L’identification des deux premiers cas de coronavirus à Gaza est un moment effrayant pour ses habitants. Mais les conséquences juridiques et morales pour Israël, la puissance occupante, sont considérables.
Les deux premiers cas de coronavirus ont maintenant été confirmés dans la bande de Gaza, les individus porteurs étant entrés à Gaza par l’Égypte, en provenance du Pakistan.
C’est une évolution effrayante, aux conséquences potentiellement dévastatrices pour ceux qui vivent dans cette enclave. Si le COVID-19 se répand à Gaza, en particulier s’il se diffuse dans tout le territoire, les conséquences seront absolument énormes, à la fois pour les Gazaouis, mais aussi pour Israël en tant que puissance occupante.
Israël a pris un grand retard dans la prise en compte de cette situation. Il lui faut finalement avancer et accepter la responsabilité de l’emprisonnement de deux millions de personnes pendant près de 13 ans. Israël a agi dans un mépris presque total pour les droits fondamentaux des Gazaouis, sans prévoir les répercussions considérables pour les gens de Gaza, mais aussi pour lui-même. La situation à Gaza est grave et l’est depuis longtemps, mais avec le COVID-19, la possibilité existe qu’elle empire encore.
Voici ce qu’Israël doit faire maintenant
Premièrement, s’il y a jamais eu un moment pour qu’Israël change son mode de relation et d’action vis-à-vis des Palestiniens et en particulier de ceux vivant dans la bande de Gaza, c’est bien le moment présent et sans précédent.
Israël fait valoir qu’il s’est désengagé de la bande de Gaza en 2005, mais aujourd’hui Israël continue à exercer un blocus terrestre, maritime et aussi aérien sur l’enclave, qui a commencé en 2007. Ce blocus doit être levé – maintenant, non seulement pace qu’il est inhumain et illégal en droit international, mais aussi parce que dans ces circonstances incertaines, il faut donner aux Gazaouis une sérieuse chance de survie – et la liberté à la fois de se déplacer et de s’aider eux-mêmes dans le scenario du pire. Ce sera particulièrement nécessaire si Israël ne fait pas, ou ne peut pas faire, un geste pour offrir son aide.
Si Israël continue à exercer son blocus sur Gaza, alors Israël est responsable de la dévastation qui va s’y ensuivre ; les dirigeants d’Israël pourraient être poursuivis en droit pénal international.
Deuxièmement, Israël a des obligations importantes en tant que puissance occupante en ce qui concerne les territoires palestiniens occupés qui incluent Gaza, un statut juridique régulièrement affirmé par le Conseil de sécurité des Nations Unies et par l’Assemblée générale de l’ONU. La Cour Pénale Internationale s’est aussi référée à Israël comme puissance occupante. Le fait qu’Israël conteste sa qualité de puissance occupante concernant Gaza ne devrait pas avoir d’effet sur une démarche de la communauté internationale le tenant pour responsable, ce qu’elle a longtemps négligé de faire.
Selon le droit humanitaire international, incluant la Quatrième Convention de Genève et le droit international coutumier et aussi conformément au droit international sur les droits humains, incluant la Convention Internationale sur les Droits Économiques, Sociaux et Culturels, qui mettent en avant le droit à la santé, Israël en tant que puissance occupante, doit assurer que ceux qui vivent dans les territoires palestiniens occupés, dont Gaza, reçoivent des soins médicaux, des fournitures médicales et des médicaments adéquats.
Il est exigé d’Israël qu’il garantisse la présence d’établissements médicaux et d’hôpitaux, qu’il assure la santé publique, l’hygiène et, ce qui est important dans les circonstances présentes, qu’il prévienne la diffusion de maladies contagieuses et d’épidémies.
Israël devrait se conformer en permanence à ces obligations, mais c’est d’une importance cruciale dans les circonstances présentes. L’envoi par Israël dans un premier temps d’un simple paquet de 200 tests à Gaza suggère qu’Israël est au courant de ses obligations en tant que puissance occupante et préoccupé de se savoir perçu au plan international comme agissant correctement, mais ce qu’il a fait est tellement peu adéquat – un test pour 10 000 personnes – qu’il n’a de valeur que symbolique.
