DE QUOI LE MOMENT PALESTINIEN ACTUEL EST-IL FAIT?

De quoi le moment palestinien actuel est-il fait ? Et quelles sont les tâches du mouvement de solidarité internationale

Novembre 2010.

Le bavardage sur le processus de paix qui aboutirait à la « solution des deux Etats », les positions en demi-teinte pratiquant l’ambigüité des « oui mais », des « immenses espoirs menacés »…souffrent d’absence d’analyse, remplacée par des attentes et des spéculations qui rejoignent dans les meilleurs des cas le champ des vœux pieux. La lutte du peuple palestinien arrive aujourd’hui à un tournant dans sa longue trajectoire, qui annonce la fin d’une étape commencée en 1965 avec la naissance du mouvement des Fédayins et du nouvel OLP. Il est pertinent de constater que ce changement croise et recoupe celui que connaît le mouvement de solidarité internationale avec cette lutte, notamment par l’adoption de la campagne de Boycott, Désinvestissement et Sanctions contre Israël. Nous ne pensons pas que ce recoupement soit le fruit d’un hasard.

I – Pourquoi conserve-t-on le cadavre ?

Le processus de paix, tel que né des accords d’Oslo, est bien mort. Mais ceci ne veut en aucun cas dire que son maintien factice en vie est sans conséquences. L’exercice qui consiste à conserver le cadavre en état présentable pour l’exposer et donner un semblant d’action possède une double fonction : 1) remplir le vide, car reconnaître l’échec et s’engager dans une autre voie est très coûteux pour les partenaires Palestiniens et Arabes qui l’ont porté, et en sont devenus ses otages et ses bénéficiaires en même temps, 2) permettre un certain camouflage de la progression des plans d’expansion des colonies, de leur enracinement, de la judaïsation de Jérusalem, de l’implantation d’un système de type apartheid en Israël même, du refus définitif du retour des réfugiés, et de la diabolisation de Gaza et sa mise à l’écart…des bonnes raisons pour que les différents gouvernements israéliens jouent le jeu. Les positions américaines et européennes officielles en sont les complices consentantes, nullement pour des raisons obscures ou essentialistes, mais parce que leurs intérêts se recoupent. Leur souci majeur commun étant de conserver l’ordre établi en général, indépendamment du respect de toute notion de justice ou de droit. Des petits intérêts rentrent parfois en jeu, tels le besoin de reluire l’image d’Obama avant les élections du Congrès, ou celui d’alléger l’impact de la détérioration de la situation américaine en Iraq et en Afghanistan…

Mais quel est l’intérêt de la direction palestinienne ? Est-il exact que les autres alternatives sont inexistantes et que seule la participation aux négociations actuelles garantit aux Palestiniens une présence sur l’échiquier politique international, sans quoi leur cause sera négligée et leur sécurité encore plus menacée ? Est-il exact que le rapport de force ne permet pas mieux actuellement, mais qu’une avancée par étapes peut conduire à des améliorations futures ? Est-il exact que l’alternance de la bonne volonté affichée, d’une souplesse satisfaisante aux yeux des Américains et de quelques épisodes d’intransigeance est une tactique payante ? Dans la complexité de la situation palestinienne, l’impuissance d’imaginer d’autres perspectives que ce qui est en cours, de voir l’horizon et non pas la forêt, peut conduire au désespoir.

Par ailleurs, la façon adoptée par l’AP pour aborder la question palestinienne aujourd’hui fait partie du système de reddition en construction. Car c’est d’un « système » qu’il s’agit, c’est à dire d’un ensemble articulé et opérationnel, dont font partie les négociations dites « directes » entre l’Autorité palestinienne et Israël, qui vont reprendre rapidement dès qu’une porte de sortie capable de sauver la face de l’AP sera trouvée.

II – Des négociations pour la paix ?

Tout d’abord, de quelle « paix » s’agit-il ? D’une coexistence « pacifique » entre les deux peuples, but louable en soi s’il n’ignorait pas qu’un des deux peuples est soumis à la colonisation expansionniste, à la répression brutale et au déni de droits. Une paix ou même une coexistence pacifique ne peut se construire sur une situation aussi extrême de domination. Il faut caractériser cette situation, son camouflage sous un faux nom est une tromperie.

