Amadou a essayé de mettre fin à ses jours

Amadou a essayé de mettre fin à ses jours, à 17 ans et demi, à l’hôtel, devant ses camarades de chambre.
Amadou ne supportait plus cette attente et le disait tous les jours.
Nous l’avions fait remonter au parquet et au tribunal, ainsi qu’a l’hôtel.

l’ASMIE existe depuis plus de 5 ans. Tous les jours, des professionnels bénévoles font avec les jeunes des ateliers et cours et créent des projets qui permettent à ces adolescents de s’exprimer sur leur situation.

Il y a aussi une permanence juridique et nous avons tissés des liens avec des formations professionnelles.

Il y a quelques mois, un des jeunes de l’ASMIE a donné mon numéro de téléphone à des copains à lui, livrés à eux même dans un hôtel situé à Paris (12eme).

Cet hôtel, où les punaises de lit vont de chambres en chambres en fonction du « nettoyage », est géré par une association avec laquelle l’ASE sous-traite.

Les jeunes y sont placés en « attente » de transfert, ou en attente de réponse quant à leur minorité (lorsqu’ils n’ont pas de documents mais que l’évaluation a jugé que peut être…).

Ils peuvent donc potentiellement être remis à la rue d’un jour à l’autre, c’est donc un public extrêmement fragile qu’on laisse seul, à l’abandon.

Une équipe — des jeunes adultes pas du tout éducateurs ni formés à ce type de public, passent leur apporter des sandwichs et les compter chaque jour à 18h. Avant et après : rien.

L’association fait tourner les équipes d’hôtels en hôtels afin qu’aucun lien ne puisse se créer entre les jeunes en attente et les porteurs de sandwichs…

Certains jeunes sont là depuis plusieurs mois, oubliés alors que reconnus mineurs après ces mois d’attente. Ces mois d’attente rendent fous.

Ces mois d’attente, sans jamais savoir ce qu’il va se passer, font également perdre un temps précieux à ces jeunes qui devraient être à l’école au lieu de rester à fixer le plafond d’une chambre d’hôtel surpeuplée.

Sans titre de transport, sans soins médicaux, mal nourris (hôpital pour cause de maux de ventres liés à l’alimentation essentiellement constituée de tout petits sandwichs 2 fois par jour ou de repas non équilibrés)

Ils en perdent le sommeil ; ils peuvent passer jusqu’à trois évaluations (raconter son histoire à des inconnus, raconter son parcours, son histoire familiale, se faire entendre dire qu’on est pris mais avec de gros soupçons quant à ce qu’on a dit…), ces jeunes essayent de ne pas flancher, se raccrochant au fait qu’un jour ils iront à l’école, s’ils ne sont pas devenus majeurs avant…

Une visite à un psy de temps en temps (le psy est surtout là pour vous faire dire que vous avez menti, ou pour donner des « cours » de français…) , qui ne décèle même pas les troubles graves, comme pour Oumar…

J’avais déjà téléphoné à l’hôtel pour avoir le numéro de la référente de l’association.
J’avais alors appelé leur bureau, pour une jeune fille qui avait un abcès dentaire et que personne ne voulait accompagner à l’hôpital (pour rappel, un mineur ne peut aller seul à l’hôpital) alors que sa joue avait triplée de volume.

J’avais alors eu en ligne la responsable : une « charmante jeune femme » qui m’a alors répondu qu’elle n’avait aucun compte à me rendre sur la façon dont ils traitaient les jeunes, avant de me raccrocher au nez.

Je m’étais donc permise de la rappeler en lui expliquant que comme elle était payée avec l’argent public, elle avait en effet des comptes à rendre…

Car c’est bien là le problème : maltraiter des adolescents étrangers avec l’argent public et avec l’accord du Département (la Mairie de Paris en l’occurrence), sans que le grand public ne se rende compte de rien.

Et là, en plus, maltraiter des jeunes qui ont le droit à une prise en charge (qui sont considérés comme mineurs) et qui devraient avoir été transférés vers d’autres hôtels sur Paris ou partout en France avec accès à un éducateur et une « prise en charge » ASE.

Dans cet hôtel, de nombreux jeunes sont très déprimés, aussi, lorsque l’un d’entre eux est venu à nos cours et ateliers quotidiens (sans titre de transport et souvent le ventre vide…), de nombreux autres ont suivis.

