Vivre ensemble ou vivre à part, il faut choisir

(Réplique par Richard Wagman à Sammy Ghozlan, non publiée par Libération)

Sammy Ghozlan, président du Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme, a signé dans Libération du 17 juillet, sous la rubrique « Rebonds », un article sur les tensions intercommunautaires. Son texte, suite à l’agression du jeune Rudy au mois de juin dans le XIXème arrondissement de Paris, brosse un tableau des relations entre citoyens juifs et non-juifs. En conclusion, M. Ghozlan lance un appel : « Tournons-nous vite, très vite, vers les bâtisseurs du vivre ensemble ». Je ne peux que souscrire à ces propos, bien que le texte de M. Ghozlan laisse à désirer quant aux moyens qu’il propose pour y parvenir.

Étant moi-même habitant du XIXème arrondissement dans le quartier où le jeune Rudy fut agressé, je conteste la description que fait l’auteur de cet article des tensions intercommunautaires. Et ce qui vaut pour le XIXème arrondissement de Paris vaut pour bon nombre de grandes villes françaises dont la population est métissée. Or, en dressant une petite liste de synagogues, de boucheries cachères et d’écoles juives, M. Ghozlan affirme que ce sont ces cibles-là qui sont le plus souvent objet d’agressions et non les mosquées ou les écoles musulmanes.

Mais l’Union juive française pour la paix, comme la plupart des associations antiracistes, peut dresser une contre-liste montrant que, ces dernières années, nos compatriotes musulmans et leurs institutions ont été autant victimes d’agressions racistes que la communauté juive. D’autant plus que les « statistiques » de M. Ghozlan sont basées sur un recensement discutable fait par le Bureau qu’il dirige, répertoriant comme « antisémites » des événements tels qu’une exposition de photos sur la condition des enfants palestiniens ou encore une réunion publique pour la paix au Proche-Orient où la politique israélienne a été critiquée. Contrairement à M. Ghozlan, je n’ai pas envie de monter ainsi les habitants les uns contre les autres dans une dérisoire « concurrence des victimes », ni d’importer le conflit israélo-palestinien en France. En déplorant l’ensemble des incidents violents à caractère racistes, force est de constater que ce genre de phénomène touche, de près ou de loin, toutes les communautés minoritaires de ce pays en cette période de chômage, de précarité sociale et de déréliction. Il s’agit de savoir comment y mettre fin.

Dans son article, M. Ghozlan se risque à une observation contestable qui implique une proposition : « Si on trouve en effet de plus en plus de Juifs dans des écoles juives, c’est bien parce que certaines écoles publiques n’arrivent plus à protéger des agressions des enfants juifs. » Contrairement à ce que ces propos sous-entendent, il faut savoir que la vaste majorité des Juifs français, à l’instar de leurs compatriotes d’autres confessions, inscrivent leurs enfants à l’école publique. Bien qu’il soit du droit le plus stricte pour chaque famille d’inscrire ses enfants à l’école de son choix (publique et laïque ou bien privée et religieuse), nous ne devons pas inciter certains à se tourner vers l’école privée sous prétexte que l’école publique ne saurait pas assurer sa mission. En fait d’appel au « vivre ensemble », cette surenchère mène inéluctablement à séparer les Français les uns des autres : les pauvres à l’école publique, les riches à l’école privée, les Juifs à l’école juive, les catholiques à l’école catholique, etc. La ségrégation serait en bonne voie.

Promouvoir le « vivre ensemble » ce n’est pas encourager les replis communautaristes. La meilleure façon de faire avancer ce « vivre ensemble » est de soutenir la mixité sociale et culturelle. Quant aux pouvoirs publics, leur devoir est d’accorder enfin à l’école laïque républicaine les moyens budgétaires qui lui permettrait d’assumer sa mission d’égalité pour tous.

Richard Wagman
Président d’honneur
Union juive française pour la paix (UJFP)