par Par Gideon Levy, le 1er juin 2017.
Acceptons l’idée que l’occupation est justifiée. Disons aussi qu’Israël n’a pas le choix. Décidons même de ne pas l’appeler une occupation. Disons qu’elle a été reconnue par le droit international et que le monde l’a applaudie. Prétendons que les Palestiniens sont reconnaissants de sa présence. Reste cependant un petit problème qui continue à planer sur le sujet : tout ceci repose entièrement sur des mensonges.
Du début à la fin toujours repoussée, c’est un vrai tissu de mensonges. Il n’y a pas un mot de vérité qui y soit associé. Sans ces mensonges, ce serait tombé en décomposition depuis longtemps. Sans ces mensonges, il est peu probable que cela aurait jamais existé. Ces mensonges, dont la droite est fière de certains d’entre eux (« pour le bien de la Terre d’Israël, il est acceptable de mentir »), suffisent à faire bondir de dégoût toute personne honnête. On n’a pas besoin de ces autres horreurs pour en être convaincu.
Cela a commencé avec la question de savoir comment nommer les territoires. Sur la radio israélienne, on a décidé d’utiliser le terme « territoires temporairement détenus ». C’était le mensonge N° 1, impliquant que l’occupation était temporaire et qu’Israël avait l’intention d’évacuer ces territoires, qu’il ne s’agissait que d’un élément de marchandage dans la recherche de la paix. C’est probablement le plus gros mensonge et certainement le plus décisif. C’est celui qui a permis de célébrer son jubilé.
La vérité, c’est qu’Israël n’a jamais eu l’intention de mettre fin à l’occupation. Sa prétendue limitation dans le temps n’a servi qu’à endormir le monde dans sa duperie.
Le deuxième mensonge majeur a été l’argument comme quoi l’occupation sert les intérêts sécuritaires d’Israël, qu’il s’agit d’une mesure d’autodéfense utilisée par une pauvre nation cernée par des ennemis. Le troisième mensonge fut le « processus de paix », qui n’a jamais vraiment eu lieu et qui, de toutes façons, n’a été prévu que pour donner encore plus de temps à l’occupation. Ce mensonge avait plusieurs jambes. Le monde en a été complice, se mentant continuellement à lui-même. Il y a eu des discussions, la présentation de cartes (toutes semblables), on a tenu des conférences de paix avec de nombreux cycles de négociations et des sommets, avec des envoyés qui se précipitaient dans des allers-retours, et surtout des boniments vides.
Tout ceci se fondait sur un mensonge, qui était la présomption qu’Israël n’ait jamais eu l’intention de mettre fin à l’occupation.
Le quatrième mensonge, évidemment, est l’entreprise de colonisation. Ce projet est né et a grandi dans un mensonge. Aucune colonie n’a été établie honnêtement, depuis la nuit passée au Park Hotel d’Hébron, en passant par les « camps de travail », les « camps de protection », les « fouilles archéologiques », les « réserves naturelles », les « espaces verts », les « zones de feu », les « terrains d’étude », les « avant-postes et expansions » – toutes ces inventions engagées sur un clin d’œil ou un hochement de tête, qui ont culminé dans le plus gros mensonge de ce contexte, celui des « terres d’État », mensonge qui ne peut être comparé qu’à celui des « absents présents » palestiniens d’Israël.
Les colons ont menti et les politiques ont menti, l’armée et l’Administration Civile dans les territoires ont menti – ils ont tous menti au monde et à eux-mêmes. De la protection d’un pylône d’antennes est née une méga-colonie et d’un week-end à cet hôtel est né le pire du lot. Les membres du cabinet qui ont ratifié, les membres de la Knesset qui ont opiné du chef et cligné de l’œil, les officiers qui ont signé et les journalistes qui ont blanchi le propos, tous connaissaient la vérité. Les Américains qui ont « condamné » et les Européens qui ont « été furieux », l’Assemblée Générale de l’ONU qui « a fait appel » et le Conseil de Sécurité qui « a tranché », aucun d’entre eux n’a jamais eu la moindre intention de donner suite avec quelque action que ce soit. Le monde se ment aussi à lui-même. Cette façon de faire arrange tout le monde.
Cela facilite aussi la sortie sans fin des mensonges quotidiens qui camouflent les crimes commis par les Forces de Défense Israéliennes, la Police des Frontières, le Shin Bet, l’Administration des Prisons et l’Administration Civile – la totalité de l’appareil de l’occupation. Cela facilite aussi l’utilisation d’un langage aseptisé, le langage de l’occupant tant aimé des médias, le même langage que celui utilisé pour décrire leurs excuses et leurs auto-justifications. Il n’y a pas en Israël de blanchiment comparable à celui qui décrit l’occupation et il n’y a pas d’autre large coalition qui la diffuse et la soutienne avec autant de dévotion.
La seule démocratie du Moyen-Orient qui utilise une tyrannie militaire brutale et l’armée la plus morale du monde qui tue plus de 500 enfants et 250 femmes en un seul été – quelqu’un peut-il concevoir un mensonge plus gros que celui-là ? Quelqu’un peut-il imaginer une plus grande auto-tromperie que celle qui prévaut en Israël et qui dit que tout ceci nous a été imposé, que nous ne le voulions pas, que les Arabes sont à blâmer ? Et encore, nous n’avons pas mentionné le mensonge des deux Etats et le mensonge comme quoi Israël recherche la paix, les mensonges sur la Nakba de 1948 et la « pureté » de nos armes dans cette guerre, le mensonge à propos du monde entier qui serait contre nous et le mensonge comme quoi les deux côtés sont à blâmer.
Depuis les paroles de Golda Meir « nous ne pardonnerons jamais aux Arabes d’obliger nos enfants à les tuer » à « une nation ne peut pas être un occupant sur sa propre terre », les mensonges succèdent aux mensonges. Cela ne s’est pas arrêté jusqu’à aujourd’hui. Cinquante ans d’occupation, cinquante nuances de mensonges. Et maintenant ? Cinquante ans de plus ?
Traduction J. Ch. pour l’Agence Média Palestine
Source : Haaretz