Voyage en terre promise. Promise pour qui ?

Je n’étais pas retourné en Israël ou en Palestine depuis 1994. Qu’est-ce qui a changé ?

D’abord et avant tout, il n’y a plus de frontière. L’annexion de larges parties de la Palestine et celle du Golan Syrien ne sont plus rampantes, elles sont effectives.
L’espoir a disparu. La quasi-totalité des interlocuteurs/trices que j’ai rencontréEs, seul ou en groupe, n’entrevoient pas d’avenir pacifique. Côté Palestinien, qu’il s’agisse « d’Arabes Israéliens » ou d’habitantEs des territoires, plus personne ne croit à la viabilité de deux Etats et beaucoup se prononcent ouvertement pour un seul Etat (celui de tous ses citoyens). Les mondes israélien et palestinien sont devenus hermétiques et s’ignorent globalement. Les possibilités de rencontre sont rares et difficiles. Les territoires palestiniens ressemblent à une prison à ciel ouverta population se partage entre un rejet pur et simple des « Arabes » (et elle est gagnée par les thèses du « transfert » des Arabes au-delà du Jourdain) ou leur acceptation à la condition qu’ils soient soumis et acceptent une infériorité « naturelle ». On est loin de l’égalité. Certains continueront de trouver choquant qu’on parle d’Apartheid ou de colonialisme. Mais comment trouver d’autres termes pour qualifier une société à deux niveaux ?
Enfin, la société israélienne ne souffre pas de cette guerre. La croissance est forte, la « sécurité » est globalement revenue. Le libéralisme a supprimé les solidarités et a créé comme en Occident des nouveaux pauvres ou des sans abris. Mais le niveau de vie moyen des IsraélienNEs est 20 fois supérieur à celui des « territoires » et il est tentant ou facile de ne pas voir ce qui se passe à quelques kilomètres de chez soi.

Où est la frontière ?
La frontière internationalement reconnue (celle de 1949) ne figure plus sur aucune carte israélienne. Le ministre travailliste qui voulait la réintroduire dans les manuels scolaires a échoué. La carte des « parcs nationaux israéliens » comprend le Mont Hermon (Golan) ou la ville antique de Qumran (Cisjordanie). Les grands axes routiers qui partent de Jérusalem utilisent la vallée du Jourdain (vers le lac de Tibériade ou vers Eilat). Même l’autoroute de Tel-Aviv traverse la Cisjordanie occupée au niveau du village de Latrun, mais il faut un guide français pour le savoir. Officiellement les villes saintes israéliennes sont Jérusalem, Safed, Tibériade ou … Hébron qui est pourtant une grande ville palestinienne. L’économie ou le tourisme israéliens sont omniprésents dans les territoires (que les Israéliens appellent territoires « disputés » et non occupés). Les pistes de ski sont dans le Golan, les meilleurs vins aussi. L’une des plus grandes usines (Ahava) qui fabrique et exporte des produits de beauté est en zone annexée au bord de la Mer Morte. Quant aux colons, qu’ils vivent dans des colonies « légales » ou dites « illégales », ils sont protégés par l’armée et les routes de contournement leur permettent en quelques minutes d’atteindre les grandes villes israéliennes.
Écoutons ce que raconte l’Israélien moyen : « 90% des Palestiniens sont bons, mais à cause des 10% qui soutiennent les terroristes, il a fallu prendre des mesures ». « Ces villages arabes (il s’agit d’Abou Gosh et d’Ein Karem, très proches de Jérusalem) n’ont jamais pris les armes contre nous, on les a laissés. Pour les autres, il a fallu reculer la frontière. » Même remarque sur le Golan : « les Syriens bombardaient le lac de Tibériade, il a fallu reculer la frontière ». La reculer jusqu’où ? Pas de réponse, il n’y a pas vraiment de limite. Tout est prétexte : l’étroitesse du territoire avant la guerre de 67 (12 Km au niveau de Netanya) « justifie » les annexions actuelles. Les attentats « justifient » le Mur. Silence sur le fait que le Mur annexe de larges parties du territoire palestinien. Dans les discours, rien ne présage un quelconque retour sur les frontières d’avant 67, surtout à Jérusalem.

Jérusalem
La ville a 700000 habitants. Globalement 1/3 de Juifs Israéliens à Jérusalem Ouest. 1/3 de Palestiniens à Jérusalem Est et 1/3 de Juifs dans les « nouveaux quartiers » de Jérusalem Est qui sont en fait des colonies : Gilo, Haroma, Psagot, Givat Shaul …
Les religieux sont omniprésents. Jérusalem est la capitale des trois grands monothéismes. Des trois grandes névroses, faudrait-il dire. Dans notre hôtel, il y a 600 pèlerins chrétiens venus du Nigeria. Après leur départ, un nombre équivalent de Juifs religieux leur succède. Les hôtels sont aménagés pour celles et ceux qui respectent les interdits du shabbat.
Dans la vieille ville, les pèlerins chrétiens sont revenus. Au Saint-Sépulcre, chaque Eglise chrétienne garde précieusement son coin de cathédrale et son pilier. Les Eglises copte et éthiopienne ont été reléguées hors de la cathédrale. En 1994, j’avais pu visiter la mosquée Al Aqsa et le Dôme du Rocher. À présent, c’est très difficile, y compris pour les PalestinienNEs qui n’accèdent pas facilement à l’esplanade des mosquées.