Mais « que faire alors ? » dit une Autorité palestinienne qui s’enfonce dans ces négociations sous visa arabe (c’est se couvrir mutuellement), ne cesse de parler de « rapport de force » qui lui est défavorable, prétend parfois qu’elle cherche à démasquer Israël devant le monde entier, et particulièrement devant les Etats-Unis, espère que ceci donnera au peuple palestinien un début de justice, un Etat palestinien, même en forme de Bantoustans, sans souveraineté et sous totale domination, mais qui sera « un pas en avant ». C’était, rappelons-le, Yasser Arafat qui avait qualifié de Bantoustans ce qui lui était proposé durant les négociations de Camp David 2, refusant de cautionner ce résultat.

Examinons ces arguments qui sont les fondements des multiples justifications que pratique l’AP, et avec elle tous ceux qui pensent qu’il faut être « réaliste » et « pragmatique ».

1) La dégringolade des pouvoirs arabes, déjà en œuvre, a été accélérée par l’occupation américaine de l’Irak. La catastrophe vécue par ce pays est multiple, de la dictature violente, aux terribles guerres successives, à l`occupation. Le chaos installé est « utilisé » par les régimes arabes comme prétexte à plus de répression interne et en même temps à plus de soumission à la volonté de Washington. Que l`occupation ait échoué à établir un ordre stable (qui se voulait exemplaire pour générer « le Nouveau Moyen Orient ») ne change rien au fait que l’armée et la diplomatie américaines sont sur place et gèrent directement un des pays les plus importants de la région de par sa place géostratégique et les richesses pétrolières (et autres) qu’il possède. Egalement certains régimes arabes considèrent que les EU sont leur protecteur face à l`Iran (présenté comme une menace, parfois qualifiée de « shiite »). Nous l’avons bien vu au moment de l’agression israélienne sur le Liban en 2006, l’Egypte, la Jordanie, l’Arabie saoudite (pour ne citer que ceux-là) soutenaient l’agression et espéraient ainsi en découdre avec le Hizbullah et la Syrie, et casser cet « axe » qu`ils considèrent comme mené par l’Iran. Que ceux des gouvernements européens qui continuent de dire « mais où est le monde arabe » pour justifier leurs positions complices d`Israël – sous prétexte qu`ils n`ont pas à devancer les pays arabes – cessent leur hypocrisie ! Les pouvoirs arabes dans leur majorité écrasante font partie de l’axe américano-israélien, et le mélange répression/corruption/misère qui maintient dans la peur et l’impuissance les sociétés est très efficace. Un 2ème élément doit être évoqué, qui a accompagné la montée en force de l’OLP. C’est celui de l’autonomie palestinienne revendiquée (à juste titre, afin de protéger le mouvement palestinien naissant des visées hégémoniques et des interventions manipulatrices des pouvoirs arabes). Cet objectif a acquis au fil du temps un autre sens, il a été perverti en quelque sorte au fur et à mesure que le mouvement palestinien perdait la base territoriale – le Liban – qui lui permettait une marge d’autonomie. Avec le concours d’autres éléments, il a fini par signifier une distanciation entre la question palestinienne et son environnement. Il est clair que si l’autonomie palestinienne conduisait au détachement de la question palestinienne de sa matrice arabe, le rapport de force serait évidemment au désavantage des Palestiniens. Ce qui nous conduit au point suivant.

