Vivre et résister malgré l’occupation

Je croyais tout savoir : les colonies et les check points, l’annexion, le fait accompli, l’arrogance, les humiliations quotidiennes, les camps de réfugiés, les assassinats «ciblés», les milliers de prisonnierEs … Rien ne vaut la découverte de cette réalité.

Texte de Pierre Stambul

Voyager c’est possible, mais pas à Gaza.

Ce texte est complètement subjectif, il mêle impressions (forcément partielles et partiales) de voyage et tentative d’analyse. J’étais en Palestine avec un petit groupe fin décembre et début janvier. On peut y aller et les PalestinienNEs espèrent toutes sortes de visites : action de solidarité, témoignage ou même tourisme «intelligent». Avec un guide, notre petit groupe a alterné minibus et transports locaux, hôtels et logement chez l’habitant. Nous avons discuté avec des «politiques» mais aussi avec des PalestinienNEs anonymes qui ont raconté le quotidien. Nous avons ajouté à la Cisjordanie une journée chez les Bédouins du Naqab (Néguev en hébreu). Nous n’avons pas été à Gaza, prison à ciel ouvert et nouveau «laboratoire» pour l’occupant. C’est devenu quasi impossible. Pour un occidental, il faut s’adresser à son ambassade et il faut que celle-ci fasse un ordre de mission qui parvienne à convaincre les Israéliens. Des archéologues et quelques journalistes ont pu passer. Mais Amira Hass, journaliste israélienne anticolonialiste qui a vécu à Gaza ne peut plus y aller. Quand Barenboïm a voulu y faire un concert, son musicien palestinien a été refoulé. Même les pèlerins de Gaza ont un mal fou à revenir de La Mecque. Deux d’entre eux sont morts au barrage d’Erez. Et pendant notre séjour, une vingtaine d’habitants de Gaza dont comme d’habitude des femmes et des enfants ont été tués par l’armée israélienne. Prétexte avancé : l’utilisation de roquettes plus puissantes que les Qassams qui ont atteint Ashkelon à 17 km de Gaza. La sécurité de l’occupant n’a pas de prix.

Vous avez aimé le génocide des Amérindiens ? Vous adorerez l’ethnocide des Bédouins.

C’est du mauvais humour, mais on ne peut pas éviter cette comparaison. Le Neguev est un immense désert qui va de Gaza à la Mer Rouge et qui couvre plus de 50% de la superficie de l’Israël d’avant 1967. Quand les Israéliens ont conquis la région en 1948, elle était habitée par les Bédouins depuis plusieurs siècles. Dès 1950, les Bédouins ont été chassés des zones où ils menaient leur vie de nomades mais aussi de Beersheva où 4000 d’entre eux s’étaient installés. Ils ont été regroupés dans le triangle Beersheva – Arad – Dimona dans le nord du Neguev. Pour les Israéliens, il était crucial de s’accaparer l’espace. Des villes ont été créées, pauvres et donc peuplées de Juifs venus des pays arabes (Dimona, Sdérot). Des kibboutz sont apparus en plein désert comme Sede Boqer qui fut celui de Ben Gourion. Les Israéliens ont voulu imposer la sédentarisation des Bédouins dans des espèces de réserves sordides où leurs activités traditionnelles (élevage, artisanat …) étaient impossibles. Les Bédouins sont retournés dans le désert. Les Israéliens ont alors créé 7 villages «planifiés» où vivent 35% des 180000 Bédouins du Néguev.

Nous avons séjourné dans l’un d’entre eux (Laqya entre Beersheva et le début de la Cisjordanie). C’est pauvre, mais cela ressemble encore à un village. La maison de nos hôtes était «illégale». Cette dénomination fait sourire : «on nous explique que nous violons la loi du pays, mais c’est notre pays, nous y avons toujours habité, bien avant les Israéliens». Les autres Bédouins (près de 120000 personnes) habitent dans des villages non reconnus. Non reconnu implique : pas d’eau, pas d’électricité, pas le droit de construire en dur. Et régulièrement il y a des expulsions et des démolitions de maison (270 l’an dernier).