Pour arriver au Mur des Lamentations, on est fouillé comme dans un aéroport. Des militaires en arme viennent aussi prier (mais globalement la présence militaire dans la vieille ville est faible). Curieusement, le Mur des Lamentations est le dernier vestige du deuxième temple pourtant construit par un ennemi acharné des Juifs (le roi Hérode). Les religions ont leur mystère. En ville, la présence des Juifs religieux est dominante alors qu’il y a 40 ans, ils étaient confinés dans le quartier de Méa Sharim. Un moment, nous sommes coincés dans un embouteillage monstrueux : des dizaines d’autobus ont amené des milliers de Juifs religieux. On ne saura pas exactement s’il s’agit d’un mariage ou d’une allocution d’un rabbin célèbre. Partout, il y a des yeshivas (écoles religieuses) financées par l’Etat.
La vieille ville de Jérusalem à l’intérieur de la citadelle est historiquement divisée en 4 quartiers : chrétien, arménien, juif et musulman. Dans le souk, on vend aussi bien des tee-shirts à la gloire de l’armée israélienne que des effigies d’Arafat. Dans le quartier musulman, on aperçoit bien distinctement la villa d’Ariel Sharon, éternel provocateur qui a tenu à montrer « aux Arabes » que tout est permis. Dans le quartier Juif, il y a un musée qui célèbre la mémoire des Juifs de Jérusalem chassés de leur quartier lors de la victoire Jordanienne de 1948. Rien sur l’épuration ethnique à l’envers, 20 ans plus tard, quand les Palestiniens ont été chassés par l’annexion israélienne. Rien bien sûr sur les 750 villages palestiniens disparus. La mémoire est sélective.
À l’Est, sur les collines qui dominent le désert de Judée, les quartiers Palestiniens sont entourés par les « nouveaux quartiers ». Le territoire de Jérusalem a considérablement augmenté et tout a été urbanisé de Ramallah au nord jusqu’à Bethléem au Sud. Le quartier palestinien périphérique d’Abou Dis jouxte la gigantesque colonie de Maale Adoumim (très étendue et très peuplée : plus de 30000 habitants attirés par des loyers faibles, un cadre de vie agréable et une vue superbe). Aux négociations de Taba, les négociateurs israéliens avaient proposé de faire d’Abou Dis la capitale de l’état palestinien. « C’est comme si Créteil devenait capitale de la France et qu’on essaie de vous persuader que Créteil, c’est Paris » nous avait expliqué Elias Sanbar. Maale Adoumim coupe la Palestine en deux, isolant totalement le sud (Bethléem et Hébron) du centre (Ramallah) et du nord (Naplouse, Jénine). Les Israéliens (même la « gauche ») ont exclu de restituer cette ville.
Le guide israélien égrène les noms des nouveaux quartiers. Le lendemain, au même endroit un guide Palestinien fait la liste de tous les villages palestiniens qui entouraient Jérusalem et qui ont disparu. La ville nouvelle de Givat Shaul s’appelait Deir Yassine, le village massacré par les terroristes de l’Irgoun en 1948. Le tunnel routier qui passe sous Givat Shaul s’appelle aujourd’hui « tunnel Begin » du nom du chef historique de l’Irgoun. Le Sionisme a effacé les différences idéologiques et tous les grands noms du Sionisme (de l’extrême droite à la « gauche », de Jabotinsky et Begin à Golda Meïr ou Lévy Eshkol) ont leurs rues.
Devant un hôtel de Jérusalem, le guide israélien raconte que c’est là qu’un terroriste palestinien a assassiné un ministre israélien, il y a 6 ans. Le ministre s’appelait Rehavam Zvi. Il était favorable au « transfert » de tous les Arabes au-delà du Jourdain. L’auteur de l’attentat et le dirigeant de son parti (le FPLP) ont été arrêtés par l’Autorité Palestinienne et emprisonnés à Jéricho avant d’être enlevés par les Israéliens lors d’une attaque meurtrière contre la prison de Jéricho. Là encore, la version de notre guide est sélective.
Dans un restaurant français de Jérusalem Ouest, tout près du tramway en construction (construit par Véolia et Alstom) qui ira à l’Est, une jeune Française un peu paumée chante (mal) pour gagner sa vie. Elle a fait récemment son « alya », elle est « montée » en Israël. Je n’aurai pas le temps de lui demander pourquoi. Elle est passée par les « Eclaireurs Israélites de France ».
Jérusalem est un endroit fantastique. Collines et vallées, vues étonnantes sur la vieille ville ou le Mont des Oliviers, nuages qui se vident aux portes du désert de Judée. Mais on est bien loin d’une ville harmonieuse ou de la capitale de deux états. Les PalestinienNEs de Jérusalem ont des papiers et un statut à part. Leurs quartiers sont souvent délabrés et ils se plaignent de payer des impôts et de ne rien avoir en retour en terme de voirie ou d’égouts. Très peu d’entre eux ont pris la nationalité israélienne. Ils votent aux élections municipales (souvent en s’abstenant) mais pas aux nationales. Ils ont un avantage sur les autres Palestiniens : il leur est plus facile de circuler et de franchir les barrages.

Les territoires occupés : enclaves et colonies.
