Emmanuel Macron reçoit ce mardi Benyamin Nétanyahou à Paris. Il doit tenir une position ferme face aux abus de l’armée et de la justice israéliennes, pour soutenir les initiatives prises par l’ONU et l’UE, selon l’ONG Human Rights Watch.
Emmanuel Macron rencontre le Premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou à Paris ce mardi 5 juin. Il y a 51 ans jour pour jour, Israël commençait l’occupation de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. Elle contrôle aujourd’hui ces zones par la répression, une discrimination institutionnalisée et des violations graves et constantes des droits de la population palestinienne. Depuis 51 ans, la communauté internationale a échoué à enrayer les abus liés à l’occupation.
Cependant, le vent a peut-être commencé à tourner, avec une série d’initiatives jetant les bases de mesures plus actives de la part de la communauté internationale pour contraindre les autorités israéliennes à s’acquitter de leurs obligations au regard du droit international. La France a l’occasion de jouer un rôle clé dans cette dynamique, et Macron devrait profiter de sa rencontre avec Nétanyahou pour dire sans ambiguïté que le mépris continu d’Israël pour les droits humains aura des conséquences.
Le mois dernier, le ministre israélien de la Défense, Avigdor Lieberman, a autorisé la construction de 2 500 nouveaux logements dans les colonies en Cisjordanie occupée, où résident actuellement plus de 600 000 Israéliens. Un tel transfert de civils vers des territoires occupés constitue un crime de guerre. Les colonies contribuent à un régime doublement discriminatoire, qui traite les Palestiniens de façon séparée et inégalitaire.
En mars 2016, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a approuvé la création et la publication d’une base de données sur les entreprises opérant dans les colonies. Le Haut-Commissariat aux droits de l’Homme espère en publier une première mouture en août. Récemment, l’Union européenne a également mis en place une réglementation exigeant l’étiquetage des importations en provenance des colonies, afin qu’Israël ne puisse plus les faire passer pour du «Made in Israël». La France l’a incorporée dans ses propres lois. Macron devrait rappeler à Nétanyahou l’opposition de la France aux colonies, en précisant que la France continuera de soutenir la base de données malgré les pressions pour qu’elle ne soit jamais publiée et demandera aux entreprises françaises de cesser de faire des affaires dans ou avec les colonies.
Une centaine de Palestiniens tués depuis le 30 mars
Pour faciliter l’expansion des colonies et de leurs infrastructures, les autorités israéliennes ont exproprié des milliers d’hectares de terres palestiniennes et démoli des habitations et bâtiments communautaires au motif qu’ils n’avaient pas de permis de construire; sauf que dans le même temps, elles imposent tellement de contraintes discriminatoires qu’il est presque impossible pour les Palestiniens d’en obtenir à Jérusalem-Est et dans les 60% de la Cisjordanie sous contrôle israélien exclusif (connu sous le nom de «zone C» depuis les accords d’Oslo).
Le 24 mai, la Cour suprême israélienne a donné son aval au projet du gouvernement de démolir Khan al-Ahmar Ab al-Hilu, un village de 180 habitants à l’est de Jérusalem, y compris son école, qui permet de scolariser 160 enfants venus de cinq villages environnants. L’ONU considère que 46 communautés palestiniennes courent un «risque élevé de transfert forcé». Le transfert forcé de la population d’un territoire occupé est un crime de guerre.
L’Union européenne, des responsables de l’ONU et le ministre britannique délégué pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord ont tous mis en garde Israël contre la destruction de Khan al-Ahmar, qui pourrait avoir lieu d’un jour à l’autre. Récemment, des pays européens sont aussi allés au-delà des simples condamnations: en octobre 2017, huit pays, dont la France, ont exigé des compensations pour les structures humanitaires qu’ils avaient participé à faire construire dans la zone C et qu’Israël a rasées. Macron devrait appeler Nétanyahou publiquement à annuler les projets de démolition de Khan al-Ahmar et indiquer clairement que la France continuera de soutenir les efforts internationaux pour identifier et poursuivre les responsables d’éventuels crimes de guerre.
Depuis le 30 mars, les forces israéliennes ont tué plus de cent Palestiniens lors de manifestations à Gaza, et en ont mutilé et blessé des milliers d’autres. Leur victime la plus récente est Razan al-Najjar, une secouriste de 21 ans abattue le 1er juin alors qu’elle était clairement identifiable comme secouriste et était en train d’apporter des soins à des manifestants blessés. Ces tueries ont été commises par des soldats mettant à exécution les ordres d’ouvrir le feu émis par des responsables israéliens, leur permettant de faire usage de la force létale contre des manifestants sans qu’ils ne représentent une menace imminente pour la vie –et ce, en violation des Principes de base de l’ONU sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois. Ces meurtres surviennent alors qu’Israël a bouclé Gaza depuis une décennie, restreignant drastiquement la circulation des personnes et des biens. L’Égypte exacerbe cette situation en fermant la plupart du temps sa frontière avec Gaza.
Quasi-impunité du système judiciaire israélien
Le 17 mai, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a créé une commission d’enquête portant sur les meurtres commis aux abords de la clôture de sécurité de Gaza. La Procureure de la Cour pénale internationale, qui avait déjà un examen préliminaire en cours sur la situation en Palestine, a déclaré que ses équipes suivaient de près la situation sur le terrain à Gaza. Ces initiatives visent à rompre la quasi-impunité au sein du système judiciaire israélien, qui permet de tels abus.
Tout en intensifiant leurs abus, les autorités israéliennes continuent de restreindre l’espace pour les défenseurs des droits humains. Le mois dernier, Israël a révoqué le permis de travail de Human Rights Watch et m’a ordonné de quitter le pays. Cette décision, qu’Israël a justifiée par les positions que j’aurais prises sur les boycotts avant de rejoindre Human Rights Watch (tout en reconnaissant que ni l’organisation ni moi, en tant que son représentant, n’encouragions les boycotts), intervient au moment où le gouvernement israélien rend de plus en plus difficile le travail des groupes de défense des droits, accuse les groupes israéliens de diffamer et de discréditer l’État et l’armée, et soumet les défenseurs des droits palestiniens à des restrictions de voyage et même à des arrestations et des poursuites pénales.
De nombreuses voix, notamment celles de l’Union européenne et l’ONU, ont réagi vigoureusement en soutien à Human Rights Watch, qui a fait appel de la révocation du permis de travail devant un tribunal israélien. En outre, des officiels étrangers ont continué de rencontrer des associations de défense des droits en Israël et en Palestine, malgré les mises en garde des responsables israéliens. Emmanuel Macron devrait exprimer sa préoccupation face aux restrictions croissantes imposées aux militants des droits humains palestiniens, israéliens et internationaux.
La mobilisation croissante de la communauté internationale contre les abus d’Israël est menacée par la montée, à l’échelle mondiale, de dirigeants populistes s’attaquant ouvertement aux principes universels. Nous sommes à un tournant critique et la France a un rôle crucial à jouer dans la défense des droits humains et du droit international. Elle devrait saisir cette occasion historique avant que ne passent trop d’autres tragiques anniversaires.
Par Omar Shakir, Directeur de recherche Israël et Palestine pour Human Rights Watch — 5 juin 2018