Tribune parue dans Libération le 23 novembre 2017.
L’affaire Tariq Ramadan, estime un groupe d’intellectuels, relance violemment les campagnes menées contre les représentants de l’antiracisme.
Comme un mauvais jeu de dominos, un jeu ignoble et dangereux, les accusations calomnieuses sont tombées une à une sur les courants de l’antiracisme politique. La cascade vient de loin, de l’extrême droite, de la fachosphère, de sites xénophobes comme Fdesouche, mais aussi de courants proches de la «gauche» socialiste comme le Printemps républicain, et d’organes de presse tels Causeur, Valeurs actuelles, le Figaro ou Marianne. Des personnalités politiques misent leur va-tout sur les enjeux identitaires et autoritaires – et jouent gravement avec le feu.
Manuel Valls est de ceux-là, tombé au fond du trou après son élimination politique ; le voilà remis en selle, brandissant pour tout programme sa lame islamophobe. On ne s’étonnera pas de le voir fourbir les mêmes armes que son compère en réaction identitaire, Laurent Wauquiez. Ces deux-là appartiennent bien désormais au même univers idéologique, signe de la confusion où les étiquettes partisanes n’importent plus. C’est un masque qui ne devrait plus tromper grand monde : des politiques destructrices, offensives contre les droits sociaux, dont on essaie de détourner l’attention en adoptant la ligne faible mais terrible des rodomontades sur l’ennemi intérieur et le supposé choc des civilisations. Ces néoconservateurs surfent sur la même vague qui a porté Trump au pouvoir et qui ravage l’Europe, de la Hongrie à la Pologne et l’Autriche. Le rouleau compresseur néolibéral est désastreux pour le plus grand nombre mais ses effets s’abattent d’abord dans les quartiers populaires sur les populations noires, arabes, roms, musulmanes ou supposées telles. C’est dans ce contexte nauséabond que, depuis des années, un tombereau de calomnies déferle sur les représentant·e·s de l’antiracisme politique, dont le projet est précisément de combattre l’apartheid que connaissent les populations de ces quartiers. Dès son élection, il a visé Danièle Obono, députée de La France insoumise, sommée de crier «Vive la France !». Avant, il y eut l’acharnement contre les promotrices du camp d’été décolonial, puis le festival Nyansapo. Il s’est aggravé ces dernières semaines et s’obstine à nouveau contre Danièle Obono, parce qu’elle a osé reconnaître en Houria Bouteldja une camarade de luttes antiracistes. Victime d’une chasse aux sorcières, Houria Bouteldja, et, avec elle, le Parti des indigènes de la République, est devenue la personnalité à abattre. Cette atmosphère de lynchage profite éhontément de l’affaire Tariq Ramadan. Après les très graves accusations portées contre lui, justice devra être faite : le respect des victimes et la sérénité du procès à venir exigent qu’aucune récupération idéologique ne soit permise. Le combat fondamental contre le sexisme et les violences faites aux femmes ne peut servir l’agenda des promoteurs de haine identitaire.
Subissent la même traque celles et ceux qui ont croisé ou débattu avec Tariq Ramadan : de Pascal Boniface à Edwy Plenel et Mediapart, d’Edgar Morin à Alain Gresh, du CCIF à François Burgat. Nous sommes à leurs côtés pour qu’ils continuent à tenir, avec cohérence et courage et ténacité, une position de débat et de combat en défense des musulman·e·s victimes de stigmatisation mais aussi de celles et ceux qui endurent le racisme, l’antisémitisme, la négrophobie, l’islamophobie, les contrôles au faciès et la répression.
On ne comprend pas comment Jean-Luc Mélenchon a pu prendre part à cette traque. Les accusations d’antisémitisme qu’il a portées contre Houria Bouteldja sont inacceptables. Lorsqu’il était lui-même accusé de proximité avec des antisémites, Jean-Luc Mélenchon a déclaré un jour : «L’antisémitisme est un délit ; il doit être condamné comme tel. Accuser à tort quelqu’un d’être antisémite est aussi un délit.»
Ce vent mauvais est ravageur. Au-delà des diverses personnalités visées et d’éventuels désaccords que l’on peut avoir avec elles, ce sont l’antiracisme politique, la lutte contre les discriminations systémiques et l’islamophobie que l’on cherche à discréditer. Pourtant, ces combats s’inscrivent dans le camp de l’émancipation. C’est pourquoi, nous jugeons nécessaire de faire l’unité contre les calomnies, les lynchages médiatiques et la diffamation.
PREMIERS SIGNATAIRES
Bams artiste, militante antiraciste
Ludivine Bantigny historienne
Maxime Benatouil membre de l’Union juive française pour la paix
Judith Bernard metteure en scène, enseignante et journaliste
Daniel Blondet militant syndicaliste, anti-impérialiste
Alima Boumediene avocate, association Femmes plurielles
Rony Brauman enseignant, essayiste
Déborah Cohen historienne
Ismahane Chouder coprésidente du Collectif des féministes pour l’égalité
Thomas Coutrot économiste
Christine Delphy sociologue et féministe
Eva Doumbia metteure en scène, autrice, membre du collectif Décoloniser les arts
Annie Ernaux écrivaine
Eric Fassin sociologue
Bernard Friot économiste et sociologue
Sylvain George cinéaste
François Gèze éditeur
Nacira Guénif sociologue
Michelle Guerci journaliste
Eric Hazan éditeur
Nicolas Klotz cinéaste
Stathis Kouvelakis philosophe
Thierry Labica enseignant-chercheur
Olivier Le Cour Grandmaison universitaire
Laurent Lévy essayiste, militant antiraciste
Philippe Marlière politiste
Gustave Massiah économiste
Olivier Neveux universitaire
Dimitri Nicolaïdis enseignant, école européenne de Bruxelles
Ugo Palheta sociologue
Elisabeth Perceval cinéaste
Nathalie Quintane écrivaine
Lluis Sala Molins philosophe et essayiste
Catherine Samary économiste altermondialiste
Michèle Sibony membre de l’Union juive française pour la paix
Julien Théry historien
Rémy Toulouse éditeur
Françoise Vergès féministe antiraciste
Bernard Stiegler philosophe.