« Vos crayons sont plus puissants que leurs balles » : l’éducation en Cisjordanie menacée

Par Shatha Hammad. Publié le 30 octobre sur le site de Middle East Eye (MEE).

Les écoliers des zones palestiniennes sous le contrôle direct de l’armée israélienne se retrouvent sur le front, constamment menacés par les raids de l’armée et la violence des colons

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Ibtisam (8 ans) dit vouloir devenir enseignante pour pouvoir aider à sauver son école des démolitions perpétrées par l’armée israélienne (MEE/Shatha Hammad)

À 7 h 45 pétantes, 41 enfants palestiniens se mettent rapidement en rangs bien droits devant leur école pour effectuer la routine matinale des scouts. Les élèves sont menés par leur camarade Ibtisam al-Wahsh, qui porte fièrement le drapeau de son groupe de scout alors qu’elle chante l’hymne national.

Âgés de 6 à 9 ans, les autres enfants font écho à ses paroles, les yeux braqués sur le drapeau palestinien suspendu à l’une des fenêtres de l’école.

Située entre les petits villages de Jubbet al-Dhib et Beit Taamir, dans le gouvernorat de Bethléem (sud de la Cisjordanie), l’école al-Tahadi 5 est – une fois encore – menacée de démolition par les forces israéliennes

Manquant cruellement de fonds, l’école n’a pas de murs d’enceinte, pas de portail, pas même de parapluies ou de préau pour protéger les enfants de la chaleur du soleil ou de la pluie hivernale. Terre et gravier forment le terrain de jeu et les enfants n’ont aucun jouet.

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Amna Mousa (à l’extrême gauche) et ses élèves de l’école al-Tahadi 5 (MEE/Shatha Hammad)

Ibtisam effectue le trajet quotidien jusqu’à l’école sur un chemin de terre parsemé de rochers et d’arbustes épineux. La fillette de 8 ans dit vouloir devenir médecin ou professeure d’arabe. Bien qu’elle soit tiraillée entre les deux, elle confie à Middle East Eye qu’elle penche vers la seconde option. « Je veux retourner à mon école et devenir enseignante afin d’empêcher l’armée israélienne de la démolir. »

L’école 5 est l’une des dix-sept écoles al-Tahadi – qui signifie « le défi » en arabe – dans la zone C, les 60 % de la Cisjordanie occupée qui sont entièrement sous contrôle militaire et administratif israélien, où Israël restreint sévèrement le développement palestinien et promeut les colonies exclusivement juives jugées illégales au regard du droit international.

Ces dix-sept écoles ont toutes été construites par l’Autorité palestinienne (AP) – dont beaucoup avec des fonds européens – et risquent fort d’être démolies par l’armée israélienne.

Le ministère de l’Éducation de l’AP a commencé à construire les écoles en 2016 afin de dispenser un enseignement aux communautés rurales marginalisées à travers l’ensemble de la Cisjordanie. Certaines de ces écoles sont situées dans des villages proches des « zones de tir » déclarées telles par l’armée israélienne, exposant les habitants à des évacuations forcées, aux balles perdues et aux munitions non explosées au cours d’exercices militaires.

Les efforts du ministère revêtent une « importance nationale », indique-t-il, dans le but de freiner l’expansion des colonies israéliennes illégales et de renforcer la présence des communautés palestiniennes sur des terres menacées de vol par Israël.

Ressources minimales

La colline où se trouve l’école al-Tahadi 5 se situe sur une terre donnée par la famille al-Zawahra qui habite à proximité. La première rentrée devait avoir lieu le 23 août 2017. Toutefois, la nuit précédente, l’armée israélienne avait fait irruption dans la zone, confisqué le matériel de l’école et démoli les petites salles de classe faites de tôles et blocs de béton. Les enfants avaient fait leur rentrée en plein air.

« C’est déchirant de voir les enfants et leurs enseignants pour leur premier jour d’école sous le soleil brûlant, sans salles de classe ni nulle part pour se mettre à l’abri, tandis que dans les environs immédiats, le travail visant à agrandir les colonies illégales se poursuit », déclarait à l’époque Itay Epshtain, du Norwegian Refugee Council.

Deux ans plus tard, la directrice de l’école, Amna Mousa, raconte à MEE que l’armée a démoli l’école sous prétexte qu’elle avait été construite dans la zone C sans autorisation.

