1967: quand le passé qu’Israël a essayé d’enterrer revient pour le mordre

Les relations complexes entre les Juifs et les Palestiniens peuvent se caractériser de plusieurs manières : rapports de forces et d’occupation, des peurs et des haines, tensions religieuses, luttes d’intérêts et menaces.

Les Palestiniens ont leur propre conception de ces relations, et les Israéliens ont leurs propres termes et concepts. Dans les lignes qui suivent, je vais essayer décrire la singularité qui se trouve dans chacune des caractéristiques israéliennes. Il s’agit là peut-être du coeur du paradoxe israélien.

On peut diviser l’histoire des relations entre les deux peuples en plusieurs chapitres, mais tout le monde sera d’accord sur le fait que depuis la création d’Israël, et jusqu’à aujourd’hui, il y a eu deux tournants cruciaux : 1948 et 1967.

En 1948, avec la fondation d’un Etat pour les Juifs, est née la tragédie palestinienne. Les réfugiés ont dû quitté leurs terres et le conflit israélo-palestinien est monté d’un cran, passant de l’affrontement intercommunautaire à la lutte nationale entre l’État et le peuple.

1967 a vu un nouveau tournant dans cette histoire politique complexe. L’émergence d’un territoire commun sans frontière politique, un gouvernement et trois différents régimes : une démocratie totale pour les Juifs, une démocratie partielle pour les Palestiniens Israéliens, et une occupation militaire qui enlève tout droit aux résidents des Territoires.

La relation qu’entretient Israël à 1948 est en contradiction avec tout ce qui est lié à 1967. Pendant les 19 années qui ont séparé la création d’Israël de la guerre des Six-Jours, le système sioniste israélien a fait tout ce qu’il a pu pour effacer toute trace de la présence palestinienne qui nous a précédé. Des villages ont été effacés, des églises et mosquées ont été abandonnées et détruites, des noms historiques ont été modifiés, de nouvelles villes ont été construites et de nouvelles routes sont apparues.

Et à l’exception de quelques résistances tenaces, tout ce qui composait la réalité précédente a été dissimulés et oubliée.

Le projet israélien a remis à jour au milieu du 20ème siècle l’époque de la dernière présence juive sur cette terre datant du éème siècle après Jésus-Christ. Tout ce qui est au milieu est devenu un grand trou noir et a disparu.

Le projet de dissimulation a été un succès presque complet, à l’exception de 20% des citoyens du pays. Ils ont été prisonniers au départ d’un système coercitif sous la forme d’un régime militaire et depuis la fin 1966, ils sont piégés derrière des cloisons discriminatoires et transparentes qui les séparent d’une société à majorité juive.

Les efforts de la conscience juive d’oublier tout ce qui était ici (peut-être pour ne pas faire face au défi moral) ne s’accordent pas avec ce qui se passe dans la région depuis 1967. Tout ce que nous essayons d’oublier, en tant qu’Israélien, nous est rappelé tous les jours. En outre, l’effort juif d’effacer la Ligne verte a rendu service aux Palestiniens.

La proximité qui existe aujourd’hui entre la partie israélienne du peuple palestinien et celle qui vit en Cisjordanie n’aurait jamais été possible sans une politique de droite. Et peut-être est-ce mieux ainsi.

Alors que les gouvernements travaillistes ont tout fait pour séparer les destins juifs et palestiniens, la droite a fait tout ce qu’elle a pu pour les relier, mais de façon alambiquée, malveillante et agressive.

Et chaque jour, Israël ignore la question palestinienne, et la droite colonisatrice, avec le soutien massif du gouvernement israélien, l’attise dans tous les endroits possibles, de Naplouse à Naples, et de Jérusalem à Bruxelles et à Washington.

Etant donné cette psychologie israélienne conflictuelle, qui est unie à l’intérieur d’Israël, mais inversée dès lors qu’elle franchit la frontière légale et légitime de l’Etat, se pose alors la question suivante : serait-il possible que la définition caractéristique israélienne du conflit ne soit pas politique, mais résulte d’un dédoublement de la personnalité?

Avraham (Avrum) Burg a présidé la 15ème Knesset (Parlement) d’Israël, a tenu la fonction de président de l’Agence juive, et est aussi écrivain et membre du Forum pour le dialogue international « Bruno Kreisky Forum » à Vienne.