Le générateur de l’hôpital Shifa vient lui aussi de cesser de fonctionner : plus d’assistance respiratoire, plus de couveuses, plus de bloc chirurgical. Les médecins décident, malgré les risques que représente le transport, d’évacuer certains blessés vers le Sud. Tout le monde est averti : la Croix Rouge, le Croissant Rouge, l’armée israélienne, les heures sont précisées. A 16 h, une bombe tombe au milieu des ambulances du convoi médical, à proximité immédiate de l’hôpital. Au moins 10 tués et un grand nombre de blessés. Un homme devant la caméra : « Honte, honte, honte à vous, les Arabes, les Musulmans, les Chrétiens ! Honte à vous ! »

17 h 50 : une autre bombe à proximité immédiate de l’hôpital indonésien.

20 h 30 : bombardement de l’école, dans le camp de réfugiés de Jabaliya qui présente désormais à peu près le même tableau qu’Hiroshima.

Mon cœur est rouge

Mon sang est rouge

La terre est rouge de mon sang

J’avais quatre ans et je m’écoule sur la terre

qui se gorge de moi

Et fera germer le blé demain

peut-être ?

Mais j’avais quatre ans

Et je vous appelle

Ma bouche est pleine de poussière

Ma langue desséchée cherche le chemin de lumière

Pourquoi ?

J’aimais me cacher dans les branches entortillées du jasmin

J’aimais entortiller les cheveux de ma mère

qui sentaient le jasmin

Mais les cheveux de ma mère

sont entortillés dans des doigts de fer

et poissent dans la poussière

J’avais quatre ans

Demain, certains montreront mon image

en criant victoire

D’autres la montreront en promettant

victoire, plus tard

J’avais quatre ans

J’appelle de derrière mes yeux blancs

J’appelle du ventre de ma mère

de ses ovules

de ceux de sa mère

et de la mère de sa mère

J’appelle du fond de l’injustice

Mes appels sont des bulles

dans un océan d’indifférence

J’avais soif

de caresses, d’eau, de fruits

mais vous avez labouré tous mes champs

de vie

à coups de détonations et de phosphore

          Et vous l’avez justifié

La main de marbre de ma mère serre

mes doigts de glace

sous un déluge de feu

Des nuages de cendres étouffent votre gorge

          Vous êtes morts pour l’humanité

Des farandoles d’enfants nagent avec moi

Sous le sable de l’horreur

J’avais quatre ans

Pas un jour de plus.

Ramallah, le 2 novembre 2023

Cette nuit, l’armée est entrée dans Ramallah, plus précisément à deux pas de notre quartier, vers 3 h, 4 h, 5 h du matin ? Nous ne savons pas exactement, il y a apparemment eu des tirs fournis mais nous n’avons rien entendu : le manque de sommeil commence à se faire sentir chez tout le monde, il faut croire que lorsque nous nous endormons ça ressemble plus à un coma qu’à autre chose ! Chaque matin, les nouvelles arrivent en avalanche, par Facebook d’abord, avant d’apparaître à la télé. Le centre du camp de Jénine en Cisjordanie commence à avoir un petit air de Gaza sous les bombes lâchées par les avions il y a 2 ou 3 jours (7 heures d’attaque de l’armée) et sous les tirs au sol de cette nuit. Cette nuit, pendant que nous dormions, grande offensive sur toute la Cisjordanie : en plus de Ramallah et d’El Bireh, Betunia, Naplouse, Jericho, Hébron, Dura ,Qalquiliya, Beit Surif, Beit Fatjar et, de nouveau, les camps de réfugiés de Jénine, Jelazon, Deheishe… Trop tôt pour connaître le bilan total à 7 h du matin : il semblerait qu’il y ait au moins une vingtaine d’arrestations, et un tué à Qalquiliya. Le générateur principal de l’hôpital indonésien dans la Bande de Gaza ne peut plus fonctionner. La guerre sort de Gaza.
Une des filles de la famille, qui travaille pour une organisation d’aide aux soins d’urgence, devait partir à Gaza pour son travail le 9 octobre, deux jours après le déclanchement de la guerre. Nous nous épaulons pour tenir le coup. Avec des choses qui peuvent paraître dérisoires.

Hier après-midi, après la manifestation, nous sommes passés prendre un café chez une des filles de la famille. Ils ont une petite terrasse remplie d’arbres et de fleurs multicolores, l’appartement est vaste, sobre mais meublé avec goût ; ça pourrait être celui de n’importe quel cadre en France, quelques broderies palestiniennes en plus. Nous parlons tant et tant de « la situation » quand nous nous voyons… Cette fois nous avions tous besoin d’autre chose. Le mari de la jeune femme nous pose une foule de questions sur la France. L’année dernière, il est allé visiter son ami d’enfance qui vit à Paris depuis 7 ans : il y a fait une thèse à la Sorbonne et travaille bénévolement pour des associations afin de donner un coup de main aux migrants pour rédiger leurs dossiers de demandes d’asile. Il dit qu’il a été effaré par le nombre de personnes vivant à la rue, il sait que des Français aussi n’ont pas où se loger. « En Palestine, ça n’arriverait jamais, même les gens pauvres aident les gens pauvres, ici il n’y a personne dans la rue ni personne qui reste sans manger. C’est ça notre vraie richesse, notre force : notre solidarité ». Mais il comprend que la France, avec son flot de réfugiés qui arrivent… Nous donnons quelques explications : leur faible pourcentage par rapport à la population, comment les employeurs sont bien contents de trouver des esclaves sans-papiers, etc. Ses beaux-parents qui sont venus passer des vacances en Bretagne lui ont dit que c’était une région « particulière », jadis indépendante, avec sa propre langue. Il nous demande des détails sur notre histoire : « Ah ! donc vous avez servi de dote pour le roi de France ! ». Il nous demande s’il y a encore aujourd’hui des gens qui revendiquent l’indépendance, nous lui parlons des mouvements bretons, de la Révolution française, de la seconde guerre mondiale, de comment à l’école mes parents étaient punis s’ils parlaient breton. Il nous demande si c’est vraiment une langue très différente du français, si on peut lui dire quelques mots en breton et s’il y a des écoles qui enseignent notre langue, nous lui parlons des trop rares classes publiques bilingues et de l’école Diwan : « Good ! ». Nous jouons avec la petite de deux ans et demi, elle nous apporte un livre cartonné « Mes 100 premiers mots ». « Ech ? ». Elle donne les noms des animaux en arabe… et en anglais ! Je pense que je vais l’engager comme prof ! Maintenant, son grand-père veut rentrer, il ne peut rester longtemps sans être branché sur les infos. Lorsque nous partons, la petite éclate en sanglots. Deux heures plus tard, toute la famille est de nouveau réunie chez les grands-parents : les filles mariées ont préparé des plats, celles qui sont encore à la maison en ont fait d’autres. Tout le monde ressent le besoin d’être ensemble le plus souvent possible. Nous jouons au ballon, à cache-cache avec les enfants. Quand tout le monde est parti, je ne sais pas comment cela arrive sur le tapis, mais je me mets à parler poésie avec une des filles qui a 22 ans. « Ah bon ; vous avez connu Hussein Barghouti ? ». « Ben, euh, oui un peu ». En fait c’était le copain d’une amie à nous, nous avions passé quelques soirées avec lui dans les années 90. Il m’avait demandé de lui ramener de France des bouquins de Verlaine, Rimbaud, Baudelaire mais le sac où ils étaient m’avait été volé à la sortie de l’aéroport et je n’avais réussi à ramener de France… qu’une bouteille de vin ! La jeune fille m’explique qu’elle est fan de sa poésie, elle m’entraîne dans sa chambre pour me montrer deux tableaux qu’elle a faits et qui sont accrochés à la tête de son lit : un fond entièrement calligraphié avec un de ses textes et un visage qui transparaît de manière diffuse. Son père était professeur d’arts plastiques, son oncle un célèbre journaliste, dessinateur et poète palestinien. Hier, nous avons accompagné la famille sur sa tombe.