On quitte Jérusalem Est en jouant au chat et à la souris avec le Mur et les check-points. Le Mur est tagué partout par des slogans pacifistes. On évite Qalandia. Ruelles défoncées, pleines de trous, trottoirs chaotiques. L’effet est amplifié par le bus qui n’a pas d’amortisseurs. On rentre dans Ramallah sans avoir vu la campagne. La région est surpeuplée. La route longe un camp de réfugiés. Ramallah n’est pas représentative des villes Palestiniennes. Aux élections municipales, la liste dite « de troisième voie » de l’ancienne négociatrice Hanane Ashraoui l’a emporté sur les deux grands partis.
Dès notre arrivée devant le centre franco-allemand, des voitures de la police sont là pour nous escorter : la veille, l’armée israélienne est violemment intervenue (comme elle en a l’habitude) à Naplouse et Jénine. Il y a eu plusieurs morts et ils ont peur « pour notre sécurité ». Français et Allemands se sont regroupés pour avoir un centre culturel digne de ce nom capable d’agir efficacement. Le diplomate français est totalement conscient de la situation dramatique des Palestiniens. On sent bien qu’il aurait besoin de beaucoup plus de moyens et qu’il désapprouve le fait que l’Union Européenne ait coupé l’aide à la Palestine.
On rencontre la déléguée d’une association de femmes. Cette association fait un travail important : elle aide les femmes à s’organiser ou à se syndiquer, elle lutte contre toutes les violences (violences domestiques, crimes d’honneur) que les femmes subissent et elle aide les femmes à fabriquer et commercialiser des produits d’artisanat.
Un jeune Palestinien parfaitement francophone nous accompagne. Il a un discours inhabituel, très critique contre une partie de la société palestinienne, son culte du martyr ou son militarisme. Il est très hostile aux religions et au Hamas. Même lui, qui milite avec des Israéliens, doit ruser pour les rencontrer. Pendant longtemps, les rencontres étaient possibles dans des restaurants sur la route de Jéricho. Mais ce n’est plus possible.
On rentre dans la Mouqata de Ramallah. Il y a des gravats un peu partout et quelques militaires gardent les lieux. Ça ressemble plus à un terrain vague qu’à un siège de gouvernement. Le tombeau d’Arafat est là. Les Palestiniens n’ont pas obtenu qu’il soit inhumé à la mosquée Al Aqsa. Notre guide palestinien m’affirme sa certitude qu’il a été empoisonné.
Le centre de Ramallah est engorgé par la circulation. Les magasins semblent bien achalandés. Il y a quelques belles maisons. Tout le monde ne souffre pas de la même façon dans cette société.
Nous prenons la route du nord. On passe devant l’université de Bir Zeit. Depuis la route, on voit la côte et Tel-Aviv. Les distances sont petites. Par moments, nous quittons la route défoncée pour emprunter une route de contournement. Ça nous est possible car le bus est immatriculé à Jérusalem. La Palestine est divisée en trois zones : A (sous souveraineté palestinienne, ce qui n’empêche pas les « incursions »), B (sous souveraineté mixte) et C (de fait annexé par Israël). Ces zones sont devenues un véritable casse-tête juridique et certains Palestiniens en viennent à regretter de ne pas être partout occupés de la même façon.
Les colonies contrastent avec leurs belles maisons et leurs pelouses. Elles sont entourées de clôtures et protégées par l’armée. Un membre de notre groupe ira visiter un cousin proche, qui s’est établi dans une de ces colonies. Il fera un récit assez émouvant de cette rencontre et de cet univers. Les colons vivent dans une négation complète du monde qui les entoure, qu’ils soient là pour des raisons économiques ou idéologiques. On voit aussi des « colonies illégales » (comme si les autres étaient légales). Ce sont des caravanes et des bungalows dans lesquels les colons s’installent sans autorisation mais avec la protection immédiate de l’armée. Souvent, la colonie finit par être légalisée.
Le village d’Aboud est moitié chrétien (catholique latin), moitié musulman. Le Père Firas qui nous reçoit est un militant. D’origine jordanienne, il se bat contre l’occupation. Le livre qu’il nous donne nous vaudra quelques ennuis lors de la fouille des bagages en quittant Israël. Il y a quelques années, un colon a été tué près d’Aboud. En représailles, l’armée israélienne a abattu 4000 oliviers dans le village. Le père Firas en a mis un dans son église. Il nous montre une vidéo sur la résistance de son village, aujourd’hui traversé par le Mur et isolé par l’extension de la colonie d’Ariel (véritable ville dotée d’une université).
Pour rejoindre Bethléem, il faut franchir deux grands check-points et retraverser Jérusalem-Est. Pour nous, c’est simple : notre bus a une file à part dans la queue et un soldat entre dedans en vérifiant les passeports. Pour les Palestiniens, c’est une complication quotidienne. Ils dépendent de l’arbitraire des soldats qui sont souvent des garçons ou des filles très jeunes (3 ans de service militaire pour les garçons et deux ans pour les filles).
