Censure et racisme au Ministère de l’éducation israélien

Dorit Rabinyan est une écrivaine israélienne talentueuse et reconnue. Son livre Haie vive devait faire partie du corpus littéraire pour le baccalauréat, du moins selon les recommandations de la commission responsable des programmes littéraires du secondaire. Mais une certaine Dalia Fenig, présidente ad interim du secrétariat pédagogique au Ministère de l’éducation, en a décidé autrement en interdisant le roman. Ses arguments font froid dans le dos: «sauvegarder l’identité du peuple [juif]»; «la signification [négative] de l’assimilation»; «des relations intimes entre des juifs et des non-juifs sont perçues par une partie importante de la population comme menaçant le maintien de l’identité». Si on remplace «juif» par «aryen», on se retrouve quatre-vingts ans en arrière, quelque part au centre de l’Europe…

Haie vive raconte une histoire d’amour entre une juive israélienne et un Palestinien de Ramallah. Elle se déroule à New York car elle est quasiment inimaginable en Israël: ce n’est que loin du racisme ambiant que de telles relations peuvent parfois se développer.

Comme l’explique très bien l’éditorialiste du quotidien Haaretz Ravit Hecht: «Avant tout, si l’affaire Haie vive échauffe tellement les esprits, c’est parce qu’elle est faite du matériau le plus basique et le plus primitif de la culture humaine – le sexe et la race.[note]Haaretz, 1er janvier 2016]].»

Derrière les mots «assimilation» ou «maintien de l’identité» se cache la peur atavique d’un accouplement entre deux êtres appartenant à des espèces différentes – un véritable crime contre nature.

Disons le clairement: ce racisme biologique est largement partagé dans la société israélienne (c’est dans notre ADN, nous dit Rabinyan) où les mariages entre juifs et non-juifs restent perçus comme une sorte de trahison ou, pour le moins, comme une action contraire à l’ordre naturel des choses. Comme l’écrit encore Ravit Hecht: «L’aspiration à une vie libre, qui inclut des définitions et des valeurs choisies individuellement – peut-être l’unique définition de l’être humain –, est ce qui distingue l’humain de l’animal. Sauter au-dessus de la haie, la détruire, l’éradiquer.» Mais elle ajoute: «Ces dernières années, en Israël, cette aspiration est de plus en plus écrasée.»

Le ministre (d’extrême droite) de l’Éducation, Naftali Bennett, a fait de cet écrasement une véritable croisade, en mettant en place une Administration de l’identité juive et en faisant réécrire les manuels d’éducation civique afin qu’ils insistent davantage sur ce qu’il appelle la «dimension juive». Il s’agit là d’une politique d’endoctrinement qui a poussé de nombreux enseignants à réagir, annonçant qu’ils refusaient de respecter les nouvelles consignes.

Il n’y a pas si longtemps encore, la culture dominante prétendait à l’universalisme et rejetait les valeurs ouvertement racistes. S’il ne fait aucun doute que ce rejet était fait de beaucoup d’hypocrisie et d’une mauvaise foi flagrante – effectivement, le racisme est dans l’ADN de la culture et de la politique israéliennes, et dans le concept même d’Etat juif –, il n’en reste pas moins qu’il existait. Aujourd’hui, la société israélienne a perdu le sens de la dignité. Repousser le racisme, pointer l’indécence des comportements racistes, c’est ce qui distingue la moralité de la loi de la jungle. Pour reprendre les mots de l’éditorialiste de Haaretz, «c’est ce qui fait la différence entre éthique et Daesh».

Michel Warschawski.

    Tous les dossiers