15 mars | Taly Krupkin pour Haaretz |Traduction JPP pour l’AURDIP |
« Alors que nos opinions diffèrent, nous sommes fortement opposés à la nouvelle loi », lit-on dans la pétition, pendant que d’autres juifs libéraux états-uniens avertissent que la nouvelle loi entraînera une dérive vers le camp du BDS.
New York – Des dizaines d’éminents universitaires juifs craignent de ne plus pouvoir se rendre en Israël, citant une nouvelle loi qui donne pouvoir au gouvernement de refuser l’entrée aux partisans des boycotts contre le pays ou ses colonies en territoire occupé. Dans le même temps, quelques jours seulement après le vote de la nouvelle loi, ils sont plus d’une centaine de chercheurs juifs à avoir signé une lettre dans laquelle ils menacent de s’abstenir de venir en Israël en signe de protestation.
« Parmi nous, il y en a qui s’opposent au mouvement BDS, d’autres qui s’opposent au BDS mais qui soutiennent un boycott des colonies, et d’autres encore qui soutiennent le BDS », indique la pétition qui a été portée à l’attention de Haaretz avant même qu’elle n’ait été publiée.
« Alors que nos opinions diffèrent, nous nous opposons avec force à la nouvelle loi. Elle sera mauvaise pour Israël, mauvaise pour la cause de la démocratie à ce moment fragile, et mauvaise pour les principes de la liberté d’expression et de pensée sur laquelle se fonde notre savoir. Nous espérons que le système judiciaire israélien fera annuler la nouvelle loi et nous garantira que notre discours politique ne sera pas un obstacle à la poursuite de nos interactions universitaires qui sont riches avec nos collèges juifs dans le domaine des études juives. Si la loi entrait en vigueur, nous pourrions ne plus être autorisés – ni nous permettre – d’entrer dans l’État d’Israël ».
L’un des initiateurs de la lettre, David Biale, professeur d’histoire juive à l’université de Californie, Davis, a déclaré à Haaretz qu’il se rendait en Israël tous les ans, et qu’il projetait de faire de même cet été. « Maintenant, je vais devoir réévaluer » dit Biale, dont les études se concentrent sur la sécularisation dans l’histoire juive.
« Ils veulent nous pousser à boycotter Israël ; c’est une mesure très grave. Je suis très déçu qu’Israël ne puisse pas faire face aux critiques de manière démocratique, et à la place, qu’il interdise la venue de ceux qui n’approuvent pas la politique du gouvernement actuel, des sionistes, des amis d’Israël, des gens qui se sentent profondément liés au pays. »
Beaucoup de ceux qui ont critiqué le mouvement de Boycott, Désinvestissement et Sanctions dans le passé ressentent que la législation d’Israël les rapproche de ce camp, car ils craignent que les déclarations ou les pétitions critiquant la politique d’Israël envers les Palestiniens puissent signifier pour eux l’interdiction d’y venir.
Michael Walzer, co-éditeur du magazine Dissent et professeur à l’Institut d’Études supérieures, a été l’un des plus éminents critiques de BDS sur les campus de l’Institut, encourageant à un boycott plus ciblé sur l’occupation.
Walzer a déclaré à Haaretz qu’il considérait la récente loi comme un renforcement du BDS.
« Je peux vous assurer que cela aidera grandement le mouvement BDS, ceux qui critiquent le gouvernement et qui critiquent aussi le BDS seront amenés à penser que le gouvernement a peur, que le BDS fonctionne. Il y aura des gens qui viendront au BDS, et j’ai déjà reçu des courriels de personnes qui ont critiqué le gouvernement israélien mais aussi le BDS, et qui écrivent qu’à ce stade, nous pourrions tout aussi bien rejoindre le BDS.
« Je ne pense pas que le BDS aux États-Unis soit une menace pour Israël, je pense qu’il peut l’être en Europe, je crains que l’intelligentsia de gauche en Europe ne soit pas seulement hostile à l’occupation, mais aussi à un État juif, ce qui est très dangereux » dit-il.