Bethléem comportait 92% de Chrétiens avant la Naqba. Ils ne sont plus que 35%. Leur natalité est inférieure à celle des musulmans et beaucoup ont émigré (en Amérique notamment). La ville vivait du tourisme et des travailleurs qui partaient chaque jour travailler à Jérusalem proche de 15 Km. Le tourisme a quasiment disparu et les travailleurs immigrés ne peuvent plus aller en Israël et ont été licenciés. La ville est encerclée par les nouvelles colonies devenues des quartiers de Jérusalem (notamment Haroma). Une large partie de la population de Bethléem vit sous le seuil de pauvreté. Nous sommes accueillis par des familles qui nous hébergent. Échange de cadeaux. Dans les familles chrétiennes (catholiques ou orthodoxes), les symboles religieux sont omniprésents dans les maisons. Il y a une grande préoccupation pour l’éducation des enfants, mais cette éducation est payante et se fait à l’école religieuse. Dans la famille musulmane, il y a des portraits d’Arafat. Plusieurs de nos interlocuteurs nous expliquent qu’ils ne sont pas allés à Jérusalem depuis des années. Même pour nous, le franchissement du check-point en retournant à Jérusalem est sévère avec passage à pied et changement de véhicule.

Arabes ou Palestiniens d’Israël ?
Comment faut-il nommer les « Non-Juifs » de l’Etat Juif qui sont souvent des sous-citoyens ? Ecoutons-les : ils ne sont pas assez israéliens pour les Israéliens, pas assez arabes pour les Arabes, pas assez palestiniens pour les Palestiniens. Peut-être du coup sont-ils porteurs de « modernité ».
La population « arabe » d’Israël (environ un million trois cent mille personnes ayant la nationalité israélienne, soit 20% de la population) est composite : la majorité est musulmane avec une petite minorité chrétienne. Il y a aussi (à part) les Druzes et les Bédouins. Les Israéliens ont partiellement réussi à diviser cette population. Les Druzes font obligatoirement l’armée et une haine ancestrale les oppose aux Palestiniens. Pourtant même chez eux, il y a des résistances : des jeunes sont devenus refuzniks, et les Druzes du Golan refusent l’annexion et veulent rester syriens. Les Bédouins de Galilée ont une histoire qui rappelle celle des Harkis. Beaucoup d’hommes sont volontaires dans l’armée israélienne et ils ont eu de nombreuses victimes dans les guerres successives. Il y a aussi des anciens soldats de l’ALS (Armée du Liban Sud, qui a servi d’auxiliaire à l’armée israélienne) ou des « collaborateurs » qui ne peuvent plus rentrer chez eux dans les « territoires » et qui vivent dans les villes arabes d’Israël. Ces villes sont Nazareth (qui a toujours eu un maire communiste), Akko (Saint-Jean d’Accre), Jaffa (banlieue de Tel-Aviv) et Haïfa où plus de 10% de la population est « arabe ». Le reste de la population arabe vit principalement dans les villages de Galilée (50% de la population). Il n’y a quasiment pas de quartiers mixtes ou de villages mixtes. Juifs et Arabes vivent côte à côte mais séparément sauf dans des petits villages comme Peki’in où Druzes, Palestiniens, Bédouins et Juifs cohabitent. Les systèmes d’éducation sont séparés. Quand on voyage dans le Nord, les villages arabes sont faciles à reconnaître : ils sont plus pauvres et moins bien équipés.
Il y a incontestablement de part et d’autre des tentatives courageuses pour combattre les inégalités et se rencontrer.
Citons Névé Shalom. Ce projet un peu utopique (naïf diront certains) date de 1970. Il s’agit d’un projet éducatif. Faire vivre ensemble, à égalité numérique, des Juifs et des Arabes dans un même village et éduquer les enfants ensemble dans des écoles bilingues, avec deux instituteurs/trices par classe, unE en hébreu, unE en arabe (mais unE seulE payéE par l’Etat, l’autre est financéE par l’association). Névé Shalom est installé dans l’ancienne zone démilitarisée d’avant 1967, sur un terrain du monastère de Latrun. De nombreux Israéliens seraient prêts à généraliser ailleurs cette expérience, mais c’est impossible, faute de terrain disponible. On rencontre à Névé Shalom des Palestiniens parmi les enseignants et les parents. Ils ont trouvé là un contrepoids aux inégalités. Même eux souhaitent un seul Etat laïque car ils souffrent de vivre dans un Etat Juif. Un « couple mixte » (femme juive, mari palestinien) s’est établi à Névé Shalom. Il n’y a que là qu’ils puissent trouver un enseignement mixte pour leurs enfants. Avant la deuxième Intifada, Névé Shalom avait des programmes d’aide aux territoires occupés. Politiquement, les habitants de Névé Shalom votent « à gauche » dans une grande diversité. Revers de la médaille : l’expérience de Névé Shalom touche essentiellement les classes moyennes préoccupées par l’éducation. Elle ne paraît pas généralisable et c’est une goutte d’eau dans un système d’éducation cloisonné.
Haïfa. En haut de la tour de l’université (tour Eshkol construite par Niemeyer au sommet du mont Carmel), des universitaires nous reçoivent. Eux/elles aussi se préoccupent d’harmoniser l’éducation des Israéliens, Juifs et Arabes et de promouvoir l’enseignement de l’Arabe. Ils/elles citent l’exemple de Névé Shalom. La conférencière est une amie de Sylvain Cypel, ancien correspondant du « Monde » et souvent très critique sur la société israélienne. Initiatives courageuses mais qui ne parviennent pas à modifier en profondeur le système éducatif. Officiellement, les panneaux indicateurs du pays doivent être écrits en 3 langues (hébreu, anglais, arabe) mais parfois des racistes recouvrent l’inscription arabe.
