Dans le cadre de la semaine internationale contre l’apartheid israélien (Israeli Apartheid Week – IAW), l’Association des Universitaires pour le Respect du Droit International en Palestine (AURDIP) à organisé un webinaire le 30 mars 2021.
Titre :
« La Cour pénale internationale va-t-elle provoquer la fin de l’impunité des auteurs de crimes de guerre dans le conflit israélo-palestinien ? »
Intervenants :
- Eric David, professeur émérite de droit international à l’Université libre de Bruxelles et auteur de l’ouvrage Principes de droit des conflits armés (éditions Bruylant)
- Nicolas Boeglin, professeur de droit international à l’Université du Costa Rica
- Modérateur : Ghislain Poissonnier, magistrat.
Résumé des interventions
Ghislain Poissonnier
L’année 2021 ouvre une séquence inédite dans le conflit israélo-palestinien avec la venue d’un nouvel acteur international, susceptible de changer quelque peu la donne, la Cour pénale internationale. En effet, la Chambre préliminaire de la Cour a rendu le 5 février 2021 un jugement reconnaissant la compétence juridictionnelle de la Cour pour connaître des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis sur le territoire palestinien. Il s’agit d’une avancée majeure car la Chambre préliminaire précise en outre à cette occasion que la Palestine est bien un État membre au Statut de Rome et que son territoire est composé de la Cisjordanie, de Jérusalem-Est et de la bande de Gaza.
Le 3 mars 2021, le Bureau du Procureur de la Cour a annoncé l’ouverture d’une enquête sur les crimes de guerre commis sur le territoire palestinien depuis le 13 juin 2014. Trois types de crimes sont concernés : ceux commis dans la bande de Gaza à l’été 2014, ceux commis lors de la Grande marche du retour à la frontière entre Gaza et Israël, et ceux relevant de la colonisation israélienne en Cisjordanie et à Jérusalem-Est.
S’agit-il du début de la fin de l’impunité des criminels de guerre dans le conflit israélo-palestinien ? Quelles sont les conséquences de ces avancées observées à la Cour pénale internationale ?
Pour en débattre, l’Association des Universitaires pour le Respect du Droit International (AURDIP) a réuni Eric David, professeur émérite à l’Université Libre de Bruxelles, et Nicolas Boeglin, professeur à l’Université du Costa Rica, tous deux spécialistes de droit international public.
Ghislain Poissonnier
Eric David
La décision rendue par une Chambre préliminaire de la CPI, le 5 février 2021, confirme l’aptitude de la Procureur d’ouvrir une enquête sur les crimes commis par des membres de l’armée israélienne en Palestine (Bande de Gaza et Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est) et sur ceux commis par des membres de groupes armés palestiniens dans, ou depuis, la Bande de Gaza. L’intérêt de la décision réside non seulement dans la possibilité que des faits de guerre commis en Palestine donnent lieu à des poursuites devant la CPI si la Procureur constate qu’il s’agit de crimes prévus par le Statut de la CPI (art. 7-8) mais aussi dans le fait que les colonies israéliennes de peuplement établies en Palestine bien avant l’entrée en vigueur du Statut pour cet État puissent aussi donner lieu à poursuites en tant qu’infractions continues. Il faut toutefois observer qu’un des trois juges a soumis une opinion dissidente de 163 pages pour démontrer notamment que la Palestine n’était pas un État. Même si cette dissidence est loin d’être convaincante, elle n’en témoigne pas moins des difficultés auxquelles les évidences juridiques les plus simples peuvent se heurter…
Eric David
Nicolas Boeglin
Le jugement du 5 février 2021 constitue une décision historique a bien des égards, qui semble avoir pris au dépourvu les autorités israéliennes. Ses effets au plan diplomatique, notamment au sein des Nations-Unies, en particulier au sein du Conseil des Droits de l’Homme, mais aussi au plan juridique, tant au plan international qu’au plan national renforce comme jamais auparavant la cause palestinienne ainsi que le mouvement BDS ; cette décision peut également servir d’utile précédent pour les juges de la Cour Internationale de Justice (CIJ) en l’affaire Palestine contre États-Unis portée à leur connaissance en 2018.
La surprise israélienne a été telle, qu’une lourde incertitude pesait sur la réponse (ou l’absence de réponse) d’Israël le 9 avril dernier à la CPI : cette dernière l’avait notifié le 9 mars dernier, en lui fixant un délai de un mois pour l’informer d’éventuelles enquêtes internes portant sur les même faits que cherche à examiner la CPI. En fin de compte, Israël a de nouveau jugé inutile de coopérer avec la CPI. Ce refus le prive sans doute de la possibilité de faire valoir le principe de complémentarité en arguant des enquêtes nationales qui auraient été réalisées sur les allégations de crimes. Les enquêteurs de la CPI sont donc bien fondés à mener à bien leurs investigations sur toutes les affaires qui intéressent le Bureau du Procureur de la CPI, sans exception d’aucune sorte.
Nicolas Boeglin