Article paru dans le numéro 118 de la revue CQFD de Janvier 2014[ [Voir le sommaire de ce numéro ]]
Depuis 7 ans, le blocus israëlien a transformé Gaza en un véritable laboratoire, où près de 1.800.000 personnes survivent sans pouvoir quasiment sortir dans la pauvreté, le chômage et les pires pénuries. À l’étranglement israélien s’ajoute le blocus égyptien par « mesure sécuritaire » depuis que le coup d’État de l’armée égyptienne, laquelle accuse le Hamas de collusion avec les Frères Musulmans. Pierre Stambul a pu passer deux jours fin décembre dans cette cage avec le réseau de soutien international Unadikum.
Ils tuent et ne sont jamais sanctionnés.
Le 24 décembre, l’armée israélienne a attaqué la bande de Gaza avec les chars et l’aviation en 15 endroits différents. Un char israélien a pulvérisé à 800 m de distance une maison dans un camp de réfugiés. Une dangereuse terroriste, la petite Hala, trois ans, est morte. Sa mère est ses frères ont été bléssés-e-s. À l’hôpital, la famille nous a demandé de filmer et de témoigner. Deux jours auparavant, un autre redoutable terroriste, un chiffonnier qui recyclait les ordures, avait été abattu sans motif par un snipper israélien. En 7 ans de blocus, 150 paysans et des milliers d’animaux qui avaient l’outrecuidance d’approcher trop près la « barrière de sécurité » – pour reprendre le vocabulaire de l’occupant – ont perdu la vie. « Pourquoi la justice internationale protège-t-elle les criminels de guerre israéliens ? », s’interroge le militant des droits de l’homme Khalil Shaheen. Quand les soldats de Tsahal ne tirent pas sur les paysans, ils visent les pêcheurs. La marine israélienne interdit aux pêcheurs de s’éloigner à plus de 3 Km des côtes mais viole ses propres lois puisqu’elle a confisqué des bateaux à 700 mètres des côtes et tué deux pêcheurs [quand ?]. Les quelque 4200 pêcheurs sont réduits à la misère. « Le droit international permet de cultiver et de pêcher. Israël viole ce droit en disant que c’est contraire à sa sécurité », explique Mohamed al-Bakri, secrétaire général du syndicat des comités de travailleurs agricoles (UAWC) [note]Le syndicat des travailleurs agricoles UAWC appartient à Via Campesina. Il organise les paysans et les pêcheurs, établit des programmes de développement (tracteurs, étanchéité, filets de pêche).]]
Comment la pénurie est organisée
Gaza est aussi une terre agricole. La superficie agricole a diminuée d’1/3 à 1/5 de la bande en 7 ans. Les Israéliens interdisent la commercialisation des produits et les fraises pourrissent sur place. Les paysans survivent avec 1/2 hectare de terre en moyenne. Gaza est autosuffisant en légumes et en poulet mais tout le reste doit être importé (œufs, viande rouge, poisson). Lors des récentes inondations 3 000 serres ont été inondées, le blocus israélien empêche de les remplacer.
L’eau à Gaza vient de Cisjordanie par l’aquifère. Les Israéliens ont creusé des puits sur la frontière tous les 100 m pour capter cette eau. Résultat, il manque à Gaza 40 % de l’eau nécessaire à son agriculture. La nappe phréatique est envahie par la mer et l’eau, devenue saumâtre, est impropre à la consommation.
En Egypte, l’essence est subventionnée et ne coûte que 0,12 euro le litre. Avant que le gouvernement égyptien ne bloque la frontière et ne détruise les tunnels, on trouvait de l’essence à Gaza. À présent, elle vient d’Israël, est rare et hors de prix. Les charrettes remplacent souvent les voitures. Conséquence de cette pénurie de pétrole, il n’y a en moyenne que 6 heures d’électricité par jour. Alors c’est la débrouille : groupes électrogènes, lampes de poche sont indispensables, mais ne garantissent rien.
Dans les hôpitaux, on manque de médicaments, d’hygiène, de médecins qualifiés. Les grands malades essaient de partir à l’étranger, mais sortir n’est pas évident et ça coûte très cher.
