Affaire du Bikini : la vérité mise à nu

Cette histoire est une illustration de ce qu’est l’islamophobie comme système et le rôle des médias dans ce système.

paru sur le site de Médiapart, le 15 décembre 2015 | Par Michaël Hajdenberg

De jeunes femmes islamistes qui passent à tabac une Rémoise ayant osé porter un maillot de bain dans un parc de la ville. Voilà la folle rumeur qui, cet été, a enflammé pendant 24 heures le monde politico-médiatique. La réalité était tout autre, comme cela a été acté par la justice lors du procès qui se tenait ce lundi 14 décembre 2015.

En vingt minutes, l’affaire était réglée. La justice est passée lundi à Reims et il ne reste définitivement plus rien du scandale du Bikini qui avait massivement occupé médias et politiques fin juillet, dans la torpeur de l’été.

Non, des jeunes filles islamistes n’ont pas voulu châtier une Rémoise au simple motif qu’elle voulait bronzer en maillot dans un parc de la ville. La réalité est bien plus banale : ce jour-là, une remarque puis des insultes ont tourné à l’affrontement, comme cela se produit tous les jours un peu partout en France. Résultat : sur les trois agresseuses jugées hier, une a été relaxée. Les deux autres ont été condamnées à des contraventions de 150 et 300 euros.

Tous les acteurs étant soucieux de remettre le contentieux à sa juste place, l’audience n’aura pas non plus permis d’assister au procès d’un spectaculaire emballement médiatico-politico-associatif. L’idée du président du tribunal était de s’en tenir aux faits. Or pas un mot dans le dossier ne mentionnait une quelconque dimension religieuse.

La folle destinée de ce fait divers (dont on a parlé au-delà des frontières françaises) n’a cependant pas été totalement occultée puisque l’avocate de la victime l’a évoquée pour appuyer sa demande de dédommagement à l’égard d’Angélique. Celle-ci n’a visiblement pas perdu que son bronzage ce jour-là. « Prostrée » chez elle, terrorisée, elle n’a pas pu venir à l’audience, traumatisée par l’affaire et ses conséquences.

Pour les vacanciers juillettistes qui avaient réussi à se couper du monde, rappelons donc l’enchaînement des faits, que France 2 a parfaitement restitué dans son émission « Complément d’enquête ».

Tout démarre le samedi 25 juillet, avec un article du quotidien L’Union de Reims. L’agression y est relatée, avec les motivations supposées d’une des membres de la bande : « Voir cette femme qui bronze au soleil allongée dans l’herbe, semble contraire à sa morale et sa conception des bonnes mœurs. Car elle vient lui reprocher sa tenue légère jugée indécente en pareil endroit. » Le journaliste enchaîne : « Effarée par un tel discours aux relents de police religieuse, la jeune femme se rebiffe. » S’ensuit la description de l’agression.

Le journaliste qui écrit ces lignes n’est pas un stagiaire d’été mais un fait-diversier expérimenté. Pourquoi a-t-il écrit cela ? Est-ce un policier qui l’a mal informé ? A-t-il pris une mauvaise blague au premier degré ? A-t-il voulu gonfler son histoire ? Tout en reconnaissant a posteriori une « maladresse », il ne s’en est jamais clairement expliqué.

Toujours est-il que l’information, publiée dans un journal sérieux, sous la plume d’un professionnel, prend la valeur d’un fait avéré. Les sites d’extrême droite s’en emparent sur les réseaux sociaux, en y associant le mot-clé #policereligieuse. Puis SOS Racisme appelle à une mobilisation virale et physique. Le maire de la ville, Arnaud Robinet, s’approprie le sujet, puis, entre autres, le vice-président du Front national Florian Philippot et un député (Les Républicains) comme Éric Ciotti. Les chaînes d’information en continu ne sont pas à la traîne.

Le dimanche, le procureur dément enfin la rumeur, déjà mise à mal par le site buzzfeed3 : il n’y a pas de motif religieux à cette agression. Pourtant, et « Complément d’enquête » est instructif à ce sujet, BFM TV, qui s’est rendu sur place, ne renonce pas : le démenti du procureur n’est cité qu’à la dernière phrase du compte-rendu fait par le journaliste sur place.

Mais au-delà des raisons qui ont pu pousser le journaliste de L’Union à écrire ces lignes, d’autres questions demeurent. Pourquoi le maire ne se renseigne-t-il pas avant de communiquer ? Pourquoi le procureur a-t-il mis si longtemps à démentir ? Pourquoi SOS Racisme a-t-il maintenu sa manifestation en Bikini, qui fera flop le dimanche ?

En comparaison, les questions du président du tribunal sur le déroulé de l’altercation manquent un peu de sel. D’autant que les faits précis sont rares : il mentionne six ou sept récits différents, parfois restitués par des personnes qui avaient des casques à musique sur les oreilles et qui n’ont pas bien entendu.

La version des agresseuses, pas vraiment contredite par la victime, est la suivante : la bande de filles passe devant Angélique en discutant. Hadoume, 20 ans, fait une remarque sur le fait qu’elle ne mettrait pas une telle tenue. Angélique l’entend et réplique sur le physique de « déménageuse » de Hadoume, qui ne lui permettrait pas de se mettre en maillot. Hadoume gifle Angélique. Puis, c’est la bagarre, à laquelle Zohra prend sa part. Angélique se défend, mord au sein – on retrouvera son chewing-gum dans le soutien-gorge d’une agresseuse –, elle est frappée à terre jusqu’à ce que des personnes interviennent. Les violences valent à Angélique une incapacité totale de travail (ITT) de quatre jours. À Zohra, une ITT de trois jours.

L’avocate d’Angélique explique que sa cliente a vécu un double traumatisme : les coups, puis l’exposition de l’affaire et de son identité sur les réseaux sociaux. Elle demande 10 000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice moral.

La procureur estime que les actes de violence en réunion sont caractérisés. Elle requiert des travaux d’intérêt général pour les deux prévenues qui ont un casier judiciaire vierge, et trois mois de prison ferme assortis d’un aménagement de peine pour Zohra, 24 ans, qui a déjà une dizaine de condamnations à son passif.

Me Hosni Maati défend Hadoume, 19 ans, jamais condamnée auparavant. « C’est sûr, elle a eu un geste malheureux, mais on a fait d’elle dans cette affaire ce qu’elle n’est pas, une islamiste porteuse de valeurs contraires à la République alors que c’est une petite-fille de harki qui s’est battu pour la France. » Hadoume, en jupe, très maquillée, un chignon sur la tête, écoute fébrilement son avocat. « Ma cliente a nourri depuis le collège, en raison de divers traumatismes, une susceptibilité exacerbée pour tout ce qui touche à son physique. Mais elle se retrouve mêlée à une affaire malheureuse, qui a pris des proportions qu’elle n’aurait jamais dû prendre. » L’avocat de Zohra plaide, lui, la légitime défense et explique que sa cliente ne va quand même pas dédommager un préjudice causé par la presse.

En relaxant une des prévenues qui n’avait fait que séparer les protagonistes, en requalifiant les faits et en ne condamnant les deux autres qu’à de simples contraventions et 600 euros de dommages et intérêts, le président les a largement entendus.