Walzer compte de nombreux amis et collègues en Israël, a enseigné à l’université juive et se rend en Israël chaque année, il est maintenant incertain des implications de la nouvelle loi pour son voyage prévu cet été.
« Je me demande s’ils me laisseront entrer. J’ai signé une lettre appelant au boycott des produits des colonies occupées, mais j’ai aussi été actif dans l’opposition au BDS sur les campus. Je me rends en Israël tous les ans depuis les années 70. Je dois y aller en juin, et je serais très surpris et en colère s’ils me renvoyaient » dit-il.
Walzer est également préoccupé par le fait que les Israéliens pourraient se retrouver persécutés par ces tentatives d’étouffer la liberté d’expression.
« Je pense que les Israéliens devraient s’inquiéter qu’un gouvernement qui n’est pas disposé à tolérer des visiteurs étrangers qui sont critiques, pourrait, avant longtemps, ne pas être disposé à tolérer ses citoyens qui critiquent », dit-il. « De nombreux pays ont enduré des critiques extérieures assez sévères. Je suis assez âgé pour me souvenir qu’en France, durant la guerre d’Algérie, il existait une opposition farouche, et ces opposants venaient en France. Les Français n’ont pas essayé de les refouler ».
L’année dernière, le mouvement BDS a subi des revers quand l’Association des Langues modernes (MLA) a voté contre un projet de boycott académique d’Israël. Une décision en faveur d’un boycott aurait pu porter un grand coup aux universitaires et aux étudiants israéliens qui travaillent dans les départements de langues, de littérature et des domaines connexes en Israël, de même qu’aux collaborations et recherches impliquant des institutions académiques israéliennes.
La bataille après la décision de la MLA s’est déployée dans les pages d’opinion de journaux américains, avec d’éminents universitaires qui ont pris parti. Le professeur Todd Gitlin, qui s’opposait à un boycott académique d’Israël, y suggérait à la place, un boycott ciblant les colonies.
Mais maintenant, Gitlin, professeur de journalisme et de sociologie, et président du Programme de doctorat en communications à l’université de Columbia, estime qu’il pourrait être une cible pour la nouvelle loi d’Israël.
« M’étant fréquemment et publiquement opposé au mouvement BDS pendant des années, tout en préconisant un boycott économique des produits et des investissements des colonies, je vois aujourd’hui que l’État d’Israël m’a ajouté sur la liste de ses ennemis », écrit-il à Haaretz.
« Pour un tel honneur, je ne suis pas particulièrement reconnaissant. Et je ne me réjouis pas davantage du spectacle d’Israël qui s’enferme dans une forteresse de paranoïa. Une fois encore, les partisans d’un Israël forteresse, qui se retranchent dans les précédents bibliques, choisissent leurs versets. Ils pourraient choisir, par exemple, Isaiah 13 :11 : ‘Je punirai le monde pour sa malice, et les méchants pour leurs iniquités ; Je ferai cesser l’orgueil des hautains, Et j’abattrai l’arrogance des tyrans’ ».
D’autres sur une liste noire israélienne potentielle incluent d’autres universitaires qui ont signé la lettre de Gitlin, comme la professeure Hasia R Diner, directrice du Centre Goldstein-Goren pour l’Histoire juive américaine à l’université de New York, qui qualifie la mesure de contre-productive et « puérile ».
« Elle ne fait qu’exaspérer et enflammer, étant donné la nature de la communication dans le monde où nous vivons, vous ne pouvez pas arrêter les idées, à moins que vous ne bloquiez Internet. Je suis contre les boycotts académiques, mais cela pourrait me faire basculer pour dire, vous savez, le BDS, en réalité, c’est le seul moyen » déclare Diner.
« Si la lettre m’empêche d’être autorisée à venir en Israël, d’accord, je ne viendrai pas, je ne viendrai pas aux réunions universitaires, je n’utiliserai pas les archives israéliennes, je ne rencontrerai pas mes collègues israéliens. Mais qui en sera lésé ? Je vois comme une sorte d’effet secondaire, avec des universitaires américains disant, d’accord, nous n’irons pas en Israël, donc, nous ne vous inviterons pas à nos conférences ».
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