Publié le 28 11 2019 sur le site de l’Agence Média Palestine.
Le 3 décembre prochain à l’assemblée nationale, une résolution, sous couvert de lutte contre l’antisémitisme, sera soumise au vote aux députés.
En cinq points, une analyse de la manipulation, et du piège tendu aux députés à travers cette résolution prétendant « lutter contre antisémitisme » :
1) Les exemples donnés par l’IHRA
Le point le plus problématique de cette résolution n’est pas qu’elle adopte la définition de l’antisémitisme défendue par l’IHRA, mais qu’elle englobe ses exemples. Comme l’explique brillamment Michèle Sibony, porte parole de l’Union Juive Française pour la Paix, dans cette interview sur ce sujet en date du 20 novembre dernier, tout le travail des relais d’Israël a été de faire en sorte d’ajouter ces exemples :
Pourquoi ? Tout simplement, parce que ces exemples ne concernent pas l’antisémitisme, mais la critique du régime israélien d’apartheid, et qu’ils assimilent l’anti-sionisme à de l’antisémitisme. Re-voici en 10 points pourquoi ces amalgames sont infondés mais aussi dangereux.
En votant cette résolution, les députés restreindront la liberté d’expression et criminaliseront potentiellement de millions de personnes en France.
La preuve de la manipulation ? Même Kenneth S. Stern, l’auteur de la définition de l’IHRA, condamne son utilisation avec ces exemples. Par des propos extrêmement clairs à lire dans cet article, il affirme que l’adoption des exemples (comme dans le cas de cette résolution controversée) pourrait « encourager les punitions d’expressions légitimes d’opinion politique ».
2) La critique légitime d’Israël
Les véritables principes anti-racistes conduisent à critiquer Israël pour ses nombreuses politiques discriminatoires à l’encontre des Palestiniens, qu’il s’agisse de son système de justice ou de son réseau routier ségrégué, ou de la loi « État Nation » adoptée par le régime en juillet 2018, qui consacre et officialise l’apartheid.
L’accusation d’antisémitisme a pour objectif de faire taire les soutiens qui s’opposent à la dépossession toujours en cours du peuple palestinien, et en particulier les militant-e-s de la Campagne citoyenne anti-raciste et non violente de Boycott, Désinvestissement et Sanctions.
En Grande Bretagne, une course cycliste en soutien aux enfants à Gaza a été censurée, les définitions utilisées de l’IHRA en sont la cause.
Autre exemple révélateur : le gouvernement d’extrême droite israélien, a qualifié la politique européenne de différenciation en matière d’étiquetage des produits des colonies illégales israéliennes de « discriminatoire » selon la définition de l’IHRA.
Il faut que les députés n’aient aucun doute sur les conséquences que peuvent avoir leur vote sur la liberté d’expression, puisque c’est en fait le but recherché.
3) La résolution pérennise ce qu’elle prétend combattre
La résolution affirme : « Critiquer l’existence même d’Israël en ce qu’elle constitue une collectivité composée de citoyens juifs revient à exprimer une haine à l’égard de la communauté juive dans son ensemble, tout comme rendre collectivement responsables les juifs de la politique menée par les autorités politiques israéliennes est une manifestation d’antisémitisme. »
Cette résolution, comme les soutiens et les relais d’Israël, associent systématiquement les juifs et Israël. Elle généralise ainsi un sentiment à l’ensemble d’une population. Outre que cette généralisation est erronée, elle constitue en elle-même un préjugé raciste et antisémite.
La lutte contre l’antisémitisme est ici honteusement instrumentalisée, par des rédacteurs zélés qui collaborent avec l’extrême droite israélienne, et qui ont organisé une rencontre avec une association de colons israéliens fanatiques à Jérusalem-Est occupée comme nous le rapportions dans cet article.
4) L’opposition de groupes juifs
Pour la première fois, plus de 40 groupes juifs de 15 pays différents se sont rassemblés et ont publié une déclaration pour s’opposer à une définition de l’antisémitisme incluant les exemples de l’IHRA.
Les députés qui s’opposent réellement à l’antisémitisme devraient comprendre que le CRIF, qui soutient le régime d’extrême droite israélien, n’est pas représentatif des juifs de France contrairement à ce qu’il prétend, et écouter ces voix juives pour la Paix qui s’élèvent un peu partout dans le monde pour dénoncer ces amalgames qui leur portent préjudice.
5) D’autres oppositions
L’avocat britannique renommé Hugh Tomlinson s’est opposé à l’ajout de ces exemples à la définition de l’IHRA, dans son avis juridique publié en 2018 et consultable ici.
Les conseils municipaux de Vancouver et Calgary, au Canada, se sont opposés à l’adoption de cette définition en 2019.
En France le 31 octobre dernier et parmi de nombreuses autres initiatives, 39 organisations de défense des droits humains ont publié une lettre ouverte pour dénoncer ces amalgames dangereux.
Dans cette lettre en date du 26 novembre dernier, la CNCDH appelle les députés à ne pas voter cette résolution.
Voir également cette brochure de la Plateforme des ONG pour la Palestine.