Ces villages sont des amas de taule. Souvent, l’intérieur de ces maisons étonne : des parpaings dissimulés assurent la solidité de l’édifice et tout a été fait pour avoir des pièces spacieuses. Dans un de ces villages non reconnus, nous rencontrons un spécialiste mondialement reconnu de l’élevage des dromadaires. Il a été envoyé dans des congrès internationaux par les Israéliens. Pourtant, il vit dans un bidonville où une casse automobile a été transformée en pigeonnier.

Au sud de Beersheva, les habitants d’un autre village non reconnu vivent un drame quotidien. On les a chassés de leurs terres, il y a 50 ans, en leur disant que c’était provisoire. Ils vivent depuis, coincés entre une centrale électrique très bruyante (eux n’ont pas l’électricité), et une mine particulièrement toxique dans la zone industrielle de Ramat Huvav. Les maladies et la stérilité des femmes sont très développées. Les Bédouins de la région de Beersheva forment 28% de la population et ils occupent moins de 1% des terres. Sur les terres confisquées dans la plaine, les Israéliens ont développé une agriculture moderne (terres irriguées, pépinières …). Israël se dit un pays démocratique. Pour les Juifs peut-être mais comment qualifier autrement que par «apartheid» une discrimination aussi totale ?

Les Bédouins se sont organisés. Il existe un conseil régional des villages non reconnus. Les villageois élisent leurs délégués. Des manifestations régulières ont lieu. Quelques parlementaires les défendent. Mais les Bédouins se sentent très isolés et appellent à l’aide. D’autant que la situation des Bédouins de Cisjordanie régulièrement expulsés des abords de la route Jérusalem – Jéricho n’est guère plus enviable.

Partout les colonies et le Mur.

Jérusalem Est occupe 4% de la superficie de la Cisjordanie. La moitié des 450000 israéliens habitant les territoires occupés y vivent. Les colonies de Jérusalem Est sont des cités luxueuses : au sud Gilo, Gush Etzion, Har Homa. L’agglomération de Bethléem (180000 habitants) est quasiment totalement encerclée par le mur et les colonies. Har Homa était autrefois une forêt sur une colline qui a «miraculeusement» brûlé le premier jour des négociations Arafat – Barak, il y a quelques années. C’est maintenant une ville luxueuse de 15000 habitants située à quelques centaines de mètres du centre de Bethléem. Les 300 nouveaux logements en projet, vont définitivement séparer les Palestiniens de Bethléem de leurs compatriotes de Jérusalem.

Al-Waladja est un petit village de l’agglomération de Bethléem avec ses oliviers (l’un d’entre eux est très connu dans la région, il a plus de 2000 ans). Autrefois le village était situé de l’autre côté du vallon. Les villageois ont dû partir en 1948 et ont pu voir leurs anciennes maisons rasées. Aujourd’hui, le mur en construction est en train de défigurer le village. Les villageois nous emmènent le long de la ligne verte (l’ancienne frontière) matérialisée ici par la voie de chemin de fer qui monte à Jérusalem. Ils nous montrent des maisons dynamitées, des fontaines mises hors d’usage.

On nous a vus depuis la route de contournement (interdite aux Palestiniens). L’armée arrive. Le capitaine est Druze et très agressif (Les Israéliens ont voulu faire des Druzes des collaborateurs. Les Druzes font l’armée. Mais une partie de cette communauté refuse aujourd’hui de jouer ce rôle. Il y a des refuzniks druzes). Le ton monte avec les villageois. Finalement, sans doute à cause de notre présence, ils ne seront pas arrêtés. Plus loin dans le village, les bulldozers sont déjà passés et la construction du Mur va commencer. Une maison résiste. Son propriétaire refuse de partir avec l’espoir que le Mur sera détourné et que sa maison ne sera pas détruite. Dans le vallon, un villageois militant a aménagé une espèce de blockhaus où il séjourne en permanence pour empêcher l’avancée du Mur.

Au Nord de Jérusalem, les colonies sont tout aussi nombreuses. La construction du tramway est presque achevée. Il aboutira à Pisgat Zeev. Il traverse aussi un quartier palestinien. Ses habitants seront obligés de l’utiliser, ce qui devrait diminuer leur protestation. À l’Est de Jérusalem, l’immense colonie de Maale Adoumim construite avec l’argent de sectes antisémites américaines (les Chrétiens Sionistes) coupe en deux la Cisjordanie. Le jour de l’ouverture des discussions d’Annapolis, Olmert a annoncé 750 nouveaux logements pour cette colonie.

