Antisémitisme et rejet d’Israël

Henri Goldman

14 octobre 2021

Ceux et celles qui se sentent interpellé·es par la résurgence de l’antisémitisme – qui a connu une nouvelle poussée à l’occasion de la pandémie de Covid – ne peuvent ignorer à quel point celui-ci est instrumentalisé par la diplomatie de l’État d’Israël. Cet État cherche obstinément à faire passer pour de l’antisémitisme l’hostilité que suscite sa politique dans les opinions publiques et l’attitude critique qui la prolonge. Ce tour de passe-passe se manifeste à l’occasion de la campagne internationale menée en faveur de la nouvelle définition de l’antisémitisme proposée par l’International Holocaust Remembrance Association (IHRA) qui a pour véritable objectif de criminaliser cette critique. Je l’ai évoqué à plusieurs reprises sur ce blog.

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Lire aussi : L’antisémitisme instrumentalisé (11 avril 2021) et L’enfumage de l’anti-antisionisme (17 avril 2021)

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Preuve de l’efficacité de cette campagne : ce point de vue est avalisé comme allant de soi dans une dépêche Belga publiée le 12 octobre 2021 sous le titre «L’antisémitisme lié à un rejet d’Israël particulièrement marqué en Belgique» [1], qui rapporte les conclusions d’une enquête. Pourtant, en lisant la dépêche, j’arrive à une conclusion complètement opposée.

Présentons d’abord le commanditaire de l’enquête, puisque la dépêche Belga s’est dispensée de le faire complètement. L’association Action and Protection League (APL) est une association juive vouée à la lutte contre l’antisémitisme. Dirigée par un rabbin lubavitch, c’est une association classique de lobby à l’américaine : elle est basée en plein quartier européen et n’a aucun relais sur le terrain. Elle épouse toutes les campagnes de la propagande israélienne et s’en prend violemment à la Jerusalem Declaration on Antisemitism qui constitue une alternative à la définition de l’IHRA et est contresignée par des centaines de chercheurs d’origine juive de par le monde, y compris israéliens et même sionistes [2]. Selon l’APL, le véritable objectif de cette déclaration serait de salir Israël sous prétexte de lutte contre l’antisémitisme. 

Le rabbin lubavitch hongrois Shlomo Koves, fondateur de l’APL à la tribune d’une salle très masculine.

Pour autant, les résultats de l’enquête sont intéressants, tout particulièrement pour la Belgique. La septantaine de questions posées au panel se répartissent dans les trois volets de l’antisémitisme tel que l’envisagent ses promoteurs. Le premier volet regroupe les vieux stéréotypes. Sans surprise, les pires résultats ont été enregistrés en Hongrie, en Pologne et en Grèce. Avec 19%, la Belgique serait juste sous la moyenne européenne (20%). Le deuxième volet recouvre la relativisation de «l’Holocauste». Avec 34%, la Belgique serait nettement sous la moyenne (39%). Mais elle s’envolerait dans le troisième volet qui mesure «l’hostilité vis-à-vis d’Israël» : 62% pour une moyenne européenne de 49%. Elle ne serait devancée dans le peloton de tête que par des États qui performent sur le premier volet de l’antisémitisme historique, comme la Pologne et la Grèce.

Rien ne vient étayer la pétition de principe que «le rejet d’Israël» serait de l’antisémitisme.

Pour l’APL, l’objectif de cette enquête était «d’alimenter une carte du continent donnant un indice de “dangerosité” pour les Juifs et de peser sur les législateurs». Mais, l’association en convient, «les résultats sont variés et complexes, il est donc difficile de tirer des constats généraux par pays». Pour la Belgique, en tout cas, ce n’est pas mon avis. Ils démontrent que plus de 2/3 des 62% de personnes recensées pour leur hostilité à l’égard d’Israël ne partagent pas du tout les vieux stéréotypes antisémites. Qu’elles font parfaitement la distinction entre Israël comme puissance étatique et les Juifs comme individus ou collectivités. Dès lors, rien ne vient étayer la pétition de principe que «le rejet d’Israël» serait une composante de l’antisémitisme.

Dommage que la Commission européenne ne fasse pas preuve de la même lucidité puisque, dans un document récent (5/10/2021), elle accrédite les thèses de la propagande israélienne, allant jusqu’à recommander de renforcer les séminaires annuels UE-Israël de haut niveau sur la lutte contre le racisme, la xénophobie et l’antisémitisme (page 22).

Considérer qu’un État qui s’érige sur la dépossession d’un autre peuple, qui pratique l’apartheid et bafoue consciemment le droit international et les droits humains élémentaires puisse être un key partner dans la lutte antiraciste en dit long sur les effets dévoyés d’une certaine culpabilité européenne qui se soulage sur le dos du peuple palestinien, lequel n’est pour rien dans le malheur historique des Juifs.

[1] Je salue la prudence du Soir (13 octobre 2021) qui rapporte la dépêche sous un titre plus neutre : «Le rejet d’Israël fort marqué en Belgique».

[2] Comme l’historien Elie Barnavi et l’écrivain Abraham B. Yehoshua.

En manchette : mémorial aux Juifs d’Europe assassinés, 2015, Berlin