Une seule terre. Deux peuples. Dont l’un a l’assurance de la continuité et de la légitimité historique mais n’est pas reconnu et se fait massacrer; l’autre est représenté par l’outrecuidance d’un État qui, pour régler la difficulté, commence par accaparer la terre puis en élimine la population autochtone. Si l’expression « une terre pour deux peuples » renvoie au livre de l’historien Ilan Pappe paru en 2004, elle introduit parfaitement la revendication de l’égalité « de la mer au Jourdain » portée par le mouvement de solidarité réelle avec Gaza et la Cisjordanie. Bien évidemment, par une interprétation extensive à la manière dont Pinard, procureur général, condamnait Baudelaire et Flaubert pour obscénité à la fin du XIXè siècle, le pouvoir exécutif français condamne la métaphore comme faisant partie de la fameuse « apologie du terrorisme », abolissant jusqu’à la liberté d’expression la plus élémentaire, relative à l’horrible situation d’épuration ethnique que nous connaissons.
– « Une terre pour deux peuples », c’est pourtant cette idée que mettent explicitement en avant des Israéliens conscients « que des gens de [leur] peuple font du mal à des personnes innocentes ». RFI, 18/03/2025 : Ces Israéliens solidaires des Palestiniens pendant le ramadan
À la Une pendant le génocide :
– La France Insoumise, en s’aventurant sur le terrain de chasse de Charlie-Hebdo, pour le moins islamophobe, a commis une erreur. Mis à part qu’on ne s’improvise pas caricaturiste, surtout dans la période présente, on sait que l’islamophobie est le pendant utile de l’antisémitisme. Ce sont les racistes revendiqués qui entretiennent le feu couvert de l’antisémitisme tout en alimentant le feu ouvert de l’islamophobie. Hanouna a beau incarner la violence brute autant que médiatique (ce pour quoi son émission été sanctionnée par l’Arcom) le voilà converti à l’état de victime par une mauvaise, schématique et malheureuse caricature ; et par l’opportunité idéologique de crier haro sur LFI à partir d’un cliché allusif1. De là à opérer le transfert de la charge d’antisémitisme du RN vers LFI, même Jonathan Ayoun sur Radio J n’y croyait pas ce jeudi 20 mars à 8h30, dénonçant la « vieille stratégie » de normalisation du RN « parti n°1 en France pour l’antisémitisme ». Mais il n’est pas certain que cette radio qui, sous la plume d’un certain Gabriel Attal, promeut Bardella conférencier à Jérusalem sur l’antisémitisme, soit aussi lucide que lui. Radio J, 13/03/2025 : Jordan Bardella se rendra en Israël fin mars pour une conférence sur la lutte contre l’antisémitisme
– Dans l’immédiat, c’est jugé comme une simple atteinte au « droit à l’image ». Le Monde, 21/03/2025 : Visuel sur Cyril Hanouna : LFI condamnée pour atteinte au « droit à l’image »
– Qui dit LFI dit Mélenchon. Qui dit Mélenchon dit préférence de Raphaël Enthoven pour Le Pen. Qui dit Le Pen dit antisémitisme sioniste. Quant à choisir en tant que juive entre Mélenchon et Le Pen, voici ce que disait Sophie Bessis le 2 mars au micro de Thomas Legrand, face à Guillaume Erner : « si je me réfère au présent, à ce qu’on dit depuis un an et demi à peu près ; accuser l’extrême gauche d’un antisémitisme quasiment ontologique est à mon avis un scandale total. […] Si demain il se passait une catastrophe en France du genre Vichy, je ne me réfugierais pas chez Marine Le Pen. Je préfère aller me réfugier chez Mélenchon. » France Inter, 02/03/2025 : La concurrence victimaire
Beaucoup moins grave que l’antisémitisme :
– Certes beaucoup moins grave, mais tout de même, « tous les responsables politiques devraient s’insurger ». Thomas Legrand finit par poser la question. Libération, 21/03/2025 : Ukraine, Gaza : devenons-nous insensibles aux injustices, aux massacres ?
Où il est question des enfants, de « tous les enfants » !
