L’Union Juive Française pour la Paix se joint à l’appel des organisateurs ce samedi 20 mars à Toulouse pour commémorer les victimes d’un crime antisémite : trois enfants et un adulte assassinés devant l’école juive Ozar Hatorah par Mohamed Merah le 19 mars 2012. Nous ne pouvons oublier que cet acte meurtrier fut précédé quelques jours plus tôt le 15 mars, de l’assassinat par le même M. Merah de deux soldats d’origine algérienne : Abel Chennouf, âgé de 26 ans et Mohamed Legouad, âgé de 24 ans, alors qu’un troisième soldat antillais, Loïc Liber, âgé de 28 ans, était grièvement blessé ; il est aujourd’hui tétraplégique.
De tels actes, comme l’assassinat d’Ilan Halimi récemment commémoré à Paris, ne peuvent qu’ajouter à notre indignation et refus de la haine antisémite, nous qui portons une parole juive contre toutes les formes du racisme. Notre démarche s’est concrétisée ces dernières années par la publication d’un livre1 et la réalisation de dix clips vidéos2 sur ce sujet. Notre but : aider à comprendre ce qui nous révolte, mais sans se limiter à la seule expression d’une émotion par ailleurs légitime. En tant que Juif-ve-s, si de tels crimes de haine réveillent dans notre mémoire les sombres heures de notre histoire, ils ne sauraient servir à justifier qu’aujourd’hui, pour des raisons idéologiques et politiques, on fasse silence ou minimise les autres formes du racisme, ainsi que d’autres crimes, visant d’autres catégories d’êtres humains. C’est la raison pour laquelle l’UJFP se refuse à hiérarchiser les différentes formes du racisme et s’interdit de tomber dans le piège de la concurrence des victimes. Un crime raciste reste odieux, quelle qu’en soit la victime, et son instrumentalisation par le pouvoir politique dominant et les médias à sa solde est d’autant plus odieuse.
De plus, nous ne pouvons ignorer que l’épouvantail antisémite est brandi non seulement par les institutions sionistes françaises dont le CRIF est le meilleur représentant, mais aussi par le régime néolibéral installé en France et ses relais médiatiques pour faire taire sur les crimes commis par Israël à l’encontre des Palestiniens. Il est aussi brandi pour dénigrer et affaiblir les mouvements de solidarité internationale en lutte contre le colonialisme.
C’est aussi parce que notre parole juive est indissociable de la défense des droits des peuples, et du peuple palestinien en particulier, que nous refusons d’être enfermés par la pression sioniste et dans l’obligation de commémorer l’antisémitisme sans aborder ce qui est devenu, en France aussi, une véritable fabrique d’injustice et de ressentiment pouvant aller jusqu’à la haine antisémite et au crime. La lutte contre l’antisémitisme ne peut aujourd’hui se mener en France si on ignore le poids des événements désastreux liés à la politique coloniale et éradicatrice d’Israël, conduite au mépris du droit international.
Nous saluons la mémoire des victimes de tous les crimes antisémites, qui sont aussi les victimes de cette politique d’amalgame et d’instrumentalisation. Nous luttons contre l’antisémitisme et nous continuerons à dénoncer tous les pompiers pyromanes qui cherchent à l’allumer pour mieux éteindre la cause palestinienne. Si l’on y réfléchit, ce type de commémoration, même à gauche, ne permet pas à des militants palestiniens d’être présents. N’a-t-on pas exigé qu’un camarade enlève son keffieh pour participer à la toute récente commémoration de la mort d’Ilan Halimi ? Ce qui est lourd d’implicite et de non assumé par la gauche, elle-même tétanisée par les accusations portées contre elle.
La France a été condamnée le 11 juin dernier par la CEDH pour avoir poursuivi des militants ayant toute légitimité à critiquer un État d’apartheid ; la Cour Pénale Internationale vient enfin de s’engager à juger les crimes commis par Israël : il est difficile de ne pas voir, face à ces deux événements, le redéploiement en cours de la stratégie mise en place dès 2002 par Israël et ses soutiens européens, pour mieux faire taire toute expression politique antiraciste et toute critique du sionisme.
Des élus de toute l’Europe sont aujourd’hui conviés à un sommet numérique mondial contre l’antisémitisme organisé par la municipalité de Francfort afin de leur faire entériner la définition de l’antisémitisme de l’IHRA qui propose l’antisionisme comme exemple d’antisémitisme !
Les organisations de gauche sont, quant à elles, abordées sur le versant de leur supposée indifférence à l’antisémitisme : une indifférence qui serait coupable, certes, mais pas unique, car on peut dire que la gauche française montre peu de sensibilité vis à vis de l’islamophobie et des questions raciales en général. Que la gauche s’empare de la lutte antiraciste, dont l’antisémitisme ici, n’est pas pour nous déplaire, au contraire ! Mais, elle doit le faire avec dignité et clarté, sans céder aux pressions et aux manipulations par peur d’être traitée d’antisémite. Islamophobe n’est pas encore une insulte dans ce pays. Affirmer sa solidarité contre les crimes antisémites, les dénoncer avec tous les crimes racistes commis en France, et proclamer sa solidarité avec le peuple palestinien n’est pas contradictoire ou hors sujet : ce que l’on veut essayer d’imposer… Bien au contraire, c’est la voie de la justice et de la réparation pour tous.
L’UJFP continuera à mener avec les autres organisations de racisés et leurs alliés le combat contre le racisme sous toutes ses formes, sur la base d’une analyse politique claire et argumentée, sans exclusions.
La Coordination Nationale de l’UJFP le 17 mars 2021
- Une parole juive contre le racisme, 2ème édition revue et corrigée chez Syllepse[↩]
- Les clips antiracistes de l’UJFP[↩]