Ensuite, D. a cherché sur internet les mots arabes que la langue française a absorbés : parfois tout le monde rie beaucoup en entendant les transformations, les interprétations. Puis une des filles propose un jeu : identifier le drapeau d’un pays et donner le nom de sa capitale. Nous sommes battus à plate couture !

Ça c’était hier mais chaque jour est un jour nouveau. Nous venons d’apprendre qu’il y a eu deux personnes tuées cette nuit à El Bireh, pas très loin d’ici, et un (ou deux ?) soldats à Tulkarem, peut-être un autre ailleurs. « Les gens peuvent-ils imaginer, peuvent-ils se mettre à notre place ? Non, personne ne le fait. Tu vois, tu as passé ta vie et usé ta santé au travail pour élever ton fils, construire une maison. Les soldats arrivent, en une minute ils détruisent ta maison, ta voiture, la rue devant chez toi. Qu’est-ce qu’elle leur a fait la voiture ? Et en une seconde, une seule toute petite seconde, ils tuent ton fils. Et tu fais quoi ? Tu restes les bras croisés et tu leur fais un sourire ? Est-ce que, nous, on est allés détruire leurs rues, leurs maisons, leurs voitures ? Est-ce qu’on est allés tuer leurs enfants en Israël ? Est-ce que le bébé de Gaza qui est mort a fait quelque chose contre eux ? Les enfants veulent grandir, jouer, étudier, se marier, travailler, construire une maison. Qu’est-ce qu’on leur offre aujourd’hui ? Israël, les Américains, la France, ils veulent tous tuer Hamas mais qu’est-ce que c’est Hamas ? Un petit groupe politique, rien de plus. Israël dit que tous les habitants de la Bande de Gaza c’est Hamas (plus de 2 millions d’habitants !), qu’il faut les éliminer, que ceux de Cisjordanie ne valent pas mieux. Nous sommes tous Hamas, musulmans, chrétiens, agnostiques ? OK, nous sommes tous Hamas. Dans ce cas-là, c’est toute la population, y compris les enfants, qu’il faudra tuer ! Quand nous soutenons Hamas, c’est le refus de l’occupation et la résistance, à travers lui, que nous soutenons ».

13 H 50, nous recevons à l’instant une vidéo de Deir Sharaf (près de Naplouse) : entrée de l’armée et des colons. Avec une parfaite coordination, ils entrent conjointement par la route principale. Les colons commencent à s’attaquer aux gens sous le regard des soldats et à brûler les magasins et les maisons en déclarant vouloir brûler toute la ville. Alors seulement les soldats commencent à intervenir pour les repousser et cela part en bagarre. Commentaires des Palestiniens : « Si ça avait été nous, il y a longtemps que nous aurions été troués de balles, au lieu de recevoir quelques claques ! ». L’opération est toujours en cours, comme dans de multiples autres villages. On fera le bilan plus tard…

Ici, tout le monde attend avec impatience l’allocution de demain de Nasrallah, le leader du Hezbollah libanais. Bliken a lui aussi annoncé sa venue pour demain à Tel Aviv. L’attaque d’envergure d’aujourd’hui sur toute la Cisjordanie est un message clair.

Brusquement, ça sonne à la porte. C’est R. la sœur de notre hôte, elle attendait une fenêtre « météo » depuis plus d’une semaine pour venir nous voir de Beit Rima ! Elle apporte des gâteaux, des légumes de son jardin et des bouteilles d’olives pour partager avec les copains et les copines en France (je ne sais pas comment on va faire pour tout emporter le jour où on rentrera !). Elle se rappelle tous les gens qu’elle a rencontrés quand elle est venue en France en 2019, de la plage et de notre fichu clébard qui passait son temps à se sauver et après qui tout le monde courait au moins une fois par jour ! Elle dit que pour elle tout va bien (à part que sa ville était complètement bouclée depuis des semaines et que sa belle-fille est restée bloquée depuis lors à Ramallah où elle travaille dans une banque). « On a de la chance aujourd’hui, elle va enfin pouvoir rentrer à la maison avec nous, enfin j’espère ». « Et les olives ? ». « Pour moi c’est facile, les arbres sont presque tous autour de la maison, ceux qui sont plus loin c’est pas grave ». Il ne faut pas trop traîner pour repartir, les routes sont moyennement sûres la nuit…

21 h 49, nous regardons la chaîne de télévision « Palestine ». Un journaliste fait le point sur la situation à Gaza, ce n’est pas du direct. Brusquement, un bandeau défile : il vient d’être tué avec sa famille dans le bombardement de sa maison. Nous venons d’entendre son dernier message de journaliste. D’homme, tout court.

Ne plus manger

     Ne plus pouvoir manger

Ne plus se laver

     Ne plus pouvoir se laver

Ne plus dormir

     Ne plus pouvoir dormir

Savoir être dans le viseur d’un fusil

Savoir la cible en haut

sur le toit de sa maison

Voir passer les morts

Être soi-même mort de fatigue

Mort de terreur

Mort par anticipation

Accrocher sa voix vacillante

A un micro

Fixer ses yeux d’épuisement

A l’œil de la caméra

Et continuer

Coûte que coûte

Journaliste à Gaza

2 novembre 2023, 22 h 15

Ramallah, 1° novembre 2023

Hier soir, il y a eu une très grosse manifestation à Manara, les images des derniers bombardements et des enfants de l’hôpital indonésien étaient dans toutes les têtes, une immense colère explosait sur la place publique. Très vite, des tensions furent perceptibles entre les différentes tendances politiques. Le groupe des femmes était assis au centre avec leurs slogans « Liberté pour la Palestine, unité ! ». Elles souhaitaient que tout le monde s’assoit comme elles, une autre manière peut-être de montrer aussi une autre forme de résistance, ferme mais comment dire… moins machiste ? Je ne sais pas si c’est le bon terme. Elles ne sont pas forcément contre une résistance radicale (« Armée maintenant, on n’a plus le choix », disent certaines) mais elles semblent voir plus loin. Elles se réunissent régulièrement pour discuter politique : « Actuellement, politiquement, nous sommes dans la nasse mais nous devons quand même réfléchir à maintenant et à l’après et analyser aussi nos responsabilités communes ». Parmi elles, certaines tentent des démarches pour demander qu’il y ait une réflexion sur les programmations des chaînes de télés : « Ce n’est pas possible d’avoir en permanence, en permanence des images insoutenables sous les yeux. Bien sûr, il faut informer, faire connaître la réalité du fascisme israélien et son projet génocidaire mais il faut aussi d’autres espaces, d’autres temps pour pouvoir continuer à vivre, juste vivre, malgré tout. C’est terrible que les enfants aient en permanence sous les yeux les images d’autres enfants déchiquetés par les bombes ».

