Au fil des années, les rapports s’additionnent, les paroles aussi sans résultat. L’occupation-colonisation de la Palestine et l’oppression féroce se poursuivent sans d’autres réactions que verbales. C’est pourquoi je crois qu’il faut, encore plus que par le passé, mettre à l’honneur la poésie. C’est pourquoi, après avoir posté comme premier billet un poème, je récidive aujourd’hui avec un texte mêlant prose et langage poétique (ci-dessous).
En cela je rejoins Stéphane Hessel qui affirmait l’absolue nécessité de la poésie ainsi que Nelson Mandela. Ce dernier avait tenu bon durant ses longues années d’emprisonnement à Robben Island grâce à un court poème, Invictus, de l’écrivain William Ernest Henley (http://parolenarchipel.com/2013/12/15/invictus-le-poeme-prefere-de-nelson-mandela/).
Ce n’était pas hier mais aujourd’hui, Olivia Elias, 2 novembre 2015
La veille, lorsqu’il s’était allongé, il avait souhaité ne jamais se réveiller. Son rêve n’avait pas été exaucé. L’aube était venue comme elle vient toujours dans cette contrée, dans une lueur rose et dorée.
Il avait ordonné à son cœur de battre moins fort, à son cerveau de cesser de penser, à son corps d’obéir.
Il devait parcourir jusqu’au bout son chemin du Golgotha.
La semaine dernière, il avait vidé avec l’aide des voisins la maison. Ce matin, il se souvenait qu’il devait démonter les portes et les fenêtres. Il s’en servirait pour construire la nouvelle demeure, il l’avait promis aux enfants. Les plus grands l’aideraient. Les petits étaient sous la garde des femmes, tenues à l’écart.
Avant de donner le premier coup, il regarda autour de lui. Aucun nuage ne troublait la tranquillité du ciel. Aucun ange ne descendit pour arrêter cette barbarie.
Il avait frappé, de plus en plus fort, pris d’une rage terrible pour en finir au plus vite avec ce meurtre obligé – l’assassinat de sa propre maison, construite brindille après brindille, plume après plume. L’assassinat de son foyer, de son cœur.
Les enfants jouaient devant la porte. Les femmes s’installaient sous la tonnelle pour trier riz et lentilles, farcir les légumes. Sa place favorite était près de la fenêtre donnant sur le couchant.
Il avait frappé, frappé. La maison s’était effondrée comme un glacier qui s’effondre sur ses bases dans un bruit assourdissant, en Antarctique.
Il n’a rien dit. Mais je le sais. Ce n’étaient pas des banquises qui dérivaient sur la mer ensanglantée mais des fragments de son cœur.
Lorsque tout fut terminé, on put apercevoir à travers la façade éventrée, un tableau d’une beauté vénéneuse. Des pans de murs pris dans l’enchevêtrement de tiges d’acier et de fils électriques.
Lianes géantes oscillant dans le vide
Vestiges de vie mêlée à la mort
Ce n’était pas hier à Angkor
Ce n’était pas en pays inca du temps des Conquistadors
Ce n’était pas du temps des Croisés
Des bûchers et de l’inquisition
Ce n’était pas du temps des camps de la mort
Ce n’était pas en 1948 lorsque les Conquérants
Ordonnèrent la destruction
Par le glaive et le feu de 500 villages
Et condamnèrent à l’exil les habitants
Mais aujourd’hui à Jérusalem
La ville éternelle
Plongée dans la nuit des chacals
02 NOVEMBRE 2015 | PAR OLIVIA ELIAS
Note de l’auteur : il arrive que les Palestiniens, très souvent contraints de construire sans permis à Jérusalem-Est et en zone C, soient obligés par un jugement de justice à démolir eux-mêmes leur maison. Il arrive aussi qu’ils choisissent cette option parce qu’ils ne peuvent payer la somme très élevée exigée par les services municipaux israéliens pour le faire.