Une synagogue de Chicago adopte l’antisionisme comme « valeur fondamentale »

Le rabbin Brant Rosen, dit qu’il ne pense pas que cela changera la communauté juive américaine dominante, mais insiste sur la croyance que le judaïsme appartient à la diaspora

Par JACOB MAGID

Le rabbin Brant Rosen, fondateur de la synagogue non sioniste Tzedek de Chicago, prend la parole lors d’un rassemblement sur la question de la vie des Noirs. (Crédit : IIRON)

CHICAGO – La synagogue Tzedek Chicago a voté pour adopter l’antisionisme comme « valeur fondamentale », devenant ainsi la première congrégation américaine à adopter officiellement cette position.

Les membres de Tzedek, une congrégation non confessionnelle fondée en 2015, ont voté la semaine dernière. Le conseil d’administration de la synagogue, composé de 12 membres, avait approuvé la décision à l’unanimité en décembre.

« Les Juifs ont un devoir moral de justice et solidarité envers les opprimés », a rappelé le rabbin Tzedek Brant Rosen, assurant que l’antisionisme en était précisément une expression, à l’occasion d’une interview, dimanche, avec le Times of Israel.

Il a précisé que soixante-douze pour cent des membres de Tzedek avaient approuvé la décision : les autres l’ont acceptée en confirmant leur appartenance à la communauté, tandis que d’autres Juifs américains [extérieurs à la communauté] les ont contactés pour se joindre à eux après avoir entendu parler du vote. La congrégation compte environ 200 familles.

Le vote prouve une nouvelle fois qu’il existe une demande pour de telles institutions religieuses au sein de la communauté juive américaine, a ajouté Rosen.

Quasiment toutes les synagogues aux États-Unis sont sionistes par défaut, compte tenu de leur affiliation avec les grandes dénominations qui soutiennent l’État juif à des degrés divers.

Une poignée de congrégations s’identifient comme non-sionistes dans le but de créer un espace pour l’activisme pro-palestinien, qui gagne en popularité parmi les jeunes Juifs libéraux. Mais ce sont de petites communautés, marginalisées par les organisations juives traditionnelles qui, elles, considèrent le lien avec l’État juif comme constitutif de l’identité juive.

Des membres de Naturei Karta manifestent devant les Nations Unies, contre le Premier ministre, Naftali Bennett, qui y prononce un discours, à New York, le 27 septembre 2021. (Crédit : Luke Tress/Flash90)

Ces groupes ont des croyances religieuses antisionistes, mais ne sont pas des congrégations individuelles et ne prennent pas de décisions sur leurs principes, comme Tzedek a pu le faire la semaine passée.

Les réactions à la prise de position de Tzedek semblent beaucoup plus virulentes que celles opposées aux antisionistes ultra-orthodoxes. Des voix éminentes pro-israéliennes se sont exprimées au sujet de ce vote avec plus ou moins de mépris.

Le dirigeant d’une fédération juive a déclaré s’être jusqu’à présent abstenu de tout commentaire public sur les mesures anti-israéliennes prises par Tsedek pour « ne pas [lui] faire de publicité ». Il a toutefois admis que la dernière décision en date « ne pourrait sans doute pas être ignorée ».

Le Consul général d’Israël dans le Midwest, Yinam Cohen, frémissait d’impatience à l’idée de s’exprimer à propos de la décision Tzedek.

« Ne vous y trompez pas. Ce qu’ils disent n’a rien à voir avec la politique d’Israël. Il s’agit d’une remise en question pure et simple du principe-même de l’existence d’Israël en tant qu’État juif démocratique. À leurs yeux, le peuple juif est le seul au monde qui ne mérite pas son propre État », a-t-il assuré au Times of Israel, qualifiant Tzedek de « voix marginale » tout en remerciant la communauté juive de Chicago pour son soutien à Israël.

Rosen a déclaré « ne se faire aucune illusion » sur la capacité de la décision de Tzedek à amener un changement dans la façon dont la communauté juive dominante se réfère à Israël, même à long terme.

Il a fait valoir que l’espace offert par sa congrégation avait des partisans, en particulier parmi les jeunes « qui ne sont pas élevés dans la même relation à Israël que leurs parents » et qui se sentent aliénés par le discours en vigueur au sein de la communauté juive américaine.

Rosen a longtemps eu des opinions sur le conflit israélo-palestinien en marge du courant dominant, mais il a été formé au sein du mouvement reconstructionniste et a dirigé plusieurs congrégations de cette sensibilité aux États-Unis.

Il a d’ailleurs quitté un précédent poste à la Congrégation réformatrice juive d’Evanston, Illinois, en 2014 en raison de désaccords avec certains membres des congrégations sur ses vues israéliennes.

La décision des membres de Tzedek aura sans doute peu d’implications pratiques car elle a déjà été partenaire d’un certain nombre de coalitions et d’actions anti-israéliennes et pro-palestiniennes dans la communauté. Mais Rosen est convaincu que la déclaration contre le sionisme est importante en soi.

Le chef spirituel de Tzedek a admis que certains, partisans comme opposants à la décision au sein de sa communauté, craignaient que le vote ne finisse par réduire la synagogue à ce à quoi elle s’oppose, au lieu de la définir par rapport à ce qu’elle soutient.

Il a insisté sur le fait que le soutien actif à l’antisionisme faisait partie d’un ensemble plus large de valeurs ancrées dans l’idée que « la diaspora est le lieu de la vie juive ».

Interrogé sur le caractère essentiel d’un État souverain pour la protection des Juifs au regard des vagues passées, actuelles et futures de l’antisémitisme, Rosen a déclaré que la création de l’État d’Israël avait « exacerbé l’antisémitisme à bien des égards ».

« Je pense qu’il est illusoire de penser que d’une manière ou d’une autre, vous pouvez simplement débarquer dans un pays, y implanter une armée et affirmer qu’ainsi, les Juifs du monde sont en sécurité », a-t-il expliqué.

Surtout lorsque cet État « existe au détriment d’un autre peuple », ce qui, selon Rosen, est « extrêmement problématique ».

Le rabbin Brant Rosen, fondateur de la synagogue non sioniste Tzedek de Chicago, et des membres de la congrégation font « havdalah » lors d’un rassemblement Jewish Voice for Peace. (Crédit : JVP Chicago)

En dépit du caractère marginal de sa communauté, Rosen a réaffirmé l’appartenance de celle-ci à « Am Yisrael », le peuple juif.

Il continue d’y croire, tout en faisant sienne l’idée que certains des membres de cette « famille » procèdent à un nettoyage ethnique vis-à-vis des Palestiniens. Dans le même temps, Rosen et Tzedek souscrivent aux appels palestiniens à boycotter cette même « famille israélienne ».

« C’est cela, appartenir à une famille. Vous pouvez avoir des proches avec lesquels vous êtes profondément en désaccord, et qui ressentent la même chose à votre encontre », a-t-il conclu.

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