Sur la route de contournement qui mène à Naplouse, les panneaux indicateurs n’indiquent que des colonies aux noms bibliques : Ofra, Shilo … Toutes les grandes villes israéliennes sont encerclées par les colonies. Celles-ci consomment 80% de l’eau de la Cisjordanie. Il faut savoir que les Palestiniens n’ont pas le droit de creuser des puits, ni de produire de l’électricité. Ils sont obligés d’acheter l’eau et l’électricité aux compagnies israéliennes. Il n’y a que quelques zones au nord de la Cisjordanie où on ne trouve pas de colonies. Quelques-unes ont été démantelées. Par contre, en plein centre des territoires occupés, Ariel est devenue une véritable ville avec université et zone industrielle appelée à devenir une zone franche.

Dans le village de Sebastia situé au milieu des ruines de la ville antique, une colline domine la colonie de Shavi Shemron. C’est rare, en général, les colonies occupent le haut des collines. Nous entendons des rafales de mitraillettes provenant de la colonie et du camp militaire. Entraînement ? La scène se passe le 2 janvier au soir. Quelques heures plus tard, Naplouse distante de 15 Km sera investie par l’armée israélienne.

Je demande au téléphone à Uri Avnéry, pacifiste infatigable pourquoi il est toujours partisan de deux Etats vivant côte à côte. «Parce que c’est la seule solution réaliste». «Et les colons, ils resteront ou devront partir ?» «Ils resteront et devront accepter de vivre dans un Etat Palestinien». Là, j’ai du mal à suivre Uri. Comment un Etat Palestinien pourra-t-il être viable avec ces poches de fascisme militarisées ? Ce qui est sûr, c’est que la principale raison de l’échec total des accords d’Oslo, c’est qu’ils n’ont pas exigé en préalable l’arrêt de la colonisation. Depuis Oslo, le nombre de colons a doublé. Cela explique bien sûr pourquoi Annapolis est une (sinistre) blague (pour reprendre les termes d’Uri) et pourquoi l’Etat palestinien envisagé par Bush ou Olmert ressemble à tout sauf à un Etat.

Check points et cicatrices de la répression.

Il reste entre 500 et 600 check points en Cisjordanie sur un territoire grand comme un département français. Parfois le passage a été facile pour nous avec une simple présentation du passeport. À deux reprises, on a eu droit à la fouille des bagages, notamment quand les soldatEs (souvent des adolescentEs qui éprouvent une certaine jouissance à humilier les PalestinienNEs) se sont étonnés de nous trouver dans le bus régulier Bethléem – Jérusalem alors que les touristes (notamment les pèlerins) voyagent en bus de tourisme. Et puis, à l’entrée de Naplouse, il a fallu changer de véhicule et passer à pied. Joyeux bordel avec les taxis de part et d’autre. Selon leur immatriculation, les véhicules ont droit à telle ou telle zone et à telle ou telle route. Pour les Palestiniens, c’est un casse-tête permanent. Il faut imaginer l’itinéraire en fonction des check points. Pour aller de Naplouse à Sebastia (15 Km), on en a fait 50, mais sans barrage. Pour entrer sans check point dans Bethléem, on a fait deux demi-tours. À Jéricho, le casino Oasis qui avait été créé en 1993 avec les accords d’Oslo fut la plus grande entreprise de Palestine (500 employés). Il a été fréquenté par des rabbins et des Juifs religieux (alors que le jeu est formellement interdit dans la religion juive). Depuis l’Intifada, il est fermé, mais de toute façon, les employés qui venaient de plusieurs villages de Cisjordanie, ne peuvent plus se rendre à Jéricho.

Pour les Palestiniens, importer ou exporter est un casse-tête. Les Israéliens peuvent à tout moment tout bloquer et ils ne se sont pas privés de laisser pourrir des produits importés ou exportés. Même les entreprises qui commercent avec la Jordanie par le pont Allenby sur le Jourdain (comme certaines savonneries de Naplouse) sont à la merci du bon vouloir israélien. D’autant que ceux-ci contrôlent aussi l’eau et l’électricité.

