Le 15 janvier 2016 la justice a acquitté un policier qui avait tué mon frère d’une balle dans le dos.
Malgré tous les témoignages mettant à mal la version du policier, la cour a tranché en faveur du tueur. Car « un policier ne tire qu’en situation de légitime défense », expliquait le porte-parole du syndicat policier à la barre. « Vous affirmez quelque chose qui reste à prouver », lui avait rétorqué l’avocat de la famille. Mais cette garantie risque de disparaître : le Gouvernement souhaite désormais inscrire la présomption de légitime défense pour les policiers dans la loi. Si cette loi passe, tout policier qui aurait tué une personne serait considéré a priori en situation de légitime défense, sans être inquiété par la justice.
Amine n’avait que 28 ans lorsqu’il a été tué par ce policier, le 21 avril 2012.
On pourrait donc croire que l’inquiétude vient d’une vision biaisée d’une famille endeuillée. Et pourtant, tous les journalistes en sont témoins : la police, dans cette affaire, a menti, au point où l’avocat général, représentant de l’Etat, a lui-même demandé à ce que l’accusé, Damien Saboundjian, soit condamné. Le magistrat considérant ce dernier « dangereux », il a demandé à ce que le jury « rende une décision qui ne puisse pas être interprétée comme un permis de tuer ». Une première en France.
On pourrait croire aussi qu’il n’y a pas de fumée sans feu. Car au fond, Amine était un « bon client » pour la légitime défense : il était de ceux qu’on appelle les « délinquants multirécidivistes » qui mériteraient de mourir, pour qui la peine de mort n’a pas été abolie.
Mais les familles des adolescents Zyed et Bouna qui rentraient chez eux après un match de foot en 2005, du retraité Ali Ziri qui rentrait chez lui en voiture en 2007, ou du jeune écolo Rémi Fraisse qui avait rejoint une manifestation en 2014 le savent tout autant que les 15 familles par an (en moyenne !) qui perdent un proche entre les mains de la police en France : délinquant ou pas, le procédé est toujours le même. Criminalisation de la victime pour trouver une excuse plausible au policier, et détourner l’attention de tous les mensonges et incohérences dans le dossier ; protection et acquittement du tueur.
Nous n’avons pas en France un problème de policiers tués par des citoyens. Nous avons un problème de citoyens tués par la police, en toute impunité. Problème qui a d’ailleurs fait l’objet de deux rapports d’Amnesty International en 5 ans.
Avec les familles Wissam El Yamni, Abdoulaye Camara, Lahoucine Aït Omghar, Amadou Koumé, Mourad Touat et Hocine Bouras, Taghbalout Karim décédées les années suivantes, nous avons décidé de nous unir pour nous donner la force de nous battre, et réclamé une juridiction indépendante pour enquêter sur les morts survenues dans l’exercice de la fonction des agents des forces de l’ordre.
Mais à la place, c’est l’inscription du permis de tuer des policiers dans la loi que le Gouvernement a choisi. Avec la lutte antiterroriste comme prétexte, la proposition de loi qui risque de passer inaperçue est étudié par le Sénat à partir du 24 janvier 2017. Or si nous voulons donner espoir à ceux qui ne croient plus au slogan des frontons des mairies françaises, nous avons tous le devoir de nous y opposer.
Car un policier qui n’est plus justiciable est une menace pour la démocratie. Et dans une République qui vient d’autoriser le port d’arme hors service, on ose à peine en imaginer les risques.
Nous ne voulons pas que la liste des victimes s’allonge à un rythme encore plus élevé chaque année.
Nous ne voulons pas devenir les monstres que le traumatisme et le déni de justice produisent. Nous voulons garder espoir en l’Etat de Droit, pour que chaque famille endeuillée puisse un jour voir la Justice.
Nous vous demandons, Mesdames et Messieurs les parlementaires, de voter NON au permis de tuer.
Amal Bentounsi
Collectif Urgence notre police assassine
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