Le droit international exige qu’Israël fasse beaucoup plus : qu’il fasse un véritable effort concerté ; au mieux de ses capacités dans les circonstances présentes, pour assurer des soins de santé et prévenir la diffusion du COVID-19 à Gaza.
Dans ce but, Il est exigé d’Israël qu’il coopère avec les dirigeants palestiniens, dont l’Autorité palestinienne de façon générale (cette coopération existe effectivement) et le Hamas en ce qui concerne Gaza – lesquelles ont aussi obligation d’assurer les soins de santé de leur peuple – qu’il fasse en sorte que les tests de Gazaouis qui ne se sentent pas bien puissent se faire et qu’il veille à leur passage immédiat, sans entrave et en toute sécurité vers Israël, Jérusalem Est et la Cisjordanie pour une prise en charge médicale si un traitement approprié n’est pas disponible à Gaza.
Tandis que d’autres pays ferment leurs frontières, la frontière d’Erez entre Israël et Gaza devrait donc rester ouverte et sans entraves à l’importation d’équipements et équipes médicaux ainsi qu’au transport de ceux nécessitant un traitement. La prise en charge médicale assurée par Israël est requise au meilleur niveau qu’Israël puisse fournir dans les circonstances actuelles. Israël doit aussi assurer la fourniture de nourriture à Gaza si l’approvisionnement de l’enclave est insuffisant.
Je répète, ces suggestions ne concernent pas ce qu’il devrait se passer dans le scénario optimal où Israël aurait les ressources, le temps et l’envie. Ce sont les obligations fondamentales d’Israël en droit international. Même si Israël n’est pas dans la position d’assurer la prise en charge médicale des Gazaouis, ces obligations demeurent et Israël doit demander de l’aide à d’autres États et instances comme des organisations internationales et des ONG et que cette aide ait la voie ouverte vers Gaza.
Israël agit depuis longtemps en totale impunité envers les Palestiniens, ce qui a conduit le procureur de la cour pénale internationale à tenter de lancer une enquête sur de possibles crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Israël a aussi été accusé de perpétrer des violations du droit humanitaire international. Cela ne s’est produit que parce que des pays puissants amis d’Israël ont détourné le regard.
Cet état d’impunité international et de manque de recours pour les Palestiniens, qui dysfonctionne, peut néanmoins changer en cas d’accroissement soudain de morts d’individus dues au COVID-19 dans la bande de Gaza, en particulier si un seuil critique est atteint quand il deviendra tellement horrible qu’il sera impossible au monde de continuer à ignorer ce qui arrive. Quand il deviendra impossible de ne rien dire et de regarder ailleurs.
Israël a encore une occasion de montrer son engagement pour les droits humains fondamentaux des Palestiniens, même s’il refuse de reconnaître leurs droits nationaux. Mais cela exige qu’Israël agisse maintenant pour prendre des mesures rapides et drastiques pour empêcher la diffusion du COVID-19 dans la bande de Gaza et pour assurer la prise en charge médicale de ceux qui s’avèrent infectés. Il ne s’agit pas d’une simple question de préférence, mais de la responsabilité d’Israël en droit international.
Mis à part le droit international, il y a une autre base fondamentale sur laquelle Israël devrait procurer de l’aide à ceux qui sont à Gaza : c’est une obligation morale. C’est ce qu’il est juste de faire.
Peut-être, quand la menace du COVID-19 en viendra à se calmer, Israël reconsidèrera à un niveau plus fondamental son engagement vis-à-vis des Palestiniens, sa réponse à leur droit à l’autodétermination et son traitement de ceux qui sont dans la bande de Gaza, bien au-dessus et au-delà des actions les plus minimes destinées à prévenir une perte massive de vies et un désastre humanitaire.
Shannon Maree Torrens est une juriste internationale en droits humains, de Sydney en Australie. Elle a travaillé dans les tribunaux pénaux internationaux des Nations Unies pour l’ex-Yougoslavie, le Rwanda, le Sierra Leone et le Cambodge et avec la cour pénale internationale. Elle est titulaire d’un doctorat en droit pénal international de l’Université de Sydney. Twitter : [at]shannonmtorrensVoir en ligne : l’article sur le site de l’AURDIP
Shannon Maree Torrens pour Haaretz |Traduction SF pour l’AURDIP |Tribunes