Haïfa toujours : près du jardin Baha’i, nous sommes reçus au centre associatif du quartier Wadi Nisnas. C’est un quartier palestinien de 8000 habitants avec une forte proportion de Chrétiens. Les maisons sont petites et anciennes. Au centre du quartier, le bâtiment d’un journal arabe soufflé par un obus du Hezbollah pendant la guerre du Liban (18 des 41 morts civils israéliens étaient arabes). Avant 1948, Haïfa avait 140000 habitants dont 50% de Palestiniens. Presque tous ont été forcés de partir. Des artistes ont réhabilité une porte où est accrochée une clé, symbolisant la clé que les Palestiniens ont laissée en quittant leur maison au moment de la Naqba. La plupart des Arabes vivant aujourd’hui à Haïfa sont venus des villages de Galilée. Le responsable associatif nous explique que pour visiter sa famille qui habite tout près dans les territoires, il faut aller à Amman, en Jordanie.
Sakhnine : ville entièrement palestinienne de 25000 habitants en Galilée. Nous sommes accueillis au centre social – éducation à la démocratie. Ecoutons un des responsables : « après 1948, il ne restait que 155000 Arabes en Israël dont 2900 à Sakhnine. Aujourd’hui, c’est 20% de la population. On est une minorité, on a eu de la chance. Nous connaissons bien les Juifs, leur langue et leur histoire qu’on étudie à l’école. La réciproque est fausse. On est espionné, on nous demande sans arrêt des preuves de loyauté un peu comme un homme qui demanderait tous les jours à sa femme si elle est fidèle. Je voudrais être fier et pas discriminé. On a besoin d’égalité, ça rendrait tout le monde plus fort. Nous voulons un compromis entre Israël et la Palestine. Nous sommes contre le Mur qui rend les deux sociétés plus violentes. » Il évoque les papiers d’identité des Palestiniens d’Israël. Ils ne font pas l’armée, mais un très grand nombre de métiers leur sont interdits (officiellement pour des raisons de sécurité) : pas possible de travailler dans les transports publics, l’énergie, l’eau, la fonction publique (sauf l’enseignement). Résultat 40% de chômeurs à Sakhnine contre 2% dans la ville juive voisine de Carmiel et 60% de la population est pauvre. « Est-ce que la majorité juive est capable de nous intégrer ? La clé, c’est la confiance, elle est absente. » Le responsable se félicite que des enseignantEs Juifs/ves viennent enseigner à Sakhnine. Il nous raconte l’histoire du club de football de Sakhnine. Il n’y a pas de stade dans la ville. Pourtant le club a gagné la coupe d’Israël en battant le Bétar (club lié à l’extrême droite). Il a représenté Israël à l’étranger. Il a fourni à l’équipe nationale un de ses meilleurs buteurs (un Palestinien). Il est en première division avec des joueurs Juifs et Arabes. Le responsable déplore l’enseignement de l’histoire en Israël qui confisque l’histoire palestinienne (on parle pour 1948 d’indépendance et pas de Naqba). Il regrette le cloisonnement des sociétés juives et arabes : « les habitants des territoires ne connaissent que les colons et les soldats. » La présence de Liberman au gouvernement lui fait peur, le danger raciste est évident. Il parle des préjugés des médias : un grand journal israélien qui avait enquêté sur Sakhnine exigeait pour publier l’article qu’on photographie une chèvre et un âne devant le centre social ! Après son exposé, je discute avec un journaliste palestinien beaucoup plus radical. Lui est antisioniste et se prononce pour un seul Etat laïque : « les frontières sont trop imbriquées ».
Nazareth : une troupe de théâtre avec des acteurs Juifs et Arabes s’est installée dans la vieille ville. Elle joue des pièces ou déclame des contes sur le refus de la haine, sur l’acceptation de son pire ennemi. Un peu partout, des gens essaient de jeter des ponts. Mais ils restent isolés.
Les Bédouins : ils sont arrivés, il y a 350 ans en Palestine en provenance d’Irak, de Syrie ou de Jordanie. Au moment de la guerre de 48, une moitié sont partis. Il reste 80000 Bédouins en Galilée, 160000 dans le Néguev et quelques milliers en Cisjordanie. Ceux du Néguev autour de Beersheva subissent aujourd’hui des expropriations incessantes. Ceux de Cisjordanie entre Jérusalem et Jéricho ont été délogés et vivent dans le désert de Judée. J’ignore si le village de Shibbli, au pied du Mont Tabor, est représentatif des Bédouins de Galilée mais c’était assez caricatural : un village sédentarisé formé d’une seule famille (au sens large, 3000 personnes). Leur « chef » pousse son désir d’intégration jusqu’à se vanter que tous les hommes servent dans l’armée israélienne et il se félicite que les traditions bédouines, même les pires (la polygamie), soient compatibles avec la législation israélienne.

Mémoire et génocide
La création de l’Etat d’Israël a été rendue possible par le génocide nazi. Dès 1953, une loi décrétait la création du musée de Yad Vashem sur une colline de Jérusalem Ouest. En Israël, il est obligatoire pour tout le monde de s’approprier la mémoire du génocide. Il y a aujourd’hui 230000 Israéliens qui ont vécu en Europe pendant le Nazisme. À peine 1/3 de la population est directement reliée par son histoire familiale au génocide.