Un énorme effort est entrepris pour l’éducation. Il y a très peu d’illettrés. On compte à Gaza 100000 étudiant-e-s dans 5 universités. Au bout du compte, il y a 35000 chômeurs diplômés et d’autres survivent avec des petits boulots. Le chômage total ou partiel touche 60% de la population. L’économie a été détruite.
« Sans solution politique, on continuera à manquer d’eau, de terre, de médecins, d’éducation et ça va exploser », ajoute Mohamed al-Bakri.
Colère et auto-organisation
Tous nos interlocuteurs/trices disent la même chose : la désunion palestinienne, l’existence de deux gouvernements, deux parlements, deux lois sont un scandale : « ils ne pensent qu’à leur propre intérêt », « ils ont perdu toute légitimité », « cette désunion est une victoire de l’occupant », « nous avons un grand problème de leadership », « rien ne changera avec Abou Mazen ». « Il n’y aura pas de troisième Intifada à cause de la division palestinienne, pense Ziad Medoukh, responsable du département de français a l’université al-Aqsa de Gaza. Depuis la mort d’Arafat, il n’y a plus de leadership. La direction à prendre vient de l’extérieur de la société palestinienne et non de l’intérieur. Les deux gouvernements profitent de l’occupation pour garder le pouvoir. Ces deux gouvernements ont perdu la légitimité. Les deux sont en échec. Mais ils savent que la population ne va pas se révolter contre eux. »
L’impopularité des deux gouvernements est certaine. « Notre rêve, c’est un seul État. Notre référence c’est Mandela, [mais] nos dirigeants sont stupides, estime Eyad Al Alam, avocat au Centre palestinien des droits de l’homme (PCHR). On a deux parlements, deux gouvernements, deux lois. Pourquoi n’y a-t-il pas réunification ? Je me fous des relations Fatah-Hamas. On voudrait des élections mais Israël contrôle tout et ne laissera pas faire .»
Le PCHR fait partie de ce grand réseau d’associations qui viennent au secours des pauvres et des exclu-e-s, qui permettent à la population de s’organiser, d’exiger le droit de « vivre comme un être humain normal ». Le PCHR enquête sur toutes les exactions, même sur les violences interpalestiniennes. Il aide les prisonniers politiques, combat la torture, dénonce l’impunité de l’occupant et la complicité occidentale. Il a fourni aux enquêteurs de l’ONU (Dugard, Falk, Goldstone) une grande aide pour leurs rapports. « Comme Palestinien, j’ai été victimisé et maltraité. La Naqba est en moi. Je suis né ici, c’est mon pays. Un Russe obtient la nationalité et moi, je n’ai rien. La loi vient du pouvoir, pas de la morale. Avec la globalisation, j’ai espoir que les barrières disparaîtront. Pourquoi la communauté internationale accepte-t-elle cette punition collective ? », s’indigne Khalil Shaheen.
Politiquement, il existe une gauche palestinienne dont le parti le plus important est le FPLP. Ce parti a payé un très lourd tribut à son rôle dans la résistance (le secrétaire général Ahmed Saadat a été condamné à la prison à vie et le précédent a été assassiné). Il essaie aujourd’hui de renouveler ses cadres et d’unifier un troisième pôle face au Fatah et au Hamas. Il se concentre aussi sur l’action sociale du FPLP : les jardins d’enfants, les projets, les instituts, les hôpitaux (comme à Jabaliya), les ONG, l’aide aux agriculteurs et aux pêcheurs ». Dans son programme, il exige la fin des négociations avec Israël.
Aujourd’hui les accords d’Oslo sont plus que jamais morts. On est passé à une lutte antiapartheid sur un espace unique. L’hypocrisie des discours de la France, de l’Union Européenne et les Etats-Unis renforce l’économie israélienne et le blocus. Avec Ziad Medoukh la discussion se porte sur le boycott: « La notion est peu développée en Palestine parce que les marchés sont captifs. Il y a peu de produits israéliens, pas de produits des colonies mais les Palestiniens n’ont aucune marge de manœuvre. « Toutes les formes de solidarité sont les bienvenues. Mais la priorité, c’est de lever un blocus qui dure depuis 7 ans. S’il n’y a pas un mouvement comparable à ce qui s’est fait en Afrique du Sud, ça ne marchera pas ».
Pierre Stambul
Coprésident de l’Union Juive Française pour la Paix