2) Le rapport de force ! Formule magique pour tout justifier, alors qu’il n’est en soi que l’autre nom de l’exercice politique. Aucun rapport de force n’est immuable ou stable, tout rapport de force se mesure dans l’action. Quand Sadate signe un accord unilatéral avec Israël en 1978, il ne se soumet pas à un rapport de force figé, mais fait plutôt un choix qui influe et modèle le rapport de force, qui le crée même en quelque sorte, et qui génère des conséquences. Le choix est certes dicté par de multiples calculs et considérations. Mais « le rapport de force » ne peut pas être un paravent ou un essuie-tout. Il ne peut en aucun cas justifier les négociations avec Israël telles qu’elles sont pratiquées, sans référence aux constantes ou aux fondamentaux nationaux (ces fondamentaux sont ce que les pays appellent leurs « intérêts vitaux »), sans lien avec la référence au Droit (quelles sont les « droits inaliénables du peuple palestinien », quel rapport au droit international, sinon à quoi sert-il ?), et sans aucune stratégie. Soyons clairs : il ne s’agit pas de condamner le principe de négociation en tant qu’outil politique, (ce serait absurde), mais de l’encadrer et de définir à chaque étape son objectif et ses conditions. On nous dit souvent que la lutte armée pour la libération nationale n’est pas un but en soi mais un moyen, qu’elle n’est pas sacrée, et c’est vrai. Il en est de même des négociations ! Aucun mouvement de libération n’a jamais refusé de négocier avec son ennemi. Mais il s’agit de décider du programme, de l’opportunité et des manières de faire. Les négociations palestino-israéliennes se déroulent actuellement dans des conditions bien précises : le côté israélien sait ce qu’il veut, le met en application et l’impose, alors que le côté palestinien n’a pas de ligne et de repères qui guident ses pas. Il est entrainé dans un processus de « négociation pour la négociation » qui est devenu un mode de survie pour garder le fil entre les deux parties adverses, Israël et les Palestiniens, et avec la « communauté internationale ». Mais ce mode n’affecte pas la machine de l’occupation qui suit son chemin. Bien au contraire, il la couvre en prétendant que tout ce qu’elle fait est « provisoire » puisqu’on négocie, (et en attendant l’aboutissement des négociations à une « solution finale » !)

3) Les expériences de compromis politiques ou de négociations, de par le monde, montrent que le négociateur doit être inflexible, et doit élaborer et défendre sa vision et ses revendications. La bataille des idées, la bataille de la représentation, de la description et de la conception de la situation, est majeure. Or, sous prétexte de plaire aux Américains, ou à certains régimes arabes, ou sous prétexte de démasquer l’intransigeance d’Israël et de prouver ainsi qu’il est responsable des échecs, le négociateur Palestinien dit tout et son contraire à la fois. Prenons l’exemple de cette exigence israélienne de reconnaitre le « caractère juif de l’Etat d’Israël ». Le secrétaire du comité exécutif de l’OLP (Yasser Abed Rabbo), et derrière lui Mahmoud Abbas lui-même, ont répondu que ce caractère ne les concernait pas ! Comme si la reconnaissance du caractère juif de l’Etat d’Israël n’impliquait pas la reconnaissance du maintien des Palestiniens de 1948, détenteurs de l’identité israélienne, en citoyens de seconde zone. Qu’est ce qu’un système d’apartheid sinon ceci ? Devant cette condition sine quoi none israélienne pour geler l’expansion des colonies, l’administration américaine a invité l’AP à présenter ce qu`elle a qualifié de contre-proposition. L’AP répond : « définissez-nous les frontières de l’Etat palestinien et appelez votre Etat comme vous voulez » !! Hallucinant. Puis les dirigeants de l`AP se sont fondus en explications encore plus embrouillées que ces réponses. Au lieu de mener une campagne claire, basée sur les intérêts palestiniens et les principes internationaux d’égalité, la tactique de l’AP « pour démasquer Israël » a gratuitement cédé à ce dernier un point majeur, celui de son caractère juif. C’est un exemple parmi tant d’autres, qui relèvent tous du même registre.