Jéricho est une ville singulière, avec de nombreux Noirs, descendants des Soudanais venus avec Mehemet Ali, sultan d’Egypte au début du XIXe siècle. Au cœur de la ville, des gravats constituent le dernier souvenir de la prison. Conformément aux accords d’Oslo, l’Autorité Palestinienne y a emprisonné ceux qui continuaient la lutte armée. En 2001, en pleine Intifada, le général israélien Rehavam Zeevi, fondateur du parti d’extrême droite Moledet qui prônait le «transfert» (c’est-à-dire l’expulsion) de tous les Arabes au-delà du Jourdain, a été tué par un membre du FPLP (Front Populaire de Libération de la Palestine, fondé par Georges Habache). L’auteur de cette exécution et la direction politique du FPLP (dont le secrétaire Ahmed Saadate) ont alors été emprisonnés à Jéricho sous la responsabilité conjointe de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis. Mais en 2006, les Israéliens ont attaqué la prison. Les observateurs occidentaux se sont retirés sans protester. Les policiers et gardiens de prison qui ont voulu résister ont été tués et les prisonniers ont été déportés en Israël. Du coup, l’Autorité Palestinienne a fait détruire la prison. Et aujourd’hui la grande route (de contournement) qui longe le Jourdain au nord de Jéricho s’appelle route Rehavam Zeevi. Un peu comme si on avait en France l’autoroute Le Pen ou la rocade Papon.

À Bethléem, le camp de Dheishe (environ 12000 habitants) subit des «incursions» régulières de l’armée israélienne. Son centre social a été plusieurs fois détruit et reconstruit à chaque fois. Pour les Palestiniens, il est fondamental que les activités collectives se poursuivent.

Nous sommes avec Michel Warschawski dans la vieille ville de Jérusalem quand il tombe dans les bras d’un ami : «c’est un ancien prisonnier politique, condamné à la prison à vie après les attentats du FPLP en 1968 et libéré après 17 ans de prison dans le cadre d’un échange». En 40 ans, près de 600000 Palestiniens ont connu la prison. À l’échelle de la France, c’est comme si on avait eu 10 millions d’emprisonnés. Dans un village qui vit de l’huile d’olive, notre hôte (environ 45 ans) nous glisse qu’il a été 6 fois emprisonné entre l’âge de 13 ans et l’âge de 35 ans.

Il y a un Français actuellement en prison pour de longues années : Salah Hammouri, sympathisant du FPLP, accusé d’avoir projeté (intention qui n’a pas été suivie d’effet) un attentat contre le chef du parti Shass (parti religieux séfarade. Ce rabbin considère les Palestiniens comme des serpents et estime que la Shoah est une punition divine contre des mauvais Juifs). La mère de Salah, Denise, est également française. Une campagne est lancée en France pour sa libération. Depuis peu, Salah est visité par des personnels du consulat de France.

Toujours à Jérusalem, dans le quartier «musulman» de la vieille ville, la maison d’Ariel Sharon, symbole du nettoyage ethnique, est toujours là, désormais inhabitée.

À Naplouse, les destructions étaient nombreuses la veille de la dernière attaque : des maisons dynamitées transformées en parking, certains immeubles encore criblés de balles. Partout dans les rues sont affichées les effigies des «martyrs» (essentiellement les brigades Al Aqsa). La répression est ancienne à Naplouse. Le premier maire démocratiquement élu, Bassam Shaka a été victime d’un attentat fomenté par l’armée et les colons en 1980. Il a perdu ses deux jambes.

À Jénine, la population garde la mémoire d’Ahmed Al-Khatib, jeune garçon de 12 ans tué en 2005 «par erreur». Le père a donné les organes de son fils, sauvant par son geste deux jeunes Israéliens et une jeune Druze. Quand les Israéliens ont attaqué le camp en 2002 (où vivent 18000 personnes), les combats ont été particulièrement meurtriers : une centaine de morts en tout dont une trentaine de soldats. Les bulldozers ont rasé plus de 300 maisons. Au cimetière, on continue d’honorer les victimes des combats. Parmi eux, une jeune fille qui était en classe quand elle a pris une balle en pleine tête.

