Que reste-t-il de ma condition juive ?
Je croyais naïvement qu’affirmer ma judéité et mon antisionisme étaient une frontière morale protectrice me permettant de conserver ma dignité juive, ma dignité d’être humain, tout simplement.
Mon indignation après l’assassinat par les forces israéliennes de Shireen à Jénine restait dans les limites de cette position, même si ma colère franchissait un nouveau seuil.
Tuer des enfants palestiniens est intolérable, tuer les témoins de leurs meurtres tout autant.
Israël et son armée m’ont habitué à ces atrocités, elles irriguent mes raisons d’être antisioniste, justifient mon combat.
Les agressions des forces policières israéliennes qui nous été données à voir au cours des funérailles à Jérusalem Est de Shireen Abu Akleh sont d’une autre nature. Elles interrogent ce qu’il y a de plus sacré au plus profond de moi même : ma judéité. Croyant ou pas.
Cette judéité familiale que je porte en héritage, de générations en générations, jamais reniée, jamais remise en question, même aux pires moments de notre histoire.
Nous étions et je suis Juifs, point.
Jeudi 12 mai à l’hôpital Saint Joseph puis, vendredi 13 mai 2022, au cours des funérailles de Shireen Abu Akleh à Jérusalem Est, les scènes de violences inouïes qui ont fait le tour du monde, en direct, sont d’une autre nature : elles interrogent non seulement ma judéité, elles remettent en question ma condition humaine.
Les notions traditionnelles que nous employons pour dénoncer la politique israélienne, que ce soit celle d’apartheid, celle d’occupation, celle de colonisation, celle de crimes de guerre ou, celle de crimes contre l’Humanite n’ont plus sens après ce qu’il s’est passé dans la cour de l’hôpital Saint Joseph à Jérusalem.
Elles ne relèvent pas de poursuites devant la Justice internationale.
Cette bestialité sans nom n’est inscrite dans aucun traité international, n’est pas nommée dans le Statut de Rome.
Cette barbarie qui se prétend juive ne concerne que moi, que je le veuille ou non. M’atteint au plus profond de moi-même, questionne mon identité juive, mon honneur. Nul tribunal, nul jugement devant la CPI ne m’apaiseront. Cette blessure est une tache indélébile faite à ma judéité.
Au lendemain de cette épreuve, je suis irrémédiablement atteint. Évoquer la Baraque aux Juifs de la prison de Montluc où était mon père, puis Auschwitz, Mauthausen et Melk enfin, où il est mort, n’a plus de sens.
La page est tournée. Nous sommes définitivement entrés dans le XXIe siècle. Tout est à reformuler.
Il me faut à nouveau interroger l’indicible.
L’innocence que me procurait mon affirmation d’être antisioniste est brisée. Ce que je pensais être mon humanité est remis en question.
Honte aux assassins de Shireen Abu Akleh !
Honte à ces gens qui osent encore se prétendre Juifs.
Honte à ces assassins de notre histoire !
Georges Gumpel
Le 15 mai 2022