Au moment où j’écris, un des gendres de la famille vient de recevoir un appel de Rafah, au Sud de la Bande de Gaza. La conversation a été courte, j’imagine qu’ils se repassent des petites batteries solaires comme celle que j’ai filée à notre ami R. « Alors ? ». Sa correspondante plaint les amis de Cisjordanie : « Nous, nous avons les bruits des bombes mais, comme nous n’avons ni internet ni électricité, nous ne savons pas ce qui se passe à un kilomètre. Vous, vous avez les images, ça doit être horrible ». Et si la bombe arrivait sur eux, de toute manière, il serait trop tard pour réaliser quoi que ce soit ! Vu avec nos yeux d’Occidentaux, ça paraît difficile à comprendre mais ce n’est pas la première fois que nous entendons cette sorte de « décalage » (qui peut-être les sauve psychologiquement ?). Je me souviens de cette fois où notre ami R. s’était fait arrêter lorsqu’il avait été pris à entrer en fraude à Jérusalem pour aller voir sa femme et ses enfants. Après sa libération (pour laquelle il avait fallu payer une forte amende, sinon il allait en prison) nous lui avions demandé comment ça s’était passé : « J’ai eu de la chance, ils m’ont enlevé les menottes juste avant la catastrophe. J’avais un gros rhume et je sentais bien que j’avais la goutte au nez : ça aurait quand même été franchement la honte si je m’étais mis à morver devant eux ! Heureusement aussi que j’avais un mouchoir dans ma poche ! ». Face à l’insupportable, chacun trouve les chemins de traverse qu’il peut… Mais pour beaucoup, aujourd’hui à Gaza, il n’y a plus de chemins buissonniers. Quand les avions arrivent, c’est la terreur, quand la bombe est tombée c’est l’horreur (on serait aujourd’hui à 25 000 tonnes de bombes larguées en tout, soit 70 tonnes par kilomètre carré, d’après l’office gouvernemental des médias à Gaza, sur un territoire deux fois plus petit que Rennes Métropole). Entre les deux, c’est la recherche éperdue d’eau et de nourriture.

La colère était trop forte hier soir, les voix des femmes ont été couvertes et, une à une, elles se sont levées. Il y a eu un moment de flottement, des drapeaux verts du Hamas se sont avancés puis, voyant que la foule ne bougeait pas, ils ont fait marche arrière, puis ça a été les drapeaux jaunes du Hezbollah, même scénario, les gens se sont engueulés. La petite qui était dans les bras de sa tante s’est mise à pleurer, terrifiée. Un mec qui était à côté de nous a dit à une femme qui vociférait quelque chose comme « Ferme ta gueule, tu vois pas que tu fais peur à la petite ?! » et à moi « Elle est complétement débile, elle devrait avoir honte ! ». Nous nous sommes extraits de la foule et nous sommes allés sur le trottoir. Ici, aux manifestations, il y a beaucoup d’enfants qui agitent de petits drapeaux palestiniens faits à leur mesure et ils reprennent les slogans des adultes : « Ils doivent savoir qui ils sont, de toute façon, si nous ne leur apprenons pas, la première rencontre avec un Israélien s’en chargera ». N’empêche, ça me fait mal au ventre de voir un petit bout de chou brandir son drapeau comme un fusil. Ensuite il y a eu la prière et ça ne se fait pas de déranger une prière, alors ceux qui ne priaient pas Allah nous ont rejoints sur le trottoir, le temps de fumer une clope, d’échanger des nouvelles et de discuter politique. Et puis, quand les croyants les plus fervents ont fini, ils ont pris la tête de la manifestation : « Nous reprendrons Al Aqsa, nous reprendrons notre terre ! », « Libérez Marwan ! » (il s’agit de Marwan Barghouti, membre d’une branche du Fatah, emprisonné depuis 2002), tout cela ponctué à intervalles réguliers de « Allah Akbar ! ».

Aujourd’hui, et pour deux jours encore, c’est deuil et grève générale. Les gens de la famille ne sont pas allés travailler, beaucoup de magasins sont fermés mais pas tous (pendant la première Intifada personne n’aurait osé enfreindre le mot d’ordre) et le marché aux fruits et légumes bat son plein, comme si de rien n’était.

Aujourd’hui, il y a un nouvel appel à manifester mais, cette fois-ci, c’est devant les bureaux de l’ONU. Les manifestants y sont bien moins nombreux qu’hier et il n’y a aucun drapeau du Hamas ni du Hezbollah. Plusieurs femmes portent des pendentifs Handallah, le petit personnage de BD de Najil Ali, celui que l’on voit toujours de dos et qui observe le monde, avec ses trois poils sur la tête, et n’épargne personne : signe distinctif de la gauche palestinienne. Pendant un assez long moment, le rassemblement reste silencieux face aux bureaux de cette institution dont les textes ont si longtemps servi de point d’appui aux Palestiniens. Aujourd’hui, sur les marches, en-dessous des policiers qui bloquent l’entrée, trois panneaux sont brandis : « Armer les colons c’est du terrorisme », « Fin de l’apartheid now ! », « Stop genocide ! ». Beaucoup de gens portent devant eux des petits papiers qu’ils ont réalisés eux-mêmes : « Le procureur de la Cour Pénale Internationale doit agir maintenant », « Arrêtez le génocide d’Israël contre notre peuple ! », « Les criminels de guerre israéliens doivent être tenus pour responsables ». En vérité, le nombre de manifestants est relativement insignifiant au regard de la gravité de la situation et par rapport à ce qu’il était hier et totalement négligeable au regard de la grande ville qu’est Ramallah : les Palestiniens ne croient plus du tout en l’ONU. Maintenant, seules les armes parlent…

Une femme élégante vient saluer notre groupe : elle est de Gaza. Toute sa belle-famille vient d’être anéantie. Ce matin, elle a pris la peine de ne pas oublier de mettre ses boucles d’oreilles. Sa bouche nous sourit avec une grande politesse. Son regard est ailleurs.

On nous présente ensuite une femme, c’est l’épouse de Nael Al Barghouti, 63 ans, le plus vieux prisonnier du monde : emprisonné depuis 1978 durant 33 années consécutives avant 2011, date à laquelle il a été relâché à l’occasion des échanges avec le soldat Shalit, puis 2 ans de liberté, le temps de se marier, avant d’être à nouveau remis en prison par Israël. La femme nous parle des conditions de détention existant pour tous : peu de nourriture et de mauvaise qualité, seulement 2 tenues pour pouvoir se changer, pas de machine à laver, une douche au mieux tous les 2 jours (45 minutes par groupe de 10 prisonniers qui doivent passer un par un et la douche qui est éloignée de leur cellule), l’interdiction de voir leurs familles et les difficultés d’accès pour les avocats (l’avocat de son mari est Juif israélien) et, surtout, ce système inique de détention provisoire infinie (vous êtes arrêté sans que des charges soient formulées à votre encontre, donc sans aucune possibilité de constituer un dossier de défense et votre détention « provisoire » est reconduite, reconduite, reconduite). La femme veut vraiment nous parler plus longuement de tout cela et aussi de la terrible répression actuelle dans les prisons : des images terribles circulent sur les réseaux sociaux de prisonniers dénudés et humiliés du type de ce qui avait été révélé en Irak. Nous échangeons nos numéros de téléphone et elle nous serre la main : « Nice to meet you. We make a difference between the French government and the French people”.