Les enfants qui fréquentent le «Théâtre de la liberté» ont fabriqué des films tous reliés à ces combats. Pour les filles, c’est l’histoire de l’une d’entre elles emprisonnée pendant les combats. Pour les garçons, c’est l’histoire d’un jeteur de pierre qui va affronter tout seul les soldats. Pour les femmes, c’est l’histoire d’une illettrée que certains de ses enfants veulent faire voter Fatah, et d’autres Hamas. Elle s’insurge et explique qu’elle veut l’unité de la Palestine.

Le théâtre reçoit un soutien important de l’étranger qui lui permet de vivre, notamment d’une association française : l’ATL Jénine (Les Amis du Théâtre de la Liberté).

J’ai vu des effigies de Saddam Hussein, au côté de celles d’Arafat. Comment s’étonner qu’il apparaisse comme un héros ? J’ai aussi vu des graffitis assimilant l’étoile de David à la croix gammée. Autrefois, ça m’aurait choqué. Mais comment qualifier autrement l’occupant ? C’est à nous et pas aux Palestiniens de lutter contre la confiscation de l’étoile de David par une idéologie (le sionisme) et un Etat qui détruit une société. Quasiment tous nos interlocuteurs savaient que j’étais juif, cela n’était pas un problème pour eux.

Une société qui résiste collectivement

La grande majorité des Palestiniens n’a connu que l’occupation. Ce qui frappe dans cette société c’est le grand nombre d’associations. Il y a des associations de femmes. Elles ont un rôle économique (l’entraide, l’accès au mini-crédit, la commercialisation des produits artisanaux) et un rôle éducatif (soutien scolaire, accès à l’informatique). Il y a aussi des associations de femmes battues (phénomène qui se développe avec l’occupation sans compter les «crimes d’honneur»).

Les PalestinienNEs sont très entreprenantEs même si leur avenir est un grand point d’interrogation. Nous avons visité des coopératives pour l’élevage des petits ruminants (moutons et chèvres) et pour la culture de l’olivier. Dans les deux cas, de très gros efforts ont été faits pour moderniser la production et améliorer sa qualité en utilisant intelligemment à la fois la coopération internationale et les traditions locales. Ces coopératives donnent l’exemple aux autres producteurs et elles grossissent. L’action collective permet d’affronter ensemble les problèmes de commercialisation et d’exportation et d’obtenir les meilleurs prix pour la transformation des olives en huile.

L’Union des Fermiers Palestiniens est un syndicat indépendant de l’Autorité Palestinienne. Il a des liens internationaux avec Via Campesina (comme la Confédération Paysanne). Si la fabrication du savon reste en général artisanale, des entreprises modernes commencent à naître.

La culture de l’olivier est apparue en Palestine, il y a plusieurs milliers d’années. Aujourd’hui la Palestine ne produit que 0,5% de la production mondiale mais, derrière les gros producteurs (Espagne, Italie, Grèce), c’est une production de qualité. Pour l’instant, à cause de l’occupation, l’exportation est faible et le quota d’exportation sans taxe dans l’Union Européenne est loin d’être atteint. Les Palestiniens disent parfois : «notre ministère de la défense, c’est le ministère de l’agriculture». Il y a un véritable enjeu pour le pays et ses habitants : avoir une production de qualité, aux normes internationales, et pouvoir l’exporter.