L’armée israélienne exécute régulièrement des ordres de démolition contre des maisons, des écoles – y compris des jardins d’enfants – et d’autres propriétés dans la zone C. Récemment, par exemple, les forces israéliennes ont effectué une descente dans un établissement scolaire de Cisjordanie, l’école Tahaddi 17, située dans le village de Dahr al-Maleh, puis ont démoli son mur et confisqué un conteneur mobile utilisé comme cafétéria.

Tout en facilitant l’expansion des colonies au profit des citoyens israéliens, l’armée exige des Palestiniens qu’ils demandent des permis de construire pratiquement impossibles à obtenir, avant de procéder à la démolition de manière punitive de toutes les structures qui sont construites sans.

Après la démolition de l’école 5, les communautés de la région ont décidé de reconstruire l’école en septembre 2017.

« Il n’y a pas d’école alternative pour les enfants qui vivent dans la communauté voisine de Jubbet al-Dhib », indique Amna Mousa, qui a enseigné l’anglais pendant plus de vingt ans dans plusieurs écoles de Bethléem.

« Les autres écoles sont à plus de huit kilomètres. Dans cette école, nous menons le processus éducatif avec les ressources et les capacités les plus élémentaires disponibles », ajoute-t-elle.

Elle explique que pendant ces années, elle suivait de près les nouvelles des attaques de l’armée israélienne contre l’école al-Tahadi 5. « Je me disais que si j’en devenais la directrice, je ferais de mon mieux pour résister aux conditions difficiles et j’ai commencé à planifier comment améliorer la réalité éducative des enfants. »

« Vos crayons sont plus puissants que leurs balles », dit-elle toujours à ses élèves.

C’est également ce qu’a déclaré aux écoliers le ministre de l’Éducation de l’AP, Sabri Saidam, lors d’une visite en novembre 2018 avec une délégation de l’UNESCO qui a été prise pour cible par les forces israéliennes, lesquelles ont attaqué la zone et commencé à tirer des bombes assourdissantes et du gaz lacrymogène.

Ibrahim al-Wahsh, 9 ans, affirme qu’il n’oubliera jamais ce jour-là.

« Nous avons peur de l’armée », confie-t-il à MEE. « Ils ne veulent pas que nous grandissions et que nous apprenions. Ils viennent ici et nous tirent dessus avec des balles et des grenades [assourdissantes]… tout le monde se met à pleurer. »

La menace des colons

Dans la région de Masafer Yatta, dans la partie la plus méridionale de la Cisjordanie appelée Collines du sud d’Hébron, la première école al-Tahadi a été construite en 2016 dans le village d’Irfaaiya.

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Ibtisam, comme de nombreux autres enfants de la zone C, doit emprunter des chemins de terre escarpés pour aller à l’école (MEE/Shatha Hammad)

Aujourd’hui, l’école accueille 103 élèves palestiniens qui, auparavant, étaient contraints de parcourir de longues distances pour s’instruire. L’école a été construite sur un terrain de 300 mètres carrés situé sur une pente raide et dangereuse à proximité de plusieurs fermes d’élevage bovin. Juste au-dessus se trouve une route construite pour les colonies israéliennes voisines.

Le directeur, Adel al-Jbour, indique à MEE qu’Irfaaiya est la cible d’attaques régulières de la part de colons israéliens, suscitant la peur parmi les élèves et les enseignants.

Anoud al-Amour rapporte qu’elle et ses camarades ont été directement menacés par les colons. « Nous avons très peur lorsque nous traversons la rue.

Lorsque les colons nous voient depuis leur voiture, ils commencent à nous foncer dessus », explique-t-elle à MEE. « Ils sortent également leurs armes et les pointent vers nous. »

« Nous avons peur de l’armée. Ils ne veulent pas que nous grandissions et que nous apprenions » – Ibrahim al-Wahsh, 9 ans

La jeune fille de 13 ans rêve de voir son école grandir, mais elle craint une démolition imminente. Si son école est détruite, elle devra se rendre dans une école plus éloignée, ce qui signifie davantage de menaces pour sa sécurité.

« Nos parents ont peur pour nous, ils préféreraient même que nous restions à la maison plutôt que d’être exposés aux colons », poursuit-elle.

Les agressions et les attaques de colons contre des villages palestiniens causant des dégâts et pertes matériels ont considérablement augmenté ces dernières années, comme en témoigne le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA).