Une journaliste palestinienne habillée en fluo et les cheveux teints en bleu vient embrasser nos amis : elle est manifestement du genre rigolote, à balancer des vannes à tout bout de champ. « Viva Colombia ! ». Le petit groupe qui reste sur le trottoir reprend en applaudissant. La Colombie, c’est le premier pays qui a rompu ses relations avec Israël dès le début de la guerre et il se trouve qu’elle y a passé de longues années. Elle repart en faisant un drôle de pas chassé sur le côté à la Charlot et se tourne vers nous en riant : « Ce n’est pas de la distinction française, c’est la classe colombienne ! ». Tout le monde éclate de rire mais nos amis lui disent que nous sommes français : « Désolée, je croyais que vous étiez anglais ! ». Son cameraman, lui-même colombien vient nous serrer la paluche avec un grand sourire : « C’est vraiment pas de chance pour vous ! ». Les amis tentent une excuse vis-à-vis de nous : « Tout le monde sait que vous n’êtes pas le gouvernement français ». La femme nous dit « C’est bien que vous soyez là. Bon courage pour le boulot en France ! » et elle repart en rigolant. Les choses sont très saines, elles sont dites avec franchise, sans aucune agressivité à notre égard, mais dites, quand même.

Nous ne sommes plus que 5 ou 6 sur le trottoir. « Vous devriez venir à une des réunions de femmes que nous faisons. Il ne s’agit pas seulement d’échanger des informations mais de réfléchir, de construire ensemble, enfin, d’essayer ». Nous avons déjà eu l’occasion de discuter avec cette femme et nous avons été impressionnés par la limpidité de ses analyses, nous lui proposons d’écrire un texte que nous pourrions diffuser. « Ce serait peut-être mieux, plutôt que de rapporter vos propos, avec peut-être des risques de déformations ». « Je n’ai pas la tête à écrire en ce moment, je vous fais confiance, n’hésitez pas, vous venez quand vous voulez à la maison. Enfin, il vaut mieux téléphoner avant, je suis un peu prise en ce moment ». Elle nous embrasse et nous dit : « Rendez-vous à la prochaine manifestation, n’est-ce pas ? ».
Parmi les manifestants, devant le siège de l’ONU, il y avait aussi un vieux pope orthodoxe.

Ramallah, 31 octobre 2023

Nous nous levons vers 6 h 30, la nouvelle vient de parvenir par Facebook, depuis Deheishe : l’armée a pénétré dans le camp. A l’appui, la photo d’une impressionnante colonne de véhicules militaires à l’entrée Sud du camp.  Les soldats sont entrés et ont investi le domicile de Nasser Al Laham, rédacteur en chef de la chaîne de télévision Mayadeen : est-ce que c’était leur principal objectif ? Dans ce cas, les forces déployées sont totalement disproportionnées. Ils ont pris son téléphone, ses outils de travail et ont embarqué son fils : le message est clair. Il est encore trop tôt pour en savoir plus. En ce moment, ça doit être la panique dans le camp, nous appellerons plus tard, histoire aussi de ne pas mettre en danger les gens que nous appellerons.

Hier, en France, une tribune signée d’un grand nombre de médias (dont le Figaro) et de dizaines de journalistes. Ils dressent le tableau de la répression à l’encontre des journalistes depuis le 7 octobre : 28 tués (dont 23 Palestiniens, 4 Israéliens, 1 Libanais). Ils exigent une protection de la presse sur le terrain et la possibilité de son accès immédiat à la Bande de Gaza. Ils mettent en garde contre ce que signifie un black-out total en matière d’information, (pour les populations civiles, pour la démocratie) et somment les gouvernements de prendre leurs responsabilités, les attaques contre la presse constituant des crimes de guerre au titre de l’article 8 du traité de Rome.

À ce tableau, on pourrait rajouter la destruction totale de la rue portant le nom de Shireen Abu Akleh et du mémorial à sa mémoire, par Tsahal lors de son entrée dans le camp de réfugiés de Jénine il y a 5 jours : un acte hautement symbolique. Shireen Abu Akleh était une journaliste palestino américaine, elle fut abattue dans l’exercice de ses fonctions, alors qu’elle portait tous les signes distinctifs nécessaires, par un snipper de l’armée le 5 mai 2022. Après avoir accusé, dans un premier temps, « des combattants du camp » de l’avoir tuée, l’armée israélienne a finalement reconnu que l’auteur du crime était bien un de ses soldats… mais suffisamment longtemps après pour que personne ne prête plus attention au correctif !

Ici, dans la maison, c’est l’heure de partir au travail et, comme dans toutes les maisons du monde à cette heure-là, tout le monde s’agite dans tous les sens, on avale à la va-vite la dernière gorgée de café, vite un coup de peigne, « Mince, où est-ce que j’ai fourré les clefs de la voiture ? », « C’est toi ou c’est moi qui fais les courses ce soir ? ». Et une dernière question avant que la porte ne se referme : « Do you need something ? ». Leur préoccupation majeure : qu’on ne manque de rien, qu’on puisse se concentrer uniquement sur ce qu’ils appellent « votre travail », c’est-à-dire faire savoir ce qui se passe ici. « Nous sommes tellement contents que vous soyez restés pour témoigner ». Nous, nous avons l’impression de ne rien faire, ou en tout cas pas grand-chose, à part discuter avec les gens, passer des coups de téléphone, regarder les télés arabes, chercher, traduire des articles, écrire, envoyer des mails. Ce que nous faisons, le peu que nous faisons, n’a absolument rien à voir avec un travail de journalistes : nous n’avons ni les compétences, ni la distance affective et politique par rapport aux événements, ni le courage non plus de ceux qui se trouvent sur le terrain des affrontements. Nous sommes comme des bernard-l’hermite, coucounés dans leur coquille, nous nous contentons d’en décrire les parois, jetant un œil vers notre mémoire et vers l’extérieur et ne sortant qu’accompagnés dans des endroits sécurisés. Autour de nous toute la famille s’agite pour aller bosser, faire des courses, faire à manger, on n’arrive pas à accéder à l’évier, à peine au balai, il a fallu se battre l’autre jour pour pouvoir préparer le repas (un bœuf bourguignon avec du citron à la place du vin, nous sommes dans une famille politiquement laïque mais culturellement musulmane). Nous avions jusqu’à présent tellement peur d’être une charge pour eux dans cette situation catastrophique bien qu’ils aient insisté pour qu’on vienne et qu’ils nous répètent trois fois par jour que nous pouvons rester aussi longtemps que nous voulons et qu’ils sont contents qu’on soit à leurs côtés. Mais, vue la tournure des événements, nous commençons à craindre autre chose. Avec les technologies modernes, tout est localisable. Les choses normales dans une démocratie, comme donner des nouvelles basiques, décrire ce que l’on voit autour de soi, le plus honnêtement possible, deviennent des sources potentielles de danger pour les personnes qui nous accueillent. Nous ne sommes que des petits rien du tout sans importance mais nous savons que peu d’étrangers peuvent en ce moment voir ce qui se passe en Cisjordanie et le ressentir au sein même de la population. Et cette fichue compagnie aérienne qui ne trouve pas de solution et le Consulat qui ne répond pas. Il va falloir qu’on discute ; peut-être serait-il plus sage pour tout le monde que nous changions de lieu de « vacances » ? Ne jamais oublier que nous ne sommes pas Palestiniens, que nous ne risquons pas grand-chose, que nous partirons tôt ou tard mais qu’eux resteront sur place. Déjà, le simple fait de continuer à vivre coûte que coûte est un acte de résistance…