Il faut reconnaître qu’un effort d’exactitude historique a été fait à Yad Vashem : les origines du nazisme, sa montée, l’histoire de l’antisémitisme européen sont relatées. On parle aussi de l’extermination des Tziganes, des homosexuels, des malades mentaux. Il y a une salle (incomplète) sur les Justes. Mais rien n’est dit sur la résistance communiste (l’affiche rouge est reproduite sans aucune référence au communisme). En même temps, on a parfois l’impression que le génocide n’a frappé que les Juifs. La récupération à la Sharon déclarant au 60e anniversaire de la libération d’Auschwitz : « c’est la preuve que les Juifs ne peuvent se défendre que par eux-mêmes » n’est jamais loin. Bien sûr Yad Vashem est l’endroit où l’on peut trouver tous les renseignements sur les victimes, c’est indispensable (je n’aurai pas le temps de retrouver la trace de ma famille disparue). Mais il reste un malaise. Que vont tirer de cette visite les milliers de bidasses en uniforme qui visitent ? Peut-être une compréhension de l’universalité du génocide. Peut-être aussi un sentiment de persécution, l’idée que les Juifs sont une fois de plus menacés d’extermination et que ça justifie toutes les exactions. Et là, cette instrumentalisation est dangereuse. D’autant qu’à Yad Vashem, quelques inscriptions indiquent une filiation directe entre le génocide et l’Etat d’Israël, ce qui n’a historiquement rien d’évident.
Il existe un autre grand lieu de mémoire. C’est le kibboutz de Lohamei Haghetaot (= les combattants du ghetto) tout près de la ville de Nahariya dans le Nord d’Israël. Il a été fondé par des survivants du ghetto de Varsovie en 1949 et le musée y évoque les histoires personnelles des victimes et des survivants. Il faut noter parce que c’est surprenant les activités du centre « humanisme et démocratie » du musée. Des IsraélienNEs d’origines juive et arabe essaient de sensibiliser à la douleur de l’autre, à sa mémoire. Ils/elles font beaucoup de pédagogie. Ils/elles mettent en garde les visiteurs (dont de nombreux soldats) sur la question de l’exclusion des minorités ou celle de la dignité humaine. À partir de l’histoire de l’Allemagne après 1933, ils/elles insistent sur l’influence de l’uniforme dans les comportements collectifs. Je découvre qu’à la suite du massacre de Kfar Kassem (une cinquantaine d’Arabes Israéliens tués par la police des frontières – Magav – en 1956), il existe une loi permettant aux soldats de désobéir aux ordres illégaux. Les animateurs/trices de Lohamei Haghetaot expliquent cette loi aux soldats (j’espère que les refuzniks s’en servent). La conférencière palestinienne explique les difficultés qu’il y a pour faire comprendre chez les siens que « l’ennemi a souffert ». Elle combat le négationnisme. Elle pense qu’il y a des préjugés des deux côtés. Chaque peuple (israélien et palestinien) a son histoire et a peur « qu’écouter la douleur de l’autre efface sa propre douleur ». Il est nécessaire qu’il puisse s’identifier à l’histoire de l’autre. Tous les deux ans, les animateurs de Lohamei Haghetaot se rendent dans un village italien près de Bologne où la population a été massacrée. « Puisqu’Italiens et Allemands ont fait la paix, ça doit être possible ici . » Je trouve très louable cette tentative d’utiliser l’universalité du génocide pour avancer dans la guerre actuelle.

Rencontres militantes
Je suis reçu par Michel Warschawski (Mikado) dans sa maison de Jérusalem. Michel est un ancien de la Matzpen, un groupe d’extrême gauche antisioniste très durement réprimé à la fin des années 70. Michel a connu la prison. Il l’anime l’AIC (Alternative Information Center), un groupe à la fois palestinien et israélien qui joue un rôle central à la fois d’information, de recherche, d’analyse politique et d’aide concrète à la Palestine occupée. Mikado connaît tous les groupes de ce qu’on appelle ici la « gauche anticolonialiste ». Je lui fais part de l’impression très négative que nous avons en Europe : 2006 a été une année noire pour la Palestine et le mouvement de solidarité et le gouvernement israélien a remporté une victoire idéologique en faisant admettre à son peuple « qu’il n’a pas d’interlocuteur pour la paix ». Mikado confirme : « nous avons toujours été une petite roue. Autrefois, elle entraînait la grande (c’est comme cela que des centaines de milliers de manifestants sont descendus dans la rue contre l’invasion du Liban en 1982). Aujourd’hui la roue est à peine plus grande, mais elle n’entraîne plus rien. » Et de fait, la gauche anticolonialiste est de plus en plus isolée face à une opinion publique qui, dans le cadre du « choc des civilisations », dérive de plus en plus vers le racisme. Au plus fort de la guerre du Liban, il n’y a eu que 10000 manifestants. Cette gauche participe régulièrement avec les Palestiniens aux manifestations contre le Mur à Bil’in, mais on rencontre un peu toujours les mêmes dans ces rassemblements, avec un trou générationnel.