4) L’idée de procéder par étapes, est souvent évoquée par l’AP pour justifier la conduite adoptée au même titre que celle du rapport de force défavorable. Pourra-t-on progresser vers plus, une fois que l’AP aura accepté de nommer Etat palestinien les Bantoustans de la Cisjordanie encerclés par les colonies ? Une fois qu’elle aura accepté non seulement le principe – c’est fait ! – mais la pratique d’« échange de territoires » (ou comme dit Lieberman que c’est juste « une modification des frontières et non pas un transfert de population »), une fois que la Jérusalem palestinienne sera en fait Abou Dis, ou une autre banlieue (puisque c’est une question de « noms »), une fois que la vallée du Jourdain sera définitivement annexée par suite de l’acceptation de la présence militaire israélienne durable pour « rassurer » Israël, une fois que Gaza, la méchante, sera totalement écrasée sous prétexte du Hamas, le siège ne pouvant être levé que si celui-ci capote, une fois que sera officiellement annulé le droit au retour des réfugiés Palestiniens, (sachant que seuls les détenteurs d’un droit peuvent le céder, mais nous ne sommes plus à un détail près !). Quel sera alors l’état du fameux rapport de force ? Et pourquoi espérer que l’AP sera récompensée pour sa docilité ? Le peuple palestinien, dit-on, pourra toujours se révolter contre cet état de choses qui lui aurait été imposé, mais la révolte n’appartient pas à la notion de gradualité et d’étapes que vend l’AP. Bien au contraire, la révolte sera une opposition à ce que l’AP aura entrepris.

5) N’y-a-t-il pas vraiment pas d’autres alternatives ? Plusieurs voix palestiniennes significatives pensent que ces alternatives existent, ainsi que des intellectuels et des militants arabes qui ont passé leur vie à soutenir la lutte du peuple palestinien. Le problème réside dans le point de départ de l’action politique de l’AP, qui repose sur la recherche d’une solution immédiate. Dans ce cas, le peuple palestinien serait contraint d’accepter n’importe quoi, du moment que ce n’importe quoi portera le nom d’Etat palestinien. Par contre, si la stratégie palestinienne se construit sur la nécessité d’entretenir la lutte face à l’occupant colonialiste et au système qu’il installe, les alternatives sont multiples. Il est clair ici qu’il ne s’agit pas uniquement de « prendre position », c’est à dire de trancher la chose par un discours, mais bien de proposer un ensemble d’actions et d’attitudes, incluant le niveau diplomatique bien évidemment, mais focalisant sur 3 éléments : 1) la réorganisation de l’ensemble du peuple palestinien en réseaux de solidarités et de résistances – à la tête desquels se tient la résistance civile et pacifique, tout en refusant de condamner le droit à la résistance armée quand elle est opportune (l’opposition pacifique/ armée est factice et doit être condamnée, ce ne sont que des outils au service d’une stratégie). 2) En deuxième lieu, il s’agit de renouer avec les réfugiés Palestiniens, surtout dans le monde arabe, qui sentent qu’ils sont bradés au profit de la « solution immédiate », et en faire des appuis pour la réunification des éléments de la question palestinienne entre les mains d’une OLP refondée et restructurée de nouveau pour lui rendre sa représentativité. Le plus grand danger qui guette la lutte du peuple palestinien est la dislocation de ses composantes. C’est un procédé déjà avancé mais pas encore irrécupérable, y compris au niveau de l’unité politique indispensable entre les factions palestiniennes, Hamas et Jihad inclus. L’OLP a été réduite à l’AP, et l’AP à une partie du Fatah (puisque des courants contestataires dans le Fatah ont été négligés). Cette pratique contredit toute l’histoire du mouvement de la lutte palestinienne, et même l’historique du Fatah lui-même qui ont toujours tendu vers des formes d’unité dans la diversité. L’exigence d’un retour à un cadre unitaire est indispensable pour l’assainissement de la situation. 3) Enfin, se réapproprier le niveau de la solidarité internationale active est le troisième élément de cette stratégie à adopter. Rien d’autre ne pourra compenser le soutien américain et occidental officiel à Israël, la solidarité internationale ayant été brouillée par l’illusion d’une solution à portée de main, qui se négocie dans les coulisses diplomatiques et ne demande pratiquement rien aux militants de par le monde, prêts pourtant à se mobiliser pour la Palestine. Quel gâchis !