Ici, la télé est allumée en permanence, j’écris avec le poste face à moi. Un homme frappe un âne à tour de bras avec un bâton en lui hurlant d’aller plus vite, son visage est déformé par la panique, il hurle, il hurle, il frappe et il frappe le petit âne blanc qui a dû être si joli et  si bien entretenu et le petit âne a les oreilles couchées de peur et ses grands yeux doux reflètent la panique et la terreur de l’homme et il fait ce qu’il peut, le petit âne, mais la rue est encombrée, de personnes et d’objets divers, à l’arrière des hommes poussent de toutes leurs forces la charrette accrochée à l’âne, comme si ça allait lui permettre d’aller plus vite. Sur la charrette, gisent des corps ensanglantés. Il n’y a plus de carburant à Gaza. Il n’y a plus d’espace pour les caresses des hommes.

Le porte-parole du gouvernement du Yémen lance une virulente diatribe à l’encontre d’Israël, l’accusant de crimes contre l’humanité vis-à-vis des Palestiniens. Il affirme le total soutien du gouvernement et de l’armée du Yémen aux Palestiniens. Une roquette a été lancée sur Eilat, elle a été détruite par le système israélien de défense anti-aérienne.

Je reprends mon texte, je veux parler de tout ce que la guerre actuelle a provoqué comme traumatismes, y compris politiques. Mais, de nouveau, les images à la télé. Insoutenables. Elles proviennent de l’hôpital indonésien de Gaza, elles sont tournées par des médecins, le son est très mauvais car il vient directement du micro d’un téléphone. Ce n’est plus le ton calme, posé, professionnel, c’est un cri de colère et d’accusation quand le médecin qui tient le téléphone circule entre des corps d’enfants atrocement mutilés, couchés à même le sol car il n’y a plus assez de places ; un autre soignant, au fur et à mesure, soulève les draps recouvrant les petits cadavres pour que les caméras les fixent à jamais, partout on entend des hurlements, des cris, des pleurs déchirants. Gaza, octobre 2023. Est-ce de la manipulation de parler de ça ?

Téléphone : le copain de Deheishe nous explique qu’hier déjà l’armée avait balancé des grenades lacrymogènes dans l’école primaire de filles de l’UNRWA, ce matin les soldats ont tiré sur les gens, plusieurs blessés dont un grave, un gamin fréquentant le centre culturel, on parle d’amputation, N. est effondré. Il y a eu aussi 9 arrestations.

Désolée, ce n’est plus possible, il faut que je sorte reprendre mon souffle.

Ramallah, 30 octobre 2023

Lazmi Al Nadim, journaliste à Gaza : même scénario que pour Al Dahdouh, il n’a plus de famille.

Ahmad Nofal, jeune père d’un bébé de quelques mois : il est passé hier par le check point près de Kafr Ni’ma que nous avons emprunté pour aller à Zawiya, tirs des colons, perte de contrôle du véhicule. Sa mort vient d’être annoncée.

Ramallah, 29 octobre 2023

Sur France 24 : « l’ONU met en garde contre la menace de l’ordre civil à Gaza et le pillage d’entrepôts ».

Déclaration écrite de l’ONU : « Des milliers de personnes dévastent un entrepôt de l’ONU à Gaza ; un signe de désespoir après plusieurs semaines de siège… Les gens sont effrayés, frustrés et désespérés… »

La porte-parole de l’UNRWA à Aman sur une télé arabe : « Depuis une semaine, 84 camions d’aide humanitaire, une goutte d’eau… très loin des besoins pour la survie… il faudrait au moins 100 camions par jour… nous avons besoin de carburant pour tout (hôpitaux, etc.), sans carburant nous ne pourrons plus fonctionner (y compris) pour aller chercher l’aide humanitaire à Rafah… (or) Israël continue à refuser le passage de carburant… Cette situation est inadmissible au XXI° siècle… L’ONU a une position très claire depuis le début concernant le droit humanitaire pour tous, de tous côtés… »

Humour palestinien ou réalité ? « Vous savez quelques ont été les premières aides humanitaires à arriver ? Des housses mortuaires ».

Ilana Cicurel, eurodéputée française de la République en Marche : « Je suis très attachée aux questions d’éducation ». A une question posée par Marc Botenga, eurodéputé belge, elle répond que oui, les écoles de l’ONU qui ont été bombardées abritaient des terroristes du Hamas.

Le Hamas annonce que 50 otages ont été tués par les bombardements. A Tel Aviv, des familles d’otages manifestent pour exiger un cessez-le-feu et l’ouverture de négociations. Le Hamas déclare être prêt à libérer tous les otages en échange de la libération de tous les prisonniers politiques palestiniens.

Un aéroport investi par une foule au Daghestan pour empêcher le débarquement d’un avion en provenance de Tel Aviv.

Nasrallah, chef du Hezbollah libanais, annonce qu’il prendra la parole vendredi prochain. Déjà, le Yémen avait tiré sur un bateau américain.

Tracts collés dans la nuit par des colons sur les parebrises des voitures garées dans la rue principale du village de Deir Istiya : menaces de mort, injonction de quitter les villes et les villages et de partir en Jordanie.

Une femme de Beit Hanoun (Bande de Gaza) tenant un bébé dans ses bras au milieu des ruines : « Où sont les Arabes ? Nous sommes partis en 48, nous sommes partis en 67, en 2001, et encore aujourd’hui, mais pour où ? Qui fait quelque chose pour les femmes et les enfants ici ? ».

Camp de réfugiés de Deheishe à Bethléem : une mère monte sur la terrasse de sa maison pour mettre du linge à sécher. Elle découvre son fils tué par balles. 

Ramallah, 27 octobre 2023

« Flying blue. Préparez -vous à de nouvelles expériences ». Deux jeunes femmes, blondes, rayonnantes s’embrassant avec effusion. Quand vous cherchez à savoir s’il y aura un jour possibilité de rejoindre la France depuis Tel Aviv, puisque votre vol Air France a été annulé, voilà ce que vous recevez sur l’écran de votre ordinateur. Comme un boulet de plus tombant sur « la terre sainte ». Le monde rit, le monde chante ou, plus exactement, l’image du monde. Les cendres retomberont, les mémoires oublieront, le monde pourra reprendre tranquillement sa course dans le mur. On hésite parfois entre le point et le point d’interrogation. Les fleurs auront l’élégance de refleurir au prochain printemps, quelques abeilles et quelques oiseaux en moins.

