C’est aujourd’hui, le 30 novembre 2013, que la minorité palestinienne d’Israël appelle à une protestation nationale et internationale contre le Plan Prawer qui organise la dépossession et l’expulsion de plusieurs milliers de Palestiniens – de 35000 à 70 000 personnes- tous citoyens d’ Israël .
Le Plan Prawer vise en effet la population palestinienne bédouine du Néguev en Israël même.
Ce projet de loi approuvé en première lecture le 24 juin dernier va bientôt passer en 2e lecture au parlement israélien, et aujourd’hui seule une mobilisation internationale forte peut arrêter ce plan.
La date choisie n’est sans doute pas fortuite, lendemain du 29 novembre, jour déterminé par l’ONU en 1977 pour affirmer la solidarité internationale avec le peuple palestinien en commémoration célébration du 29 novembre 1947 date du vote de la résolution 181 sur la partition de la Palestine mandataire. Une célébration pour le moins équivoque aux yeux de la grande majorité du peuple concerné. Choisir le 30 pour appeler à la lutte pour l’égalité et contre la discrimination créée par le Plan Prawer est un signe de l’émergence politique de la minorité palestinienne d’Israël longtemps silencieuse, de son rôle dans la lutte collective nationale, l’affirmation de nouveaux moyens de lutte et d’une nouvelle vision .
Dans son ensemble, à de très rares exceptions, la presse française n’a pas informé sur le Plan Prawer. Il nous semble important de porter à la connaissance du public le contenu et les implications d’un tel projet de loi, déjà partiellement en cours d’application. C’est en effet la vocation aussi bien de l’Alternative information Center que de l’Agence Media Palestine que de promouvoir une information alternative chaque fois que nécessaire, et d’apporter l’information quand elle manque tout simplement. Nous publierons dans les jours qui suivent plusieurs articles et éléments d’information sur ce plan.
Nous reprenons ci-dessous les grandes lignes du projet telles que nous les a présentées Thabet Abu Rass lors d’une visite dans le Neguev (Naqab en arabe) le 3 octobre dernier.
C’est un jeune militant de Haïfa au nord d’Israël qui nous avait recommandé de contacter Thabet Abu Rass , le directeur du bureau de Adalah – Naqab ( Adalah est le centre juridique pour les droits de la minorité arabe d’Israël, après une conversation sur le Néguev, le plan Prawer, et les actions menées dans le nord d’Israël contre ce Plan. Pourquoi le nord? Il s’agit pour l’ensemble de la minorité palestinienne d’Israël de manifester une solidarité active partout sur le territoire afin de ne pas laisser la fragmentation spatiale et de la population palestinienne jouer son rôle destructeur du collectif national palestinien. Le gouvernement israélien cherche en effet à dissocier les Bédouins du Naqab de ce collectif , comme si bédouin était une nationalité, c’est au mieux un mode de vie, et encore.. ils sont sédentaires depuis des siècles.
D’où l’organisation dans le nord et au centre du pays de fortes manifestations de soutien et d’affirmation que ce qui se passe aujourd’hui au sud du pays est une suite pure et simple de ce qui s’était passé au nord en Galilée pendant ce que le régime avait appelé « yehud ha Galil » Judaïsation de la Galilée dans les années 70.
Nous rencontrons Thabet Abu Rass à Beer Sheba dans son bureau de Adalah-Naqab. Il est géographe et enseigne à l’université de Beer Sheba. Son exposé est implacable:
La population bédouine est la plus pauvre d’Israël nous indique-t-il . Mais cette phrase ne prendra sens que lors des visites de villages que nous effectuerons au cours de cette journée. Il y a des degrés dans la pauvreté. Ici on parle de vie dans des cabanes de tôle ondulée posées sur les cailloux de zones désertiques, sans eau courante, ni électricité… En plus du problème socio-économique ajoute Thabet, se pose aujourd’hui celui de la terre. Pour cette population traditionnelle, confisquer la terre c’est prendre la vie.