Combien y a-t-il de chômeurs en Palestine ? J’ai entendu plusieurs chiffres : 50%, 46% avec des taux beaucoup plus importants à Gaza ou dans les camps de réfugiés. Dans cette société, personne n’est laissé dans la rue ou dans l’exclusion. Les solidarités (familiales entre autres) sont très fortes. Très peu de personnes vivent avec un seul travail. Les ouvriers «mouliniers» qui transforment l’olive en huile ne font ce travail que quelques mois. Le reste du temps, ils cultivent, ou ils sont chaudronniers. Prenons la situation de nos hôtes à Zababde, une famille chrétienne. Le père a travaillé en Israël. Il n’a plus de travail et ne touche aucune retraite. Mais il travaille partiellement dans la boulangerie familiale que sa femme a montée. Celle-ci a plusieurs activités sans lesquelles la famille ne pourrait pas vivre : grâce à un micro-crédit, elle a acheté un four à pain. Elle a une petite boulangerie, mais aussi quelques oliviers. Elle fait du savon. Elle a quelques moutons, elle fait chambre d’hôte. Sans ces activités multiples, ce serait la misère. Là, c’est juste la pauvreté. Cette femme est revenue sur les dernières élections palestiniennes. Il y avait 4 députés à élire et elle a voté pour 4 listes différentes, FDLP en tête. Il y a là une certaine explication partielle du résultat du vote, due à l’extrême dispersion des listes.

La vie quotidienne est assez spartiate en Palestine : pas de chauffage dans les maisons. L’hiver, on accumule les couvertures et on dort sans drap. Il y a souvent des coupures d’électricité ou d’eau. L’eau chaude est rare ou inexistante.

L’écologie est encore inconnue en Palestine avec un problème de plus en plus urgent de gestion des déchets et d’élimination du plastique. Le maire d’un village nous a fait part de ses problèmes quotidiens. Il souhaite un jumelage avec une municipalité française. Il pourrait ainsi acquérir un camion poubelle et équiper les maisons de panneaux solaires pour ne plus dépendre de l’électricité israélienne.

Les familles sont très nombreuses même si la natalité commence à baisser : 5 enfants en moyenne (encore plus à Gaza ou dans les camps). L’émigration continue. Les familles font des efforts énormes pour que les enfants fassent des études, garçons ou filles. Beaucoup d’étudiantEs partent à l’étranger (y compris en Russie où la chute de l’URSS n’a pas arrêté ce flux). Après des études qui font que la Palestine a beaucoup plus de médecins, de professeurs ou d’ingénieurs que les pays arabes voisins, il est très difficile de trouver en Palestine un travail correspondant à cette qualification. Il y a un problème général de relations entre enfants et parents. Quand les parents sont au chômage et quotidiennement humiliés par l’occupant, ils ne sont plus respectés. Lors des deux Intifadas, la jeunesse s’est spontanément révoltée.

On l’oublie souvent, il y a une minorité chrétienne en Palestine, surtout à Ramallah et Bethléem. Les dirigeants de certains partis de gauche (FPLP, FDLP) sont souvent issus de cette minorité. Les relations entre Chrétiens et Musulmans n’ont en général jamais posé de problème. Il y a un respect mutuel et la conscience d’appartenir au même peuple. Nous avons quand même senti une certaine inquiétude chez de jeunes Chrétiens. En tout cas, il n’y a quasiment aucun «mariage mixte».

Dans les camps de Dheishe ou de Jénine, ce sont des militants politiques qui animent les institutions collectives et qui se battent pour les maintenir et les développer. Faute de moyens, ces structures se développent grâce au volontariat et on est étonné par leur dynamisme. Elles offrent aux habitants des camps (femmes, jeunes …) des salles de fitness, des ateliers informatiques, des structures de soutien scolaire, théâtre, cinéma, artisanat … Face au fatalisme engendré par l’occupation, les projets communautaires, basés sur l’auto organisation, essaient de casser la victimisation et les barrières à l’intérieur de la société palestinienne. En même temps, et ce n’est pas une surprise, on croise dans ces lieux des militants occidentaux venus apporter leur solidarité aux Palestiniens (SUD, CGT espagnole …). Et à Dheishe, malgré la pression insistante de l’Autorité Palestinienne, on refuse de payer l’électricité à l’occupant.

Beaucoup d’ONG interviennent en Palestine. Certaines sont très critiquées, elles font du business et ne s’occupent que des intérêts des donateurs. Mais d’autres comme «Project hope» à Naplouse apportent une aide et une formation effectives. Il y a aussi des jeunes occidentaux qui viennent passer plusieurs années en Palestine pour transmettre leur savoir-faire en l’intégrant au savoir traditionnel.