6) L’argument selon lequel la revendication de deux Etats correspond au droit international et constitue ainsi un atout pour la politique palestinienne, adopte une vision borgne de la notion de droit et de légalité, en plus de souffrir de formalisme. Il est très dangereux de diviser ces notions et d’être sélectif quant à leur application. Rien, aucun engagement diplomatique, n’empêche les Palestiniens de développer une vision d’un autre Israël, d’un Israël débarrassé de son caractère colonial, qu’il serait possible de côtoyer. La réalité israélienne concerne les Palestiniens qui en sont quand même ses premières victimes. Toutefois, faire actuellement un point de clivage sur la question de « un Etat » ou « deux Etats » est complètement aberrant. L’un autant que l’autre sont inaccessibles pour les palestiniens dans les conditions actuelles. Le plus urgent est de dénoncer les méfaits du processus de paix et des négociations tels que menés, et de combattre l’illusion destructrice d’une solution à portée de main qui justifierait tous les renoncements. C’est ainsi qu’il sera possible de protéger les capacités de lutte du peuple palestinien face à la machine qui l’écrase, et de les développer …

7) La stratégie de lutte palestinienne appropriée au moment actuel reste à élaborer. Il ne s’agit pas de choisir entre le Fatah et le Hamas, ni entre négociation et lutte armée. Cette simplification est criminelle de part et d’autre de ses porte-paroles. Ni les négociations ni la lutte armée ne se suffisent à elles-mêmes, et leurs conditions d’application, leurs interactions, leurs exigences et préparatifs devraient être décidées, élaborées et construites, ce qui manque dans une large mesure. Tout autant que l’illusion catastrophique d’une « solution immédiate négociée » à portée de main, l’appel à la lutte armée devient juste une surenchère, ou dans les meilleurs des cas, une position de principe qui ne mène nulle part. Ce sont là des postures de plus en plus abstraites, parce que sans fondements politiques ancrés dans la réalité.

III – Le système mis en place

Comment perdure cet état des choses ? Le côté palestinien est constamment invité à faire des concessions face auxquelles il n’a guère le choix du refus, parce que plus vulnérable et exposé à la merci des grandes puissances. C’est là tout le sujet : à supposer que la classe dirigeante palestinienne ne collabore pas sciemment, elle a par contre participé à la construction d’un édifice/prison, où elle dépend pour sa survie du bon vouloir d’Israël . 1) l’exigence de coordination sécuritaire avec l’occupant a atteint des proportions inimaginables : le coordinateur du gouvernement israélien en Cisjordanie a révélé à la mi octobre que pour la première moitié de 2010, les opérations sécuritaires coordonnées entre les forces spéciales palestiniennes (entrainées par le général américain Dayton auquel a succédé le général Muller) et les forces sécuritaires et armées israéliennes ont été au nombre de 1424 opérations, c’est-à-dire une opération toutes les 3 heures !! Ceci représente le double de ce qui a été pratiqué tout au long de l’année 2009, et dépasse la coordination qui existe entre les forces de l’Otan en Afghanistan !! 303 réunions de coordination sécuritaire entre les deux parties ont été tenues durant ces 6 mois. L’AP dépend aussi du bon vouloir « international ». Elle vit des aides de l’UE, qui permettent à 160 000 fonctionnaires en Cisjordanie – selon les chiffres officiels de l’AP, donc à 160 000 familles – de toucher leurs salaires. Les entrepreneurs de toute sorte vivent des projets financés ou soutenus par ces instances, et des miettes sont enfin distribuées sous formes d’aide ponctuelle. Pourront être énumérés des centaines d’éléments qui prouvent le degré d’imbrication de l’AP dans un système entier de dépendance à l’égard de l’occupation et ainsi, de la nécessité de maintenir les négociations de paix indépendamment de leur résultats et des dégâts qu’elles causent. On évoque souvent les cartes VIP qui concrétisent symboliquement cette situation. Mais l’état d’avancement de la colonisation sur le terrain en Cisjordanie pousse les autorités israéliennes à se défaire de ces « privilèges » concédés : les cartes VIP deviennent rares, faute de renouvellement, et les responsables de l’AP sont de plus en plus arrêtés aux check points, refoulés des frontières – y compris des frontières avec la Jordanie comme ça a été récemment le cas pour M. Koreih, pourtant ex-premier ministre ! Ces pratiques ne sont pas essentiellement le fruit d’une volonté de maintenir la pression sur ces personnes pour leur rappeler leur devoir d’allégeance, encore moins la preuve que les officiels de l’AP sont des militants réprimés. Elles sont surtout un indice parmi d’autres de changements importants dans la réalité de l’occupation elle-même : celle-ci a progressée au point de permettre à Israël de minimiser son besoin de l’AP. Fait effrayant, mais à prendre en compte