Rien qu’en 2018, les colons israéliens ont tué trois Palestiniens et en ont blessé 83 autres, dont au moins 20 enfants. Les attaques ont revêtu diverses formes : tirs, voitures-béliers, jets de pierres et incendies criminels visant des habitations et des champs, pour ne citer que quelques exemples.

« L’école d’Irfaaiya est très importante pour nous. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous restons dans cette zone malgré toutes les menaces de l’armée et des colons », déclare à MEE Mohammad Bassam al-Amour, un élève de 13 ans.

Il confie que ses camarades et lui craignent d’être kidnappés par les colons. « Quand ils nous voient en route pour l’école, ils s’arrêtent et nous demandent de monter dans la voiture avec eux, alors nous nous enfuyons », raconte-t-il. « Ils pointent leurs armes à feu vers nous et quand ils conduisent, ils essaient de nous écraser. »

« La communauté internationale est silencieuse »

Le ministère de l’Éducation de l’AP estime qu’en raison de l’impact de l’occupation israélienne, il incombe en partie à la communauté internationale de garantir l’accès des enfants palestiniens à l’éducation.

Le porte-parole du ministère, Sadeq al-Khdour, indique à MEE que treize écoles al-Tahadi sont actuellement opérationnelles et que quatre autres sont en construction. Toutes, précise-t-il, sont actuellement menacées de démolition par l’armée israélienne, et certaines ont déjà été démolies puis reconstruites.

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« Il y a toujours des discours dans le monde sur le droit des enfants à l’éducation, mais lorsqu’il s’agit d’un enfant palestinien, la communauté internationale est silencieuse », reproche-t-il.

« Ce qu’on demande aux organisations internationales, c’est d’assumer leur rôle, d’être présentes sur le terrain, de documenter quotidiennement les attaques de l’armée israélienne contre les écoles et d’y mettre un terme », ajoute Khdour.

« Nous espérons que ces écoles persévéreront face aux incessantes menaces israéliennes… Nous les considérons comme des centres de rayonnement, apportant le savoir aux communautés bédouines palestiniennes, que l’occupation israélienne a depuis des années privées de leurs droits les plus fondamentaux – dont le droit à l’éducation. »

Le succès de la première école à Irfaaiya a ouvert la voie à l’émergence du reste des écoles al-Tahadi.

L’école al-Tahadi 16 se trouve dans le village de Zweideen, dans la région de Khashm al-Darj (gouvernorat d’Hébron). Cette école secondaire réservée aux filles offre aux adolescentes des communautés environnantes la possibilité de poursuivre leur éducation, beaucoup ayant été forcées d’abandonner leurs études en raison de l’absence d’établissements scolaires dans les environs.

L’école est petite – 400 mètres carrés – et comprend un certain nombre de petites baraques mais aucun terrain de jeu.

« Chaque année, l’école a été agrandie d’une ou deux salles de classe », indique Aminah Daajnah, la directrice.

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L’école al-Tahadi 16 se trouve à deux kilomètres à peine d’une colonie israélienne (MEE/Shatha Hammad)

« Aujourd’hui, l’école va de la sixième à la terminale et compte environ 120 élèves », dit-elle, ajoutant que l’école dispose également d’une crèche accueillant 27 enfants.

La colonie illégale de Karmel se trouve à deux kilomètres de l’école. Selon Aminah Daajnah, l’armée israélienne patrouille constamment dans la zone, laissant des débris militaires qui menacent la vie des élèves.

« Nous rêvons de construire une école dotée d’excellentes installations, comme d’autres écoles dans le monde », explique-t-elle. « Nous avions commencé à agrandir et à améliorer l’école, mais l’armée israélienne nous a remis un avis nous ordonnant de ne pas poursuivre la construction et nous a menacés de démolition. »

Samah Basaytah, 17 ans, quitte son village en empruntant des chemins de terre pour se rendre à l’école – un trajet qui lui prend environ une demi-heure. En hiver, comme beaucoup de ses camarades, elle est dans l’incapacité d’aller à l’école.

« Nous traversons à pied les vallées et les collines pour aller à l’école. Quand il commence à pleuvoir abondamment, il devient encore plus difficile d’assister aux cours. »

Son rêve, dit-elle, est de disposer d’une école mieux équipée et capable d’accueillir un plus grand nombre d’élèves. « Il fait très chaud en été et très froid en hiver dans les salles, alors nous avons du mal à nous concentrer », explique Samah.

« Pourtant, malgré toutes ces difficultés, sans cette école, je n’aurais pas pu continuer mes études et poursuivre mes rêves. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.