Pour terminer sur la vie quotidienne, nous avons fait la fête pour le nouvel an dans une grande salle de banquet à Bethléem. Chants et danses, convives venus de toute la Palestine et même de Jérusalem ou Haïfa. Étonnant moment de convivialité.

La situation politique

Les médias ont beau matraquer quotidiennement sur la volonté de Bush d’aboutir à la paix avant la fin de son mandat, vu de là-bas, ça n’a aucun sens. Dans le journal Haaretz, le journaliste Gideon Levy rappellait, au moment où Bush allait arriver en Israël les crimes commis en Irak, le soutien inconditionnel à l’occupation, la volonté de faire la guerre à l’Iran. Michel Warschawski est persuadé qu’avant la fin de son mandat, les néo-conservateurs américains vont essayer d’allumer un incendie au Proche-Orient.

Toujours dans Haaretz, voilà l’analyse intéressante développée à propos de l’attaque du 3 janvier à Naplouse (1 mort, quarante blessés). Les groupes armés ont cessé la lutte en Cisjordanie. La police palestinienne traque tous ceux qui possèdent des armes. Beaucoup de Palestiniens, toutes sensibilités confondues, sont assez indignés par ce rôle d’auxiliaire de l’occupant. Les manifestations contre Annapolis en Cisjordanie ont été réprimées, notamment à Ramallah. Depuis la victoire du Hamas à Gaza, les arrestations contre les militants du Hamas se multiplient. Seulement, à Naplouse, les principaux combattants venaient du Jihad Islamique ou des brigades Al Aqsa. L’occupant est venu faire le boulot que l’Autorité Palestinienne rechignait à faire : arrêter des combattants qui ne combattent plus, chercher les armes et les laboratoires cachés. Agression terriblement humiliante pour Mahmoud Abbas ou son Premier Ministre Salam Fayyad (ancien fonctionnaire du FMI) mais les dirigeants israéliens s’en moquent. Ils veulent une capitulation et ils ne feront rien pour rehausser le prestige de dirigeants déjà bien discrédités. Ils leur ont assigné un rôle de collaborateur dont l’Autorité Palestinienne ne parvient pas à se défaire car ils n’obtiennent rien en échange. Drôle de dilemme : collaborer ou disparaître.

À propos des anciens groupes armés, signalons la situation de Zakaria Zubeidi qui fut un des principaux résistants de Jénine. Il a officiellement renoncé à la lutte armée et les Israéliens ont levé le permis de tuer qui lui était destiné. Zakaria a été un des fondateurs du théâtre de la liberté. Il doit aujourd’hui «pointer» tous les jours auprès de la police palestinienne. Il a fait une demande pour pouvoir voyager en Europe.

Tali Fahima, la jeune Israélienne qui était venu visiter Jénine pendant l’Intifada et qui avait été condamnée pour haute trahison a été libérée. Mais elle est très déprimée et se remet mal des tortures psychologiques qui lui ont été infligées.

Michel Warschawski nous a décrit l’évolution de la société israélienne : les «valeurs» dominantes autrefois en Israël, mélange de colonialisme et d’esprit pionnier, sont remplacés par le business, le fric et l’individualisme. Au nom de ces valeurs, les survivants du génocide nazi dont beaucoup (ceux qui sont venus récemment de Russie et qui n’ont pas été indemnisés par l’Allemagne) vivent sous le seuil de pauvreté, sont ouvertement méprisés par les politiciens. Il y a en Israël 15% de très riches et 15% de très pauvres. Au milieu, la classe moyenne s’en tire. L’économie n’a plus besoin massivement de travailleurs peu qualifiés. Les poches de pauvreté se concentrent chez les Palestiniens de 48 (les Arabes Israéliens). Le libéralisme a fait que tout devient payant.

L’homme politique qui continue de monter en Israël, c’est le mafieux d’origine russe Arcadi Gaydamak (poursuivi par la justice française). Il est désormais favori pour devenir maire de Jérusalem, même si, pour lui, flatter à la fois l’électorat russe et l’électorat juif orthodoxe, s’avère être un exercice compliqué. Après s’être rendu populaire pendant la guerre du Liban en offrant un abri aux populations bombardées, Gaydamak a récidivé à Sdérot, la seule ville qui est périodiquement touchée par des obus en provenance de Gaza.