Beaucoup d’ami.es nous téléphonent de France, merci à eux et à elles. Merci surtout pour leurs paroles pour la Palestine blessée : leur voix est fondamentale ici parce qu’elle maintient ouverte une porte d’espoir sur le monde, avec le monde. Toutes ces voix de dialogue et d’amitié au-delà des murs, des frontières, des mers, des religions, des couleurs de peau et de langage sont des remparts contre la barbarie. Pas pour maintenant, c’est trop tard. Mais pour demain, dès l’aube.

C’est jour de congé aujourd’hui, ici, donc jour de manifestation à Manara, la grande place de tous les rassemblements, avec ses lions blancs sculptés au milieu. Manara, le centre de la capitale économique de la Palestine puisque sa capitale historique, Jérusalem, lui est refusée : depuis les accords d’Oslo, en 94, Jérusalem n’est plus ou difficilement accessible aux Palestiniens de Cisjordanie (ni bien sûr, encore moins, à ceux de Gaza). En échange, on leur a concédé le droit d’essayer de faire ressembler Ramallah à une capitale occidentale. « Ramallah dream », comme l’a si bien décrite Benjamin Barthe, avec ses grands immeubles classieux, ses villas de luxe, ses grands magasins rutilants, sa circulation infernale, ses plus grosses voitures du monde, ses golden boys gominés et ses barbies, ses loyers inabordables, sa vie plus chère qu’à Paris, sa population modeste rejetée sur les marges. Ramallah enfin occidentalisée, enfin civilisée. Ramallah, une prison relativement douillette pour les quelques-uns qui pouvaient s’enivrer à loisir des mêmes produits de consommation qu’à New York, Londres, Amsterdam, Berlin, Paris pendant qu’à quelques kilomètres de là des gens vivent dans la misère et meurent de l’occupation.

Mais la guerre est arrivée, celle que certains n’avaient jamais connue et que d’autres avaient oubliée. Depuis Gaza, elle a surgi dans chaque appartement, chaque mémoire, chaque conscience. Finies les chaînes stéréo surpuissantes s’envolant des fenêtres des BMW ou des Mercedes : les golden boys se sont recroquevillés sur la soie de leurs canapés : la rue est rendue au peuple, au peuple qui étudie, travaille et manifeste. Aujourd’hui, comme chaque vendredi (et même souvent entre deux vendredis en ce moment), il renoue avec les rues étroites du centre historique, avec les pierres usées par le temps des quelques vieilles maisons traditionnelles qui ont survécu à la déferlante de modernité et de dollars. Aujourd’hui, la manifestation a deux têtes : celle de la révolte contre l’occupant et celle de la réprobation des compromissions. Il y a quelques jours, un jeune manifestant contre les bombardements sur Gaza a été tué par une voiture de la police palestinienne. Le pourtour de la place est pourvu en observateurs de toutes sortes. Une grosse voiture blindée noire arrive et se place bien en évidence.

Les gens arrivent peu à peu. Au début, la plupart d’entre eux ont la cinquantaine ou la soixantaine, parmi eux beaucoup de femmes à la tête découverte. Les gens semblent se connaître, s’embrassent, discutent de la situation. C’est la gauche palestinienne militante ou proche du PPP, du FDLP ou du FPLP, cette gauche qui a porté la résistance civile de la première Intifada et a payé un si lourd tribu. La grande prière du vendredi finie, un nouveau cortège arrive et se mêle au premier. Un groupe relativement réduit se place en tête : drapeaux, discours devant les photographes et les cameramen, ce sont les « officiels ». Entre les deux groupes, totalement disproportionnés en nombre, plusieurs mètres sans personne : il n’y aura aucun mélange, comme une sourde réprobation silencieuse de la foule. « Free, free Palestine ! », « Stop genocide ! », « La Palestine est notre terre », etc. Un ou deux slogans sont lancés contre l’Autorité, ils ne seront pas repris : « L’heure est à la lutte contre l’occupation, le reste viendra après », nous explique un manifestant. Les militants du Hamas lancent leurs slogans, certains sont repris par tous, d’autres non : pour tous le Hamas est un des mouvements de résistance et sa voix doit pouvoir s’exprimer comme celle des autres. Très vite, un groupe important de femmes se forme, toutes mêlées, avec ou sans foulard : ce sont pour la plupart des jeunes filles d’une vingtaine d’années et ce sont elles qui vont donner le la de la manifestation avec une énergie incroyable, couvrant souvent la voix des hommes.

Deux journalistes de Radio France sont là et tentent de recueillir des témoignages. La femme nous explique que la veille (ou quelques jours avant ?) ils ont été agressés verbalement. Les Palestiniens et les Palestiniennes ont aussi accès aux médias occidentaux, ils connaissent la position officielle de la France. On est toujours quelque part, et quoi qu’on veuille, les représentants physiques du pays d’où l’on vient si l’on ne commence pas par dire qui l’on est et ce que l’on pense. C’est bien évidemment beaucoup plus facile pour des gens comme nous que pour des journalistes, pour des questions d’éthique professionnelle, mais aujourd’hui, au point où on en est, les Palestiniens attendent plus.

Plus tard, les amis palestiniens qui nous hébergent nous rediront une énième fois que leur maison est la nôtre, que nous pouvons leur poser toutes les questions que nous voulons et leur dire tout ce que nous pensons sans aucune crainte ni tabou. Nous leur parlons souvent d’Israéliens et de Juifs anticolonialistes du monde entier. Ils nous écoutent toujours avec beaucoup d’attention, parfois ils approuvent totalement, parfois ils nuancent, parfois leur position est tranchée (« Nous savons qu’il existe de bonnes personnes parmi eux mais maintenant elles doivent aller plus loin »), parfois il y a des nuances d’appréciation entre eux. Tout le monde discute de « la situation » en permanence, nous prend souvent à témoin, sollicite notre avis et nous rend, de fait, partie prenante du débat et des interrogations sur l’avenir. Mais, surtout, « que plus jamais aucun gouvernement occidental ne vienne nous parler de droits de l’Homme ! Nous ne croyons plus du tout en l’ONU ! Maintenant, nous ne comptons plus que sur nous. Et sur les peuples ». Ceux que nous côtoyons font parfaitement la différence entre Macron et le peuple français, ce sont aussi des militants qui ont toujours placé la question de la libération sur un plan politique et non religieux ou ethnique. Mais quand même, là ça commence à faire trop, beaucoup trop. Beaucoup n’espèrent plus rien des Israéliens dans leur ensemble, si ce n’est leur départ : « Qu’ils aillent demander l’asile aux pays qui les ont martyrisés pendant la seconde guerre mondiale et nous foutent la paix ! ».

Un des membres de la famille nous demande : « Pourquoi la femme journaliste française de tout à l’heure s’est-elle sentie obligée de mettre un foulard ? Qui croit-elle que nous sommes ? ». Nous expliquons que pour elle c’était sûrement une forme de respect. « Oui, mais quand même, à Ramallah ! Elle n’était pas obligée ! ». « Non, mais elle ne savait pas, ce n’est pas forcément facile quand on ne connaît pas le terrain ni les personnes. Elle avait l’air de vouloir comprendre et d’être honnête cette femme. Après, elle n’est qu’une journaliste de terrain, c’est sa rédaction qui va décider de ce qui passera, ou pas ». Je leur parle de l’excellent travail fait par une équipe de la télévision française lors de la fin du siège de Bethléem en 2002, de leur effarement (déjà !) quand ils étaient entrés dans la ville, de comment leurs images avaient été tronquées, des commentaires en voix off qui les dénaturaient complètement et du sentiment d’irrespect du travail professionnel qu’ils avaient fait qu’ils avaient dû ressentir. La question de la liberté de la presse est aussi une question fondamentale en France.