Par ailleurs, la division entre l’AP et le Hamas, ainsi que le blocus de la bande de Gaza, font partie du système en question. Cette division est féconde, permettant à l’AP de recevoir de façon continue des signes de reconnaissance de sa légitimité, mais aussi un soutien financier pour la consolider face aux « méchants » dont l’existence est concrétisée par leur mainmise sur Gaza. Le Hamas, qui pourtant condamne les négociations, adopte une attitude schizophrène, considérant son autorité sur la bande comme une preuve de sa force qui doit être reconnue par les puissances internationales, et comme un partage du pouvoir avec l’AP ! Cette division est une chance pour Israël, car elle permet de remettre au deuxième plan des négociations les solutions globales, et notamment les dispositifs concernant le lien entre les 2 parties des territoires palestiniens de 1967. Une complicité nauséabonde est ainsi établie entre les différents protagonistes de cette situation, incluant les 2 organisations palestiniennes elles-mêmes, mais de façon directe, Israël et l’Egypte, chacun en tirant des profits qui lui sont propres. Mais les répercussions sur le peuple palestinien sont totalement néfastes.

IV – Nos choix d’action

A ce stade, la CCIPPP considère qu’il est urgent d’inciter une large discussion sur la fonction réellement remplie par les négociations et par l’illusion, farouchement entretenue par de si différentes voix, d’une solution basée sur deux Etats qui naitra d’un instant à l’autre du sein même d’un processus de paix fécond.

Si nous ne considérons pas qu’il nous revienne d’opter pour des choix de type « deux Etats ou un Etat démocratique de tous ses citoyens », il est par contre indispensable d’examiner et d’évaluer l’impact concret des politiques en cours. Du fait des missions civiles continues, la CCIPPP est en contact avec la réalité palestinienne sur le terrain, avec nos interlocuteurs et partenaires Palestiniens très nombreux et très diversifiés, et avec nos alliés anticolonialistes Israéliens. Notre mouvement ne peut que constater le degré de plus en plus accentué de désarroi, de perte de repères, et de désespoir qui minent le peuple palestinien face à la conduite de sa direction. Cette forme de détachement fait partie des nombreux signes qui indiquent une fin d’époque, commencée en 1965 avec le lancement du mouvement des fédayins et du nouvel OLP.

Au même moment, nous constatons la formidable dynamique de ce peuple en lutte qui invente l’appel à la campagne Boycott, Désinvestissement et Sanctions contre Israël (BDS), la résistance populaire dans les villages traversés par le mur, les différentes initiatives politiques qui montrent une exigence intacte pour trouver le chemin de la libération…Le PYN (Palestinian Youth Network), le « Courant de défense des fondamentaux », « le Comité des Indépendants », etc.…prouvent s’il le faut, l’énorme détermination du peuple palestinien, et sa capacité à tenir bon malgré une situation d’oppression sans égale de la part d’Israël, aidé cette fois par tout un système étouffant et entravant, patiemment mis en place, et cogéré par l’occupation et par l’AP.