Des jeunes abîmés, pas habillés (pas de blousons, des chaussures trouées, etc.),
J’ai donc côtoyé, et je côtoie tous les jours des jeunes malades et pas soignés, des jeunes en grande souffrance psychologique, un jeune qui a appris en même temps qu’il avait la Covid et qu’il était rejeté (soigné pour le moment mais ensuite la rue l’attend), des jeunes qui ont été transférés du jour au lendemain sans même savoir où le train allait les déposer, ni s’ils étaient attendus quelque part, qui m’ont appelés en larmes, angoissé d’avoir à tout recommencer ailleurs… Car rien ne garantit qu’ailleurs on les considère comme mineurs…

Nombre de ces jeunes sont d’ailleurs transférés dans les Hauts de France, région sinistrée où travail et futur sont proche du niveau zéro, sans parler du score du RN…
Et puis est arrivé Amadou.

Avec l’ASMIE, ces jeunes se sont rencontrés, ont fait du français, de l’informatique, de la vidéo, de la cuisine, ont appris les chansons écrites par les anciens (les jeunes de l’ASMIE ont sorti un CD 20 titres qui parle de leurs problématiques) sont montés déjà deux fois sur scène en l’espace de deux mois pour les partager avec un public ému.

Ils vont maintenant travailler avec moi à l’écriture de nouveaux morceaux et font une fois par semaine de la musique avec un pro pour apprendre à faire leurs propres boucles…

Ils ont aussi la possibilité d’avoir du soutien juridique grâce à des permanenciers aguerris et formés, en lien avec des avocats et des juristes.

Amadou venait régulièrement mais était assez « absent » dans son comportement de départ.

Il semblait totalement perdu, ne pouvait se concentrer, son regard était vide.
Amadou a fini par nous parler,
Il a expliqué son départ, les raisons douloureuses, sa vie en jeu… Suite à cela, je l’ai mis en contact avec une association spécialisée que nous connaissons bien et un rendez-vous devait avoir lieu, je devais l’accompagner un mercredi matin. Hélas, le mardi soir il a essayé d’attenter à ses jours, alors qu’il attendait ce rendez-vous avec joie et qu’il me l’avait écrit à plusieurs reprises par message.

N’ayant pas de ses nouvelles depuis le lundi soir, et sachant que les jeunes étaient confinés dans l’hôtel suite à un test Covid sans que personne ne leur dise combien de temps ils allaient rester enfermés, pourquoi, quels étaient les résultats de ces tests (passés plusieurs jours avant), et sans que les transferts de jeunes dans toute la France ne cessent (!), une d’entre nous est passée voir directement à son hôtel.
Personne ne savait où était Amadou sur place. Ils se sont alors rendu compte qu’il avait disparu.

Ce sont les jeunes qui étaient présents qui nous ont racontés (sans avoir vu de psy depuis) qu’une ambulance était venue le chercher, que le lendemain l’hôpital l’avait laissé sortir à 23H30 (!) et qu’ensuite il était revenu à l’hôtel puis avait disparu à nouveau.

Comment est-il possible de ne pas avoir vu qu’Amadou allait si mal ?
Comment est-il possible qu’alors que les jeunes sont confinés, et que suite à une tentative de suicide, un jeune ne soit absolument pas suivi ?
Comment se fait-il que personne ne vienne parler avec les jeunes de cette situation à laquelle certains ont assistés ?
Comment se fait-il qu’au bout de trois jours on finisse enfin par comprendre qu’Amadou est au CPAO à Saint Anne, vivant et enfin entre de bonnes mains, en appelant de notre côté car ni l’association en charge, ni l’hôtelier n’avaient l’info !
Que va devenir Amadou, que nous n’avons pas le droit d’aller voir alors que nous avons tissés les seuls liens forts qu’il a dans ce pays et que c’est cette solitude qui l’a poussé à cet appel au secours… ? Un Juge est saisi ENFIN et une avocate suit sa situation afin qu’il soit confié et suivi correctement par le SEMNA

En attendant, avec l’argent public, d’autres jeunes, comme Amadou restent livrés à eux même. Combien finiront par faire la même chose ?
Combien faut-il en compter avant que quelqu’un ne s’en soucie ???

Nous, bénévoles de l’ASMIE ne sommes pas face à des chiffres ou des dossiers mais bien devant des humains, adolescents bien réels que nous voyons sombrer devant nos yeux car inexistants pour vous, vous êtes amenés à les ignorer, ignorer leur mal être, leurs doutes, leur désespoir de tant d’indifférence.

Quand allez-vous écouter et entendre ???
Quand allez-vous faire en sorte que ces façons de faire changent et qu’on arrête de maltraiter des adolescents avec l’argent public, bien présent ???

Qui va enfin prendre ses responsabilités (députés au courant, juges, avocats, médecins, hôpital, éducateurs, etc.) et dire tout haut et bien fort que ça n’est plus possible ???

En attendant, Amadou, 17 ans et demi, a essayé de mettre fin à ses jours et pour l’instant sa situation n’a toujours pas changé…

Nathalie Senikies pour l’ASMIE (Association de Solidarité avec les Mineurs Isolés Etrangers)
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