Ce soir, coupure d’internet sur toute la Bande de Gaza, bombardements, entrée des chars par le Nord, combats au sol entre l’armée israélienne et le Hamas. Apocalypse sur les écrans ! « This is the end… »

Bombardement du camp de Jénine en Cisjordanie.

Zawiya, 26 octobre 2023

Ce matin, Wael Al Dahdouh a repris son poste.

Nous avons aidé S. à cueillir ses olives. Nous pensions ensuite rentrer sur Ramallah mais un coup de téléphone nous a prévenus que la route n’était pas sûre ce soir alors nous attendrons demain matin.

Zawiya, 25 octobre 2023

Aujourd’hui, je voulais vous parler de nos retrouvailles avec notre ami Z., de notre visite au cimetière où nous sommes allés saluer sa femme et son beau-frère, des vestiges de l’époque byzantine juste à côté, du makloubé, de la tendresse des adultes avec les enfants, de la visite aux champs d’oliviers, du dernier thé de la journée pris avec les voisins sous le pécher, de comment les femmes parlaient cuisine et politique, de comment les hommes parlaient narguilé et politique, de comment Z. poursuit le travail de sa femme en accueillant des groupes d’Israéliens solidaires au village et de toute la reconnaissance qu’il a pour eux, eux qui se sont faits battre et traiter « d’ordures du Hamas » par les colons avant-hier quand ils sont allés aider les paysans à cueillir leurs olives. Je voulais prendre le temps de parler un peu de douceur, de l’odeur de la terre sur les mains, de la gentillesse de ces gens qui ne nous connaissent pas et viennent nous saluer au milieu de leur immense tristesse et de leur inquiétude. Je voulais moi aussi espérer un peu avec eux, malgré tout.

Et puis la nouvelle est tombée. Wael Al Dahdouh, celui que tout le monde arabe connaît depuis le 7 octobre, celui qui a couvert sans interruption, sous les bombardements, les événements de Gaza pour Al Jazeera, celui dont les traits se sont creusés au fil des jours mais qui n’a jamais failli à sa mission de journaliste, ce géant vient d’être foudroyé. Oh, ils ne l’ont pas tué physiquement, ils ont été plus raffinés que cela : une simple petite bombe sur sa maison et il n’y a plus eu aucun survivant de sa famille proche.

Tout le monde est atterré.

Ramallah, Zawiya, 24 octobre 2023

A peine arrivés hier à Ramallah, il était déjà question de partir vers le Nord : question d’amitié, quasiment de famille. Au cours de ces trente dernières années, la solidarité s’est aussi enrichie de relations affectives : depuis 3 semaines on était attendus à Ramallah, maintenant, c’est le reste de la famille qui nous attend sur Zawiya. Nous préparons nos sacs : « Prenez vos affaires pour plus de 2 jours, on ne sait jamais ». Non, on ne sait jamais de quoi demain sera fait en Palestine.

Petites routes dans les collines, entre les champs d’oliviers, où deux voitures peuvent à peine se croiser : « Our main road », disent les Palestiniens en riant. C’est un peu comme en Bretagne, il y a des murs de pierres sèches partout. Ici c’est la campagne, une campagne montagneuse et fertile, plantée de beaux arbres, riante sous le soleil : difficile d’imaginer que la guerre est à deux pas. A la radio on entend qu’une roquette est tombée quelque part du côté de Qalquiliya. Mince, ça risque d’être chaud sur la route car on va bientôt entrer dans l’énorme bloc des colonies du Nord ! On monte, on monte et, brusquement, il est devant nous : un grand mirador avec tout ce qu’il faut comme barrières et véhicules militaires. L’ambiance se tend un peu dans la voiture et voilà que la voiture devant nous ne trouve rien de mieux à faire que de caler ! « Allez, go, go baby ! ». Mieux vaut ne pas trop traîner dans le quartier ! On sort de la petite route cahoteuse pour rejoindre la route des colons : pas d’autre solution. Durant les 2 premières minutes, je compte 32 voitures à plaques jaunes avec souvent des drapeaux bleus et blancs flottant au vent et des conducteurs portant des kippas blanches, les colons parmi les plus extrémistes. Et seulement 2 voitures à plaques vertes, dont la nôtre. Des deux côtés, des blocs et des blocs de constructions, toujours sur les hauteurs comme de gigantesques châteaux forts ; certaines sont toutes récentes, à peine finies et encore inhabitées. De grands panneaux se succèdent sur le côté de la route : Neli, Neve Stuf, Ofarim… Aucun nom de village palestinien ; sur certains panneaux la traduction en arabe a été bombée. Et des grues en action au sommet des collines.

On téléphone avant d’arriver pour savoir si le passage est libre : pour pénétrer dans Zawiya il n’y a qu’une seule entrée sous le pont portant la route des colons, avec guérites militaires, barrières, blocs de béton. Elle est restée fermée une semaine mais aujourd’hui il n’y a personne, aucun soldat, et tout est ouvert ; on a de la chance. Par contre, dans le village, la majorité des gens n’osent toujours pas retourner au travail dans les deux villes voisines qui sont pourtant tout près : Masha, avec son énorme zone industrielle, et Bidiya la ville commerçante. A l’intérieur même de Zawiya, tout fonctionne au ralenti : le menuisier n’est pas retourné dans son atelier, quel intérêt de fabriquer de beaux meubles qui ne pourront pas sortir ? Seuls les agriculteurs sont bien obligés d’essayer de continuer, il y a les animaux et les olives qui n’attendent pas. Mais la surface des cultures d’oliviers s’est considérablement réduite quand Israël a décidé de protéger ses routes d’apartheid en élargissant les zones dites de « sécurité » tout autour. Notre amie S. l’a échappé belle, la limite imposée se trouve juste de l’autre côté du grillage de son champ. Sa voisine a eu moins de chance : elle nous montre les beaux fruits qui lui sont désormais inaccessibles. Lorsque nous demandons si nous pourrions, nous, peut-être y aller, sa réponse est ferme : « Non, surtout pas ! Personne ne doit risquer sa vie dans cette zone ».

Nous arrivons enfin chez S., sa maison avec tous ces flots de fleurs multicolores débordant par-dessus la grille. S., ses chats et tous les enfants du quartier pour qui c’est la maison du bon Dieu. En ce moment, elle essaie de soigner un petit chaton qui a les yeux infectés mais elle n’a rien d’autre que de l’eau et du thé pour le soulager pourtant, en temps normal, elle travaille dans une entreprise fournissant des produits vétérinaires. Une grande partie de la famille est là ; Z. et Baba vont essayer de venir de Deir Istiya demain. C’est fou de prendre de tels risques, n’est-ce pas, juste pour rencontrer des gens ? Mais, quand tout s’effondre, l’amitié est comme une perfusion vitale.