Michel n’aime pas que l’on parle de « seconde Intifada ». Il pense que c’était un plan prémédité pour reprendre tout ce qui avait été concédé du bout des lèvres à Oslo. Mikado est très sévère avec la classe politique israélienne. Elle est particulièrement nulle avec des dirigeants poursuivis pour agression sexuelle ou corruption. L’homme politique le plus populaire en Israël, c’est Arkadi Gaydamak, mafieux d’origine russe, poursuivi par la justice française pour « l’Angolagate ». Mais Israël donne asile à tout Juif, y compris les mafieux. Gaydamak a utilisé son argent pour faire ce que l’Etat Israélien avait été incapable de faire pendant la guerre du Liban : assurer aux populations bombardées un asile dans les hôtels et les camps de vacances. Mikado a eu affaire avec un autre politicien poursuivi par la justice française : c’est Flatto-Sharon (La Garantie Foncière dans les années 70) qui voulait l’interviewer sur sa radio privée mais ne lui a pas donné la parole. Pendant que je suis chez lui, une femme passe à la télé. C’est Esterina Tartman, qui appartient au même parti d’extrême droite que Liberman. Elle est pressentie pour être ministre des sciences (le poste a été refusé à un ministre arabe). Elle étale à la télévision ses diplômes et ses aptitudes. Deux jours plus tard, un journaliste prouve qu’elle a menti et que tout est faux. Elle doit démissionner. Ainsi va la classe politique israélienne.
Y a-t-il un espoir ? Mikado relie complètement la guerre israélo-palestinienne aux autres conflits de la région. Il pense que les échecs occidentaux (Irak, Liban) obligeront les Etats-Unis à infléchir leur politique et que la classe politique israélienne sera obligée de suivre.
Albert Aghazarian nous reçoit chez lui, dans le quartier arménien de la vieille ville de Jérusalem. Ce professeur de l’université de Bir Zeit, issu d’une famille arménienne arrivée en Palestine il y a un siècle, a participé à de nombreuses négociations avec les Israéliens. Il est très amer et s’exprime à titre personnel (il ne veut plus de responsabilité officielle). « Le problème fondamental, c’est le Sionisme ». Je bois du petit lait, j’en suis persuadé depuis longtemps. « La grande peur des Israéliens, c’est de ne plus avoir peur. » Belle formule pour décrire le fonctionnement paranoïaque d’une société où la peur est devenu le principal ciment pour la fuite en avant, pour souder la société et pour empêcher toute réflexion collective. Il revient sur les négociations. Il explique que Palestiniens et Israéliens ne procèdent pas du tout de la même façon. Pour les Palestiniens, l’essentiel est de créer un climat de confiance. Pour les Israéliens, l’essentiel est de signer quelque chose et quand il y a un désaccord flagrant, ils cherchent à le contourner et l’occulter. Albert ne croit plus à la viabilité d’un Etat Palestinien. Il est pour un seul Etat.
Victor Batarseh est maire de Bethléem et membre du FPLP. Il nous reçoit dans son bureau avec un membre de l’AIC. Un décret spécial fait que le maire de Bethléem doit être chrétien. Le Hamas se trouvait en position d’arbitrage lors des dernières élections municipales et il a fait pencher la balance du côté du FPLP. Je lui présente l’Union Juive Française pour la Paix et je lui demande : « comment vous aider ? » Le maire est partisan d’un « tourisme intelligent » : « faites venir ici des Français et des Européens. Qu’ils voient notre pauvreté, dans quelles conditions nous vivons, comment nous sommes enfermés et humiliés. Qu’ils témoignent. » Je l’interroge sur la position de son parti à propos des accords d’Oslo ou de la question un ou deux Etats. « Oslo, nous étions sceptiques dès le départ et voilà le résultat. » Il montre par la fenêtre la colonie d’Haroma toute proche. Il dit que si les Israéliens acceptaient de se retirer sur les frontières d’avant 67, il y aurait la paix et son parti l’accepterait. Mais il y a tellement de colonies qu’il ne croit pas à leur évacuation. Il reste fidèle à la position historique de son parti : un seul Etat, laïque et démocratique. Interrogé sur le terrorisme, il le condamne (« chaque mort est une tragédie ») pour aussitôt expliquer que l’Etat Israélien fait du terrorisme. Sur les accords de La Mecque, il n’était pas trop inquiet sur le risque de guerre civile en Palestine. Par contre, il est sévère sur le Fatah et le Hamas qui selon lui ne représentent à eux deux qu’au plus 30% des Palestiniens. « 70% des Palestiniens ne sont pas concernés par cet accord et mon parti ne participera pas au gouvernement (d’union nationale) en préparation. »
Je téléphone chez Uri Avnéry, militant anticolonialiste israélien infatigable (il est très âgé). De droite dans sa jeunesse, Uri a très tôt rencontré les dirigeants palestiniens quand c’était dangereux (pour sa liberté) et politiquement « incorrect ». Animateur de Gush Shalom (le Bloc de la Paix), il analyse chaque semaine la situation et participe à toutes les manifestations. Je n’aurai pas le temps de le rencontrer. Après s’être assurée que je diffuse les analyses d’Uri, sa femme m’affirme qu’il reste optimiste et pense que ses idées finiront par triompher.
Esti Micenmacher est israélienne. Ancienne de la Matzpen, elle est une animatrice de Taayoush (= vivre ensemble), un groupe binational (palestinien et israélien). Elle ne nous cache pas que la gauche anticolonialiste est affaiblie. Taayoush n’existe quasiment plus à Tel-Aviv et a peu de militantEs à Jérusalem. Esti a été heureusement surprise du nombre de manifestantEs contre la guerre du Liban l’an dernier. Elle n’en attendait pas tant et elle sent le gouffre entre ses idées et la société israélienne. Elle pense que les différents groupes de la gauche anticolonialiste devraient se regrouper et harmoniser leurs actions. Esti pense que les dirigeants sionistes savent qu’à l’échelle de l’histoire, ils vont échouer. En sont-ils conscients ?