– Prenons le « live en cours » du journal Le Monde du 21 mars à 18h. Il y est rapporté en cascade les alertes des agences de l’ONU dont l’UNICEF : « « Les gens sont déjà épuisés, leur système immunitaire et leur santé mentale sont déjà affaiblis, et les populations sont au bord de la famine », a alerté M. Rose. James Elder, porte-parole de l’Unicef, a estimé, de son côté, que Gaza représentait le seul « exemple dans l’histoire moderne où tous les enfants d’une population ont besoin d’un soutien en santé mentale » ».
N’en jetez plus !
– Que valent les actes quotidiens de génocide face à l’aubaine d’un emballement médiatique en France ? C’est l’occasion de relancer l’idée que l’antisionisme serait un antisémitisme. Et c’est entre autres un « amoureux d’Israël », François Hollande qui a tant embrassé le criminel de guerre Netanyahou, qui s’y colle en disant « On ne reproche plus aux juifs de vouloir contrôler le monde mais aux sionistes de vouloir contrôler les terres » . Énorme. Il co-signe ce propos le jour même où Israël « souhaite annexer Gaza et la Cisjordanie », rapporte France Info ! Les informés de franceinfo du vendredi 21 mars 2025
– La crise ouverte par le cliché de LFI caricaturant Hanouna est instrumentalisée à souhait, comme l’est la crise franco-algérienne. Feu couvert de l’antisémitisme, feu ouvert de l’islamophobie. De ce feu-là, Sarkozy a été un pionnier. Benjamin Stora : « Pour la première fois, un candidat venu des rangs de la droite traditionnelle, républicaine, du courant gaulliste, faisait siennes les antiennes de l’extrême droite : la grandeur de la France, la nostalgie de l’Empire, le regret de « l’abandon » de l’Algérie française. » « Quant à la litanie des reproches adressés par Bruno Retailleau à l’Algérie, entre autres sur le refus des OQTF, elle signale une instrumentalisation à des fins de politique intérieure qui avait rarement atteint un tel degré. » L’Humanité, 19/03/2025 : Benjamin Stora : « Cette crise franco-algérienne est instrumentalisée à des fins de politique intérieure »
– À ce stade de disruption qui rend fou comme le démontrait le regretté Bernard Stiegler, où la rhétorique algorithmique suffit à faire écran à la réalité la plus criante et la plus dévastatrice, citoyens et citoyennes sont dépouillés de leur citoyenneté. Le langage de l’humanité est détruit. Le psychanalyste Roland Gori ne dit pas autre chose. L’Humanité, 17/03/2025 : « On est en train de désarmer politiquement et psychiquement les citoyens » : Roland Gori en débat avec les Ami.es de l’Humanité
Se rattraper aux branches, maintenant :
– « Nos ennemis nous voient venir de loin, et nous tout autant, nous nous voyons venir. » Le cinéaste libanais Ghassan Salhab participe au 47è Festival International du film documentaire qui se tient du 22 au 29 mars dans plusieurs cinémas parisiens. Il parle depuis Beyrouth de la difficulté d’agir « en ces temps de consentement au génocide ». lundimatin, 21/0302025 : Nos yeux
– Horizons XXI, nouvel espace d’expression dans Orient XXI, s’est ouvert ce 20 mars par un entretien de Sophie Bessis, historienne, avec Sarra Grira, rédactrice en chef d’Orient XXI, sur L’imposture de la civilisation judéo-chrétienne
- « Le mot français [allusion] signifie à la fois « jeu de mots plaisant » (1558) et « expression qui éveille une idée, sans désigner clairement » (1593). De là on passe au sens moderne de « sous-entendu », vers le milieu du XVIIè s. (attesté 1671) » ; Le Robert, dictionnaire historique de la langue française, Paris, 1999. Pour incriminer LFI d’une volonté antisémite il faudrait qu’un discours en ce sens ait accompagné ledit visuel. C’est une différence majeure avec le film nazi « le juif Süss » (invoqué par les détracteurs) qui développait un tel discours. Cette distinction faite, le visuel Hanouna, porteur des stigmates de l’intelligence artificielle, n’en devient pas plus pertinent[↩]