Le témoignage poignant d’Abu Amir à Gaza le 1er janvier 2024

Photo : le soleil se lève au-dessus de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza en ce premier jour de l'année par AFPTV. Le témoignage poignant d'Abu Amir à Gaza le 1er janvier 2024
Photo : le soleil se lève au-dessus de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza en ce premier jour de l’année par AFPTV
Photo : le soleil se lève au-dessus de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza en ce premier jour de l’année par AFPTV

Le 28 décembre au soir : nous avons passé une nuit difficile dans la zone d’Al-Sawarha de la région d’Al-Zawaida. C’est dans cette zone que nous avons passé une semaine terrifiante après avoir été déplacés de notre maison de Nuseirat. Les bombardements ont commencé la nuit, plus précisément à huit heures du soir. Les bombardements étaient intenses et continus, provenant des canons des tanks, des navires de guerre, et des avions F16. Nous nous sommes rassemblés dans les escaliers de la maison pour nous abriter des obus. Nous étions assis les uns contre les autres. Les enfants enfouissaient leur tête sur nos genoux, et parfois ils criaient lorsque les obus touchaient le sol. Le pire moment est d’entendre l’obus exploser. Même s’il ne touche le sol que dans quelques secondes, il est accompagné du sifflement du projectile qui s’élance et frappe le sol, vous plaçant ainsi entre la vie et la mort.

J’ai honte de dire que nous étions rassurés lorsque l’obus tombait à un autre endroit, alors qu’il a pu tomber sur une autre maison et tuer d’autres personnes, mais ce réconfort s’accompagnait d’une grande terreur quand le projectile suivant était tiré. Le temps passait très lentement, et parfois les obus s’arrêtaient pendant une minute ou plus, pendant laquelle nous nous endormions et nous réveillions avec le bruit d’un autre obus.

Enfin, la lumière du matin s’est levée, la fréquence des bombardements a diminué et nous avons commencé à entendre le bruit des charrettes à traction animale qui descendaient la rue. Nous avons regardé prudemment par la fenêtre et avons constaté que les gens avaient commencé à charger ce qu’ils pouvaient sur les charrettes et à quitter la zone. Nous avons alors compris que nous avions miraculeusement échappé à une mort certaine. Nous nous sommes mis à la recherche d’un camion pour transporter ce que nous pouvions prendre et quitter la zone rapidement avant que les bombardements ne reprennent.

Nous étions 13 personnes, ma famille, la famille de mon frère et la famille de ma fille. Nous nous sommes dirigés vers le sud, le long de la route côtière, en espérant que cette route serait sûre. Le long de la route et à perte de vue, il y avait des charrettes et des camions chargés de réfugiés fuyant l’enfer, se dirigeant vers le sud, vers la zone d’Al-Mawasi qui s’étend de Khan Yunis à Rafah, mais nous allions vers l’inconnu. Où allons-nous nous installer ou comment allons-nous vivre ? La réponse était inconnue de tous.

Pendant que nous avancions et que nous circulions dans les véhicules, nous avons vu certains de nos proches, qui avaient quitté la ville de Gaza pour Deir al-Balah, se dirigeant en direction de Rafah. Nous avons également vu nos voisins de Nuseirat. Tous nous ignorions notre sort. Des souvenirs me sont revenus à l’esprit, en regardant ce déplacement, ceux du montage de la vidéo sur la Nakba que nous avons diffusé en France. Un spectacle douloureux qui m’a fait couler des larmes sans que je m’en rende compte. Ma femme, qui était assise sur le siège voisin, a remarqué mes pleurs silencieux et s’est mise à pleurer en me disant : « Dieu merci, notre famille et nous-mêmes allons bien et nous sommes sortis sains et saufs », mais le sentiment que nous éprouvions, alors que nous quittions notre maison en tant que réfugiés pour aller vers l’inconnu, et que nous ne savions pas si nous allions rentrer chez nous ou si le destin allait nous emporter au loin, nous brisait le cœur.

Nous sommes arrivés au début de la zone d’Al-Mawasi, dans la région de Khan Yunis, et des tentes de réfugiés ont commencé à apparaître de loin au-dessus des dunes de sable. La plupart de ces réfugiés ont perdu leur maison et leurs proches. Nous avons continué notre voyage, pour trouver des milliers de tentes, et au fur et à mesure que nous avancions, la foule augmentait, et l’image de la souffrance commençait à apparaître plus clairement qu’auparavant.

Nous avons continué à marcher jusqu’à ce que nous entrions dans la zone de Rafah, où nous avions l’impression d’être dans un autre monde ou dans une autre période de l’histoire. La cohue était énorme et étouffante. Il nous a fallu trois heures pour parcourir un kilomètre. Les eaux usées recouvraient les rues et les odeurs nauséabondes étaient omniprésentes. Un grand nombre de personnes mendiaient et demandaient de la nourriture. Ce qui m’a vraiment blessé, c’est une femme accompagnée de ses enfants qui sollicitait les voitures qui me précédaient, afin de pouvoir nourrir ses enfants. Lorsqu’elle a atteint ma voiture, elle s’est adressée à nous et nous a dit : « Je vous en supplie et je vous embrasse les pieds. Donnez-moi n’importe quoi pour nourrir mes enfants. » Je lui ai donné un peu d’argent et je jure que moi et tous ceux qui étaient avec moi avons pleuré.

Nous avons continué à avancer jusqu’à ce que nous atteignions la maison d’amis qui nous ont hébergés. De mon point de vue, et d’après ce que j’ai vu, la zone d’Al-Mawasi à Khan Yunis et Rafah souffre d’une véritable catastrophe humanitaire, et même si la guerre s’arrête, cette crise ne prendra pas fin, et la bande de Gaza aura besoin d’années pour relever les gens et reconstruire les hôpitaux, les écoles et les maisons. C’est pourquoi j’appelle tout le monde, qu’il s’agisse d’individus ou d’institutions, à travailler pour soutenir la bande de Gaza afin qu’elle puisse faire face à cette catastrophe humanitaire.

Nous travaillons actuellement à fournir les repas et les vêtements nécessaires à ces réfugiés dans ces régions, en fonction de ce que nous trouvons sur les marchés.