Confrontation avec « la Paix Maintenant »
À l’origine de ce voyage (hélas trop bref, surtout dans sa partie Palestinienne, on fera mieux la prochaine fois), il y a l’association « Parler en Paix » dont la raison d’être est d’enseigner conjointement l’Hébreu et l’Arabe. L’association est apolitique, mais plusieurs de ses animateurs sont plus ou moins proches du courant « La Paix Maintenant ». Il y a donc eu par moments des débats collectifs ou individuels. Parfois passionnés voire houleux (quand j’employais les mots qui fâchent : antisionisme, colonialisme, boycott …), ils sont restés en général courtois et fructueux. Il a souvent été possible d’expliciter les terrains d’accord et de désaccord. Un tel dialogue a-t-il un sens ? J’en suis persuadé. J’ai souvent dit et écrit, sans vraiment plaisanter, qu’en Israël le problème ce n’est pas la droite (depuis Jabotinsky, elle est pour le « transfert »), c’est la « gauche » qui a souvent suivi la droite dans ses mauvais coups contre la Palestine et qui a effacé, au nom du sionisme, les différences idéologiques. Si on se bat pour une issue non barbare à cette guerre, il faudra bien qu’une partie de l’opinion israélienne (et au-delà juive) bascule comme l’opinion française a basculé à la fin de la guerre d’Algérie ou comme l’opinion sud-africaine « blanche » a basculé. Il faudra bien, comme disait Mikado, que « la petite roue entraîne la grande ».
Avant d’aborder les positions de « La Paix Maintenant », je tiens à rendre hommage à un militant israélien de ce courant. Il s’agit de Dror Etkès qui effectue un travail considérable d’information et de dénonciation contre les colonies.
« La Paix Maintenant » est proche du parti travailliste israélien. Ils défendent Oslo et Genève. Ils sont pour un Etat Palestinien (pas tout à fait souverain) sur les frontières d’avant 67 avec des « échanges équilibrés de territoire. » Ils sont contre les colonies, mais hésitent à se prononcer clairement pour leur démantèlement. Ils sont bien conscients qu’on ne fera pas partir comme cela 450000 personnes et sont très discrets sur la question du « grand Jérusalem ». Ils sont pour le Mur, mais sur les frontières de 67. Je ne pense pas qu’ils aient jamais vraiment considéré leurs interlocuteurs palestiniens comme des « égaux » mais je suis sans doute mauvaise langue.
Où sont les désaccords ? Sur une certaine occultation de leur part de l’occupation, des humiliations, du colonialisme. Pour eux le Sionisme est un mouvement de libération national et tout antisioniste est forcément pour la destruction d’Israël et pour jeter les Juifs à la mer. Pour eux, Israël est fondamentalement bon et les « bavures » actuelles ne sont pas rédhibitoires.
Mais il y a eu des échanges intéressants. Quand je pose la question : « est-ce que la poursuite de la politique actuelle (criminelle pour les Palestiniens) n’est pas également suicidaire pour les Israéliens ? », ils en conviennent à demi-mot. Quand je dis : « je pense que si j’étais palestinien, j’aurais les mêmes idées (sous-entendu, parce que je prétends qu’elles sont universelles), et toi ? », ils doivent reconnaître que le sionisme n’est pas universel.
Il y a tout un travail à faire avec les Juifs « de gauche » sur l’identité, l’histoire, la mémoire, le sionisme …

La fuite en avant
La paix s’est encore éloignée en 2006. L’image d’Israël entrevue dans ce voyage, c’est celle de la fuite en avant et du fait accompli. Des actes unilatéraux fondés sur une négation complète de la Palestine et des Palestiniens. Il y a certes une minorité courageuse en Israël, mais globalement cette société est autiste et fière de l’être. Cette fuite collective est rendue possible par une recomposition collective de l’histoire et de l’identité. Quelle est l’Histoire racontée aux Israéliens ? « En 1100, le rabbin truc est venu. En 1200, le rabbin chose est passé par là. En 1300, il y a eu une communauté juive dans la ville machin. » Tout est centré sur les Juifs comme si l’histoire des autres n’existait pas. Avec des mensonges évidents. Les légendes bibliques censées certifier qu’Israël est le pays des Juifs sont prises pour argent comptant alors que l’archéologie affirme que c’est beaucoup plus compliqué. La propagande martèle que les Juifs ont toujours été présents dans le pays et sont majoritaires à Jérusalem depuis deux siècles alors que quand le grand-père de Leila Shahid était maire de la ville, elle était 1/3 musulmane, 1/3 chrétienne et 1/3 juive. La même propagande nie l’existence d’un peuple palestinien réputé « composite » et récemment arrivé dans la région. Tout est fait pour justifier le mensonge fondateur « Une terre sans peuple pour un peuple sans terre » et pour nier toute légitimité aux Palestiniens. Pour arriver à la paix, il faudra bien reconnaître que la Naqba était un crime, que le génocide nazi a été une monstruosité européenne dont les Palestiniens ne sont pas responsables et qu’il n’y aura pas de paix sans égalité dans tous les domaines. L’alternative à cette démarche, c’est la barbarie.

Pierre Stambul (13 mars 2007)

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