Michel a raillé la nullité de la classe politique israélienne. Selon lui, tous les sondages faits en Israël montrent qu’une majorité de la population est indifférente au sort des colonies et est prête à les rendre. D’autres interlocuteurs ont été moins catégoriques sur ce point, surtout en ce qui concerne la question de Jérusalem Est. Tous condamnent totalement la notion d’Etat Juif qui fait des non-juifs des sous-citoyens privés de droit. Le débat sur 1 Etat/ 2 Etats traverse aussi bien les Palestiniens que les Israéliens anticolonialistes. Nos interlocuteurs proches du FPLP ont réaffirmé leur position pour un seul Etat. C’est désormais aussi la position du principal parti des Palestiniens d’Israël, le Balad.

Nous avons eu une rencontre tout à fait inattendue et surprenante. Jean-Baptiste Humbert est dominicain et archéologue. Il dirige l’école biblique et archéologique de Jérusalem qui existe depuis un siècle. Il a écrit plusieurs livres, notamment sur les fouilles faites à Gaza. Je me suis senti totalement débordé sur ma gauche quand on a parlé de la Bible. J’ai repris les théories de l’archéologue Israël Finkelstein (lire le livre «La Bible Dévoilée»). Dans ce livre, l’auteur explique que l’épisode d’Abraham (l’arrivée des Hébreux depuis la Mésopotamie), celui de Moïse (la fuite d’Egypte), celui de Josué (la conquête sanglante de Canaan), celui de David et Salomon (à l’époque, Jérusalem était un petit village) ou même l’existence du royaume unifié, sont des légendes. J-B H. va plus loin. Pour lui, la Bible n’a pas été écrite au VIIe siècle avant JC, sous le roi Josias, mais encore plus tard pendant l’exil à Babylone, l’épisode d’Abraham étant clairement une transposition de cet exil. Quand je demande à ce Dominicain : «mais alors la Bible, c’est un mythe fondateur ?», il répond tranquillement : «mais oui, bien sûr». Quelle conséquence sur la guerre actuelle ? Les colons religieux qui veulent reconstituer «le royaume unifié» parlent d’une légende qui n’a jamais existé. Idem pour ceux qui veulent s’inspirer de Josué pour faire un nettoyage ethnique en Palestine. L’idéologie sioniste (y compris celle des Chrétiens sionistes) repose sur une mystification. Et si, comme le pense les archéologues, les peuples sont en général restés sur place, alors les principaux descendants des Hébreux de l’Antiquité, ce sont les Palestiniens. Dur à admettre pour les sionistes et leur prétendue loi du retour.

Israël est-il prêt à la paix ?

Clairement la réponse est NON. Le simulacre de discussion engagée sous direction américaine n’a qu’un seul but : forcer Mahmoud Abbas à capituler en échange d’une aide substantielle économique et militaire contre le Hamas. Les exigences israéliennes seront telles qu’il ne pourra pas signer, même s’il en a envie. Et l’occupant répétera partout qu’il «n’a pas d’interlocuteur pour la paix». Le protecteur américain fera de même.

Le chauffeur de taxi qui m’amenait au retour à l’aéroport Ben Gourion m’a demandé ce que je pensais d’Israël. Prudent et n’ayant pas envie de sauter du taxi en route, j’ai dit que c’était un pays compliqué et que j’espérais qu’il y aurait bientôt la paix. La réponse a fusé : « on ne peut pas faire la paix avec les Musulmans (il n’a pas dit les Arabes ou les Palestiniens). Fatah ou Hamas, c’est pareil, ils ne comprennent que la force.» Tout un programme, hélas majoritaire. À l’aéroport, ça a été pire. J’avais fait l’erreur (à ne pas répéter) de ne pas poster les documents que je ramenais. Quand le douanier est tombé sur le DVD «Les enfants d’Arna», il savait ce que c’était. «Vous êtes allés à Jénine ?» Il parlait de «ces gens-là» comme s’ils n’étaient pas des êtres humains. J’ai eu droit à la totale pour la fouille, je ne pouvais être qu’un terroriste.

Le chemin sera bien long pour reconnaître «l’autre».

Pierre Stambul

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