M Macron, vous qui arborez votre si beau costume ce soir à la télé, avez-vous des poches d’amitié vitale à fournir aux peuples ? Savez-vous, vous qui écoutez avec les mêmes yeux vides de toute expression les familles des otages israéliens et la liste des enfants tués à Gaza, savez-vous ce que signifie le mot « sentiment » ? M Macron, vous qui vous êtes envolé ce soir de Ramallah où vous êtes venu faire votre triste cirque, avez-vous oublié d’apprendre à aboyer pour communiquer avec les « animaux humains » que vous aviez en face de vous ? – Rappelez-vous comme votre silence assourdissant a été une approbation explicite à ce qualificatif – M Macron, vous qui disposez d’informateurs, de cabinets, d’agences, de diplomates, avez-vous seulement pensé à les consulter avant de proférer des âneries du type l’Autorité palestinienne et le peuple palestinien sont sur la même ligne que nous ? Savez-vous, M Macron, que vous êtes désormais, aux côtés du criminel de guerre Netanyahou, un des personnages les plus détestés de la planète par ce peuple dont vous prétendez connaître les pensées ? Savez-vous, M Macron, que pendant que vous tournez vos pouces impatients devant les caméras, des enfants meurent par dizaines à Gaza ? Savez-vous qu’on continue à tirer sur les ambulances et les hôpitaux qui n’ont plus d’électricité ? Avez-vous vu, M Macron, ce bébé au pied arraché hurlant de douleur ? Savez-vous qu’il n’y a plus d’antalgiques ?

Bilan de la journée : 700 morts au cours des dernières 24 h, dont 300 enfants, 50 tués entre 22 h et 23 h. Étiez-vous déjà arrivé à l’Élysée, M Macron ? Aviez-vous fait bon voyage ?

Devant le grand hôpital de Gaza, il y a une belle tente blanche avec le logo de l’Union Européenne : savez-vous, M Macron, à quoi elle sert ? Elle sert à stocker les corps des victimes des bombardements – que vous trouviez justifiés – pour que les familles (quand il en reste) viennent les identifier. Et savez-vous ce que les parents des enfants encore vivants écrivent au feutre sur leurs petits bras ? Allez, cherchez un peu, vous qui êtes si intelligent… Non, vous ne trouvez pas ? Ils écrivent leurs noms pour qu’on reconnaisse leurs futurs cadavres pour le cas où ils perdraient leurs têtes. Mais vous, M Macron, n’avez-vous pas perdu la tête depuis longtemps, effacée par votre bêtise, envolée sur votre monstrueuse froideur ? Et comme un méchant diable, vous essayez avec vos chers amis des gouvernements occidentaux d’entraîner le monde entier dans votre danse macabre. La France avait une voix, vous l’avez piétinée. Et, ce faisant, vous mettez aussi votre propre peuple en danger. Je suis désolée mais je ne trouve pas d’autre terme que celui d’irresponsabilité pour définir votre attitude.

Ramallah, 23 octobre 2023

Nous voilà arrivés à Ramallah. A Halhul, nous étions à moins d’un kilomètre de la sortie Nord de la ville, celle qui donne sur la grande route qui va vers Bethléem et Jérusalem. Mais elle est bouclée, alors il nous a fallu faire un détour invraisemblable vers le Sud, puis l’Est avant de rejoindre la voie de circulation sur laquelle roulent des camions et des voitures à plaque jaune avec souvent, en renfort, un drapeau israélien sur le toit. Tout le long du chemin, des miradors nous observent de derrière leurs vitres aveugles. Notre voiture aussi a une plaque jaune, sinon c’était prendre trop de risques mais, malgré cela, nous serrons les fesses en arrivant au check point du tunnel de Gilo gardé par un grand nombre de soldats (et de soldates) dont certain.es ne semblent pas, avec leurs carapaces de fusils mitrailleurs, avoir plus de 20 ans. Nous avons beaucoup de chance : dans la voiture, nous avons tous les yeux bleus ou verts. En temps de guerre, il semble que toutes les armes peuvent être utilisées : nous arborons nos sourires les plus diplomatiques, appuyés d’un petit geste de la main. Pas besoin de s’arrêter, à peine le temps de ralentir et la soldate nous fait signe de passer.

Ramallah fourmille d’activité : ici les voitures klaxonnent dans les embouteillages, les gens se pressent vers leur travail, les enfants vont à l’école et les magasins de robes de mariées sont ouverts. Ici, la guerre est ailleurs, sur les écrans de télé et dans les têtes. Partout, la même parole dans toutes les bouches : « La Palestine est notre terre et nous ne la quitterons jamais. Nous sommes prêts à payer le prix mais nous ne nous coucherons pas, parce que c’est notre droit. Tôt ou tard, nous gagnerons ». Les gens rajoutent aussi souvent qu’ils se souviendront de tout, point par point. Des êtres humains, de tous leurs frères humains de toutes les couleurs, de toutes les nationalités, de tous ceux qui n’auront pas soutenu les monstres et des monstres aussi. Ils évoquent Allah ou pas, les Arabes ou pas, les Turcs ou pas, le Hezbollah ou pas, parfois ils ne sont pas d’accord sur tout, y compris dans une même famille, et le ton peut monter légèrement. Mais, quand les images des enfants de Gaza jaillissent de la télé, c’est le silence. Total.

Ce soir, nous avons poussé jusqu’à Jifna, à 6 ou 7 km à vol d’oiseau : c’est la limite actuellement autorisée aux citadins pour aller se promener… mais personne n’a la tête aux balades ! Jifna, sa petite place avec ses arbres, sa fontaine, l’épicier (qui vend de l’arak), le petit café où les hommes jouent aux cartes, l’église un peu plus haut et, encore plus haut, la vieille ville avec sa citadelle datant de l’époque des Croisés. Depuis Ramallah, les pentes des collines se sont recouvertes d’un nombre hallucinant d’immeubles mais ici, à Jifna, rien ne semble avoir changé. A part qu’ils ont installé une grille tout autour de l’endroit que nous avions fouillé en 1996, qu’ils ont mis un écriteau « Christian church, 4° century after JC » et que de grands arbres ont envahie l’excavation. A part que l’entrée du village est barrée par des jeunes : d’en haut descend une manifestation pour Gaza. Sur la place, un vieil homme nous invite à boire un café : oui, il se souvient bien du groupe de Français qui est venu ici il y a 27 ans, son visage grave esquisse un léger sourire. Il se propose pour nous accompagner sur ce qui fut « le chantier » et nous dit qu’ils ont fini la restauration de la tour. Près des anciennes écuries des Croisés, transformées en centre de rencontre pour les gens du village, ils ont monté le haut d’un fût de colonne brisé et un linteau de l’antique église mise au jour en bas. Non, le monsieur ne sait pas ce que sont devenu les pièces que nous avions sorties de terre : le petit musée n’a jamais vu le jour. Sur les vieilles pierres des murs, les portraits peints de jeunes martyrs.

Avant de remonter sur les hauteurs de Ramallah, nous allons saluer la gigantesque statue de Mandela point levé. Des parterres de fleurs honorent en permanence celui qui avait dit un jour : « L’Afrique du Sud ne sera vraiment libre que lorsque la Palestine sera libre ».

Ramallah est silencieuse cette nuit : ni hurlements de chiens, ni tirs dans la ville, ni avions à passer au-dessus de nos têtes. Aurons-nous réappris à dormir lorsque nous retournerons vers Halhul ? Avons-nous le droit de nous engloutir dans le sommeil, maintenant, ou que ce soit ?

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