En 1948 on comptait 90 000 Bédouins dans le Naqab, après les expulsions et regroupements de la Naqba il n’en restait que 10 000. Ils sont aujourd’hui 210 000 et représentent un tiers de la population totale du Naqab. (Avec les 60 000 bédouins qui vivent au nord d’Israël la population bédouine d’Israël est de 270 000) .
Le Naqab constitue géographiquement la moitié de la Palestine historique et 60% du territoire israélien; il est peuplé par 8% de la population israélienne. Sur l’ensemble du territoire israélien 93,5 % des terres ont le statut de terre d’État, c’est à dire non achetables mais louées avec des baux de très longue durée. Dans le Néguev ce statut concerne 95% des terres. Les 5% restant constituent les terres revendiquées par les Bédouins.
Après 1948 les bédouins ont été regroupés de force dans une zone appelée «Siyaj», qui signifie clôture ou barrière en arabe, et placés sous gouvernorat militaire.
Trois éléments caractérisent la politique israélienne envers les Bédouins :
- La concentration forcée de la population,
- L’urbanisation forcée (7 villes de regroupement, villes dortoirs et sans emplois, ont été conçues à cet effet la plus connue: Rahat) aujourd’hui la moitié des Bédouins vivent dans ces villes . Ces deux éléments associés permettent de rassembler un maximum de Bédouins sur un minimum d’espace.
- En finir avec les revendications bédouines sur les terres (5% de l’espace total du Naqab) . En fait les Bédouins disposent de titres de propriété sur leurs terres, de l’époque mandataire. L’ État ne reconnaît pas la validité de ces titres, pourtant s’agissant de transactions similaires impliquant des citoyens juifs, il a accepté des titres identiques.
Dans ce but , le Plan Prawer qui arrive en 2e lecture au parlement israélien, va confisquer un demi millions de dounams (1 dounam=1000m2, 0,1ha) et détruire vingt villages au moins sur les 35 dits «non reconnus». Ici l’ État prétend qu’il a besoin de ces terres du Néguev pour y implanter des bases militaires. Là ce sont des espaces verts forestiers prévus par le Fonds National pour Israël KKL. Mais en même temps, depuis des années l’État propose terres et subventions à de jeunes couples israéliens-juifs, ou des groupes désirant créer des villages-juifs, et même des fermes. Le programme est celui de la judaïsation du Néguev.
Le Plan Prawerveut transformer 50 % des 5 % de terres bédouines du Néguev en terres d’État. Les 50 % restants, sont seuls sujets à compensations par échange de terres mais sur d’autres terres bédouines. Ce qui contrevient à la tradition tribale sur la propriété terrienne et prend le risque de provoquer de graves conflits internes.
Sont exclues de ces compensations échanges, les terres d’élevage, et les terres inclinées de plus de 13°.La compensation ne concernera donc en fait que 20 % des terres. (sur les 5 % de l’espace total revendiqué )
Enfin, les Bédouins ne seront plus autorisés à vivre dans la partie du Néguev située à l’Ouest de la route 40 et jusqu’à la Bande de Gaza. Sur toute cette partie pas de compensation en terre, mais financière seulement, et dans les conditions précitées.
Les deux cents revendications de terres déposées par les bédouins devant les tribunaux ont toutes été rejetées. Le droit d’usage est reconnu sur ces terres mais pas le droit de propriété.
Le plan s’applique déjà: depuis 2008 on compte 1000 maisons détruites par an.
Dans le même temps, ce sont dix nouvelles implantations juives qui se réalisent. Par exemple à côté du village non reconnu de Oum el Hiran dont la destruction programmée vient d’être avancée , est prévue la construction d’un village juif du nom de Hiram. Les habitants de Oum el Hiran avaient déjà subi un déplacement forcé d’Ouest en Est dans les années 50, ils exercent en ce moment même leur dernier recours devant la Cour Suprême.
Pour conclure Thabet Abu Rass interroge:
Expliquez moi selon quel principe un citoyen israélien juif peut venir habiter où il veut dans le Néguev, et dans le mode d’habitat de son choix, ville, village, ferme individuelle, moshav (ferme en partie collectivisée) ou kibboutz, et un autre citoyen, palestinien bédouin serait lui contraint de vivre dans certaines zones seulement et en ville seulement?