Par Amira Hass. Publié le 9 septembre sur le site de Haaretz.
Traduit pour UJFP : MH.
Voici une demande que je formule à mes amis Palestiniens, habitants autochtones de ce pays, citoyens israéliens contre leur gré, et qui prévoient une fois encore de s’abstenir de voter lors des prochaines élections : s’il vous plait, allez voter, et votez pour la Liste unifiée.
C’est le seul parti dont l’existence même, malgré ses contradictions internes, ses conflits et ses faiblesses, représente la seule opposition face aux fantasmes de l’expulsion finale actuellement concoctés par cette société juive israélienne aliénée et dangereuse.
La signification et la valeur de la Liste unifiée à l’heure de cette convergence politique et historique actuelle sont plus importants que tous les profils humains, les erreurs et les échecs de ses membres.
Voter ne veut pas dire reconnaitre l’État qui vous a été imposé de force, mais bien le contraire : en votant vous obligez cet État et ses institutions à vous reconnaitre comme habitants autochtones de ce pays.
Vous forcez ses citoyens juifs, qui cultivent le déni de l’histoire, à admettre ne serait-ce qu’implicitement, que vos droits ici ne découlent pas de l’existence de cet État ni du Droit au retour, mais bien de vos racines profondes dans cette terre.
La droite, majoritaire aujourd’hui dans la nation juive-israélienne, attend une Knesset débarrassée d’authentiques représentants de la population palestinienne. Alors pourquoi se soumettre à ses vœux, pourquoi faire son jeu ? Pourquoi ne pas prendre la décision : faisons un doigt d’honneur à cette droite dangereuse par le biais d’une participation électorale plus élevée que d’habitude.
Les provocations contre les Palestiniens habilement fomentées par le premier ministre Benjamin Netanyahu et ses laquais ne sont pas destinées seulement à lui garantir une majorité parlementaire en vue de son immunité face aux poursuites judiciaires.
Ces provocations sont réelles et sortent tout droit de leurs tripes. Les Palestiniens des deux cotés de la Ligne verte ne sont rien d’autre qu’une population superflue. Les députés représentant les citoyens palestiniens à la Knesset les rendent cinglés. Ces provocations et ces mensonges contre vous ont pour but de vous faire disparaitre de l’espace public et de la vie politique. Et cette disparition de la scène politique serait un déclencheur pour faciliter d’autres formes de disparitions qui – si elles ne sont pas déjà programmées – émergeront dans le climat familier de nations accoutumées à l’érosion des valeurs fondamentales universelles.
Mais la réalité est plus puissante que les désirs et les fantasmes de la droite israélienne. Les citoyens palestiniens, par opposition à leurs frères et sœurs de l’autre côté de la Ligne verte, font partie de l’espace public en Israël. Malgré tous les efforts pour prouver le contraire, ils ne sont pas superflus vis-à-vis de l’économie et la société du pays, bien à l’inverse. Ils sont, vous êtes vraiment nécessaires ici.
Sans nier les discriminations profondes dans les salaires et les emplois, vous travaillez et gagnez votre vie en Israël, bien que beaucoup parmi vous ressentiez un profond rejet face à toutes ses institutions. Le caractère superflu des Palestiniens dans la conscience de la majorité des Israéliens se reflète dans le très grand nombre d’ouvriers du bâtiment -la plupart Palestiniens, qui meurent et sont tués et blessés dans les accidents du travail.
Vous payez des impôts, et ces impôts contribuent aux opérations continuelles d’oppression et d’expropriation des deux côtés de la Ligne verte. Vous participez ou avez participé au système éducatif de ce pays et votre présence dans d’autres secteurs professionnels vitaux tels que la médecine, les soins, le droit, est notoire et remarquable, de même dans les arts plastiques, le théâtre et le cinéma.
Vous payez des assurances santé, et lorsque de besoin vous recevez des soins médicaux dans notre système de santé publique problématique, qui fonctionne encore. Vous utilisez les transports publics et conduisez sur les routes avec les Juifs israéliens, avec lesquels vous n’avez aucun langage commun malgré votre parfaite maitrise de l’hébreu.
Parce que nous les Juifs nous avons volé la quasi-totalité des terres de vos villages et de vos villes, vous habitez à Carmiel, à « Nof Hagalil » (les hauts de Nazareth), et même dans des colonies du secteur de Jérusalem, ainsi à Pisgat Ze’ev, ou French Hill.
En bref : la situation est pleine de contradictions, et les gens vivent avec. Et on peut en citer d’autres : vous vous déplacez à l’étranger avec un passeport israélien. Votre statut de citoyen empêche Israël de révoquer votre passeport, ce qu’il fait subir aux Palestiniens de Jérusalem, dont il peut révoquer à tout moment le statut de résident, comme il l’a également fait à des centaines de milliers de résidents de la bande de Gaza et de la Cisjordanie qui se sont rendus à l’étranger, et comme il aimerait le faire subir aussi à vous, mais il ne le peut pas.
Votre statut de citoyen vous permet non seulement d’exercer votre droit à la liberté de mouvement entre la mer et les rives du Jourdain, un droit dénié aux habitants de la Cisjordanie et de Gaza, il vous donne le droit de voyager à l’étranger.
Vous connaissez bien la situation difficile des autres Palestiniens et la quasi impossibilité d’obtenir des visas pour se rendre en Europe aux USA, au Canada, ou en Asie ; mais comprenez-moi bien, il s’agit de votre droit de plein droit, et non pas d’une faveur. Et c’est donc logique et naturel pour vous de ne pas abandonner ce droit en échange de la signification symbolique consistant à refuser d’avoir un passeport israélien.
Des deux côtés ces contradictions doivent être tolérées. Cet État qui ne vous considère pas comme des citoyens égaux et qui projette votre disparition, est forcé d’accepter votre présence de non-absents. Il y mille preuves de son désintérêt pour vous, les humiliations à l’aéroport par exemple, mais aussi la preuve qu’il échoue, c’est que vous êtes là, présents.
Et vous aussi, vous tolérez cet État : il ne vous représente pas, et vous tirez une satisfaction émotionnelle en refusant de participer aux élections, mais vous faites partie de la société. Aucun geste symbolique ne peut effacer cela. Je ne suis pas en train de me faire des illusions. La présence à la Knesset d’une forte liste de candidats Arabes ne pourra pas par elle-même mettre fin aux projets d’expulsion cultivés par les Juifs israéliens, comme le prouve la récente loi d’État-nation. Mais sans la présence forte de la Liste unifiée à la Knesset, il sera beaucoup plus facile pour eux de mettre en œuvre le projet de votre expulsion finale.
La droite espère une assemblée à la Knesset dégagée d’authentiques députés Palestiniens. Pourquoi obéir à leurs souhaits, pourquoi faire leur jeu ?
Amira Hass
Correspondante Haaretz
Source : Haaretz
Traduit pour UJFP : MH