Rendant hommage aux 13 152 personnes – parmi lesquelles plus de 4 000 enfants – raflées et parquées au Vél’d’Hiv les 16 et 17 juillet 1942 par la police française avant d’être envoyées à Auschwitz, parce que juives, Emmanuel Macron a souligné le rôle de la France dans ce crime. Mais, en invitant le premier ministre israélien aux commémorations, en faisant explicitement l’amalgame entre antisémitisme et antisionisme, il a cumulé faute morale et faute politique.
Emmanuel Macron avait pourtant bien commencé. Ce dimanche 16 juillet, il rendait hommage aux 13 152 victimes de la rafle du Vél’d’Hiv, perpétrée par la police française contre les juifs de notre pays, avant qu’ils soient déportés vers le camp d’extermination d’Auschwitz. « Alors, oui, je le redis ici, c’est bien la France qui organisa la rafle puis la déportation et, donc, pour presque tous, la mort des 13 152 personnes de confession juive arrachées les 16 et 17 juillet 1942 à leurs domiciles, dont plus de 8 000 furent menées au Vél’d’Hiv avant d’être déportées à Auschwitz. Parmi elles, 4 115 enfants de 2 à 16 ans, dont aujourd’hui nous honorons plus particulièrement la mémoire.» Rares furent ceux qui – comme Henri Malberg – parvinrent à y échapper.
Connaître et reconnaître l’Histoire
Dans les pas de Jacques Chirac, l’actuel locataire de l’Élysée a salué la mémoire de ces êtres arrachés à la vie et refusé de nier l’Histoire, soulignant que cette rafle fut l’œuvre de la police française, obéissant aux ordres du gouvernement français, et que « pas un seul Allemand n’y prêta la main ».
« La France, en reconnaissant ses fautes, a ouvert la voie à leur réparation. C’est sa grandeur. C’est le signe d’une nation vivante qui sait regarder son passé en face. C’est là le courage d’un peuple qui ose son examen de conscience et tend la main aux victimes et à leurs enfants. Tendre la main, retisser les liens, ce n’est pas s’humilier par je ne sais quelle repentance, c’est se grandir, c’est être fort », a-t-il affirmé.
Rappelant le rôle de la Résistance, il est également revenu sur ce qui a permis l’arrivée de Pétain au pouvoir et le régime de Vichy, sur l’antisémitisme qui s’était déjà manifesté sous la Troisième République, mais également sur les discours qui permettent jusqu’à aujourd’hui au racisme de prospérer, et qui ne sauraient laisser indifférents.
Réfugiés : l’ombre de la place Beauvau
Parmi les ambitions du pays, a affirmé le président de la République : « Accueillir du mieux possible les réfugiés que la guerre jette sur les routes… parce que toutes ces causes, toutes nous grandissent. » Pourtant, le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, tient un autre discours et déploie d’autres pratiques. Il a par exemple renforcé les dispositifs policiers à Calais et, dans les colonnes du Parisien, le mois dernier, a insisté sur une volonté : les étrangers « qui sont en situation irrégulière doivent être éloignés ». Alors même que la plupart des demandeurs d’asile sont eux-mêmes sans papiers et ont les plus grandes difficultés à déposer leurs dossiers. Entre les discours de l’Élysée et les actes, il y a donc loin de la coupe aux lèvres.
Français juifs : représentés par Israël ?
Mais c’est l’invitation officielle faite au premier ministre israélien – une première – de participer à la commémoration qui a soulevé l’indignation de nombre d’organisations ou de personnalités. Celle de l’Union des juifs français pour la Paix (UJFP), d’abord. « Les Français juifs seraient-ils des citoyens à part ? » demande l’organisation dans un communiqué, commentant : « C’est ce que suggère notre Président en invitant un chef d’État étranger pour commémorer une tragédie française, la rafle du Vél’d’Hiv. » Rappelant ce qui s’est joué au Vél’d’Hiv, l’association interroge : « En quoi ce crime contre l’humanité « franco-français » concerne-t-il un chef d’État étranger ? À quel titre un chef d’État étranger pourrait parler au nom des victimes et de leurs proches ? […] Sauf à considérer que les juifs français sont des citoyens un peu différents, qu’ils ne sont pas tout à fait français et doivent être représentés par l’État d’Israël… Curieuse vision de notre République que nous présente-là son nouveau Président. »
Crimes et message de paix ?