Encore une fois, le peuple palestinien prouve qu’il est ce « malade de l’espoir » qu’avait chanté le grand poète palestinien et international Mahmoud Darwich. Et les prémices d’une transition déjà amorcée sont présentes. La campagne pour le BDS articule bien cette transition. L’appel des organisations palestiniennes, en reprenant les 3 exigences fondamentales, installe un cadre référentiel de consensus national et remet ensemble les composantes du peuple palestinien éclaté en habitants des territoires occupés (qu’on a de plus en plus du mal à nommer, et auquel la situation de Gaza a apporté une nouvelle complexité), en Palestiniens de 1948 (vivant en Israël comme des citoyens de seconde zone et confrontant un système d’apartheid institutionnalisé qui progresse tous les jours et se pare de lois amendées continuellement votées par la Knesset…), et en réfugiés dans le monde arabe. L’éclatement et la dissociation des composantes de la question palestinienne sont un des outils majeurs de la domination de ce peuple, car cette situation dépolitise en quelque sorte la question palestinienne en la canalisant dans la voie obligée de la recherche de survies et de solutions pragmatiques.

L’appel au BDS articule également la lutte du peuple palestinien avec la solidarité internationale active. L’effondrement de « la solution diplomatique immédiate » impose cette articulation comme une urgente nécessité, puisqu’il faudra s’engager dans une longue lutte globale et assurer les conditions d’un avancement évaluable. Les campagne BDS se conçoivent comme une sorte d’appropriation, dans chaque pays ou région, de l’engagement pour la Palestine libre, dans le sens que la question palestinienne est aujourd’hui le symbole de la confrontation avec un ordre basé sur la force, qui enraye la capacité humaine à l’indignation, incite à avaler toutes les pratiques immondes au nom du réalisme et des « intérêts propres » qui se fichent « du reste » et s’accommodent des lois de la jungle. La nouvelle vague de solidarité active est différente qualitativement de la posture de « soutien » à une lutte en marche, elle se soucie de participer à l’élaboration de cette lutte dans une interactivité indéniable. La dimension internationale – et d’ailleurs Arabe – a été négligée et minorée quand dominait l’éloge de l’action diplomatique entreprise, et le processus de paix palestinien a fini par devenir la copie conforme des « solutions » bilatérales inaugurées par Sadate et son accord de camp David, qui s’inscrivent totalement dans le renforcement de l’ordre dominant.

La campagne pour le BDS et tous ses dérivés (la campagne contre Carmel-Agrexco, les poursuites juridiques des criminels de guerre israéliens, dont font partie le tribunal Russel, les actions auprès de la CPI, les actions dans chaque pays au nom de la compétence universelle, suivi du rapport Goldstone etc…), ainsi que l’initiative de « la flottille de la liberté pour briser le siège de Gaza », relèvent toutes d’une même logique, celle de mettre un terme à la situation d’exception accordée à Israël, et à son impunité, ce système qui lui permet d’échapper à toute redevance et sanction, même quand il commet les pires exactions et qu’il bafoue le droit international et les résolutions que les instances arrivent parfois, malgré tout, à décider à son encontre.

Nous pensons qu’Israël, de par sa nature colonialiste et ségrégationniste très particulière, est structurellement construit et organisé autour de cet état d’exception et d’impunité. Ceci explique la panique qu’il manifeste face au développement de la campagne BDS, panique surfaite sans être totalement feinte. Et nous pensons que le jour où Israël deviendra un Etat comme les autres, alors sera possible une solution basée sur la justice, où Israéliens et Palestiniens vivront ensemble, avec des droits politiques, citoyens, et humains égaux. A ce moment là, le cadre ou les formalités de cette solution n’auront que des importances secondaires. Nous pensons qu’arriver à cette situation est vital pour le peuple palestinien qui a vécu une injustice historique tellement longue et violente qu’elle est honteuse pour l’ensemble de l’humanité, mais que c’est autant vital pour les Israéliens eux-mêmes, et les juifs de par le monde qu’Israël tente de leur confisquer la parole et la représentation. En effet, les choix politiques des responsables israéliens tablent sur la force brutale et la réduction des peuples de cette région à la soumission. Ils conduisent la région du Moyen Orient vers des guerres permanentes et sanguinaires, sans aucune issue, et flirtent ainsi finalement avec l’auto-destruction et le suicide. Pour le bien des Palestiniens et des Israéliens, pour le bien de nous tous et toutes partout dans le monde, il faut que ceci cesse. Il nous incombe d’y œuvrer !

La coordination nationale de la CCIPPP