L’UJFP et plusieurs autres associations, l’AFPS, « Trop c’est trop »… rappellent également que le premier ministre israélien, chef d’un gouvernement qui fait la part belle à l’extrême droite, et responsable de l’extension de la colonisation sur des terres confisquées en Palestine occupée, du siège imposé à la population de Gaza depuis plus de dix ans, de guerres qui ont ravagé cette population et son territoire, de coupures d’eau et d’électricité en dépit des besoins sanitaires élémentaires, d’arrestations de masse, dont celles de centaines d’enfants soumis à la torture, qui refuse la mise en œuvre des droits nationaux du peuple palestiniens comme du droit international, qui professe la différenciation des droits en Israël même entre juifs et Palestiniens, qui organise la répression contre les Israéliens militant en faveur de l’égalité des droits et la défense des droits humains… ce premier ministre-là, donc, ne saurait être le meilleur représentant d’un message de paix, de justice, de droit, de lutte contre le racisme quel qu’il soit. Cela ressemblerait même plutôt à une provocation.
« Cher Bibi »
Pourtant, en dépit des mises en garde, Emmanuel Macron a tenu à la présence à son côté du premier ministre israélien, à qui il a donné du « cher Bibi ». Son prédécesseur, François Hollande, n’avait-il pas quant à lui, à l’occasion d’un voyage en Israël en novembre 2013, affirmé au même Benyamin Netanyahou : « Si on m’avait dit que je viendrais en Israël, et qu’en plus de faire de la diplomatie j’aurais été obligé de chanter… je l’aurais fait ! Pour l’amitié entre Benjamin et moi-même. J’aurais toujours trouvé un chant d’amour pour Israël et pour ses dirigeants » ?
Amalgames dangereux
Le discours d’Emmanuel Macron avait bien commencé, mais quelques mots à la fin de ses propos l’ont gâché. « Nous ne cèderons rien à l’antisionisme, car il est la forme réinventée de l’antisémitisme », a-t-il proféré, par un amalgame que seul Manuel Valls avait osé avant lui.
Un tel propos cependant s’avère à la fois absurde et dangereux. Absurde, parce que le sionisme est une idéologie, d’État. Le critiquer n’a donc rien à voir avec le racisme. C’est, que l’on soit pour ou contre, décortiquer ses ressorts et le nationalisme séparatiste qui le sous-tend, dans un contexte historique donné.
Dangereux, parce que laisser croire qu’existerait un signe d’égalité entre antisionisme et antisémitisme, c’est aussi laisser croire que les juifs parce que juifs seraient sionistes a priori. Ce qui est non seulement historiquement faux (Emmanuel Macron accuserait-il les juifs bundistes, les socialistes, les marxistes, les ultrareligieux, antisionistes et massacrés eux aussi par les responsables du génocide des juifs d’Europe, d’avoir été antisémites ?), mais aussi moralement inadmissible : il n’y a pas plus d’essentialisme juif que d’autres essentialismes. Politiquement, cela renvoie même aux antisémites l’idée abjecte selon laquelle tous les juifs parce que juifs soutiendraient l’État d’Israël et sa politique. Ce qui est évidemment totalement faux. Si, à la suite des travaux des historiens palestiniens et des nouveaux historiens israéliens, les conditions de la création de cet État (expulsion planifiée des deux tiers des Palestiniens, voire négation de leur existence, massacres, refus de leur retour…) peuvent pour le moins être mises en cause, l’OLP elle-même a reconnu de longue date l’existence de cet État. Ce qui est en jeu, pour le président de la République, c’est bien une tentative de délégitimer le mouvement de solidarité avec le peuple palestinien et avec les anticolonialistes israéliens, et de décrédibiliser toute critique de la politique israélienne bien actuelle.
Au risque de développer des communautarismes illusoires et mortifères qu’il est pourtant au contraire urgent de combattre.
Coopérations tous azimuts
L’objectif est surtout de développer la coopération entre Paris et Tel-Aviv, Emmanuel Macron affirmant également une grande « convergence de vue » avec Benyamin Netanyahou, en citant notamment la situation au Liban et en Iran.
En fait, la diplomatie française, en dépit des principes qu’elle affirme, semble moins encline à faire respecter le droit international qu’à passer outre pour développer de nouveaux contrats. « Je pense que, dans le domaine de l’économie, du digital, de la cyberdéfense comme de la technologie cyber, nous avons beaucoup de choses à faire ensemble et mon souhait est de renforcer encore nos liens », a assuré Emmanuel Macron à son hôte. Et de préciser : « Dans les prochains mois, je demanderai au ministre de l’Économie de se rendre [en Israël] avec une délégation d’entreprises pour étendre justement dans les différents domaines ces liens. »
Les violations des droits du peuple palestinien et du droit international, qui perdurent maintenant depuis des décennies et sont devenus un abcès de fixation dans toute la région, ne seront donc pas sanctionnées. Au contraire.
Emmanuel Macron, à l’occasion du bel hommage rendu aux victimes du Vél’d’Hiv, aurait pourtant dû se renseigner. En Israël, dont il vante la réussite économique, un quart des quelque 200 000 survivants du génocide des juifs d’Europe qui se sont installés en Israël vivent aujourd’hui au-dessous du seuil de pauvreté.
Par Isabelle Avran. Paru dans La Nouvelle Vie Ouvrière, le 18 juillet 2017.