La polémique autour des propos de Claude Guéant, ministre de l’intérieur, sur la hiérarchie des civilisations est l’expression de la grave crise morale traversée par la classe politique française. Face à une déclaration scandaleuse, il ne s’est trouvé qu’un seul député pour crier son indignation. Serge Letchimy, député de la Martinique, est cloué au pilori parce qu’il aurait évoqué les camps de concentration, lieu ultime de la barbarie, en tant que conséquence tragique d’une idéologie européenne. Pourtant qu’y a-t-il de choquant dans la déclaration du député ? Le fait qu’il ait osé évoquer le génocide des juifs d’Europe perpétré par des Européens pour illustrer la continuité et la prégnance d’une certaine idéologie occidentale ? Ou qu’il ait accusé le ministre de l’intérieur de racolage des voix d’extrême-droite ?
Au-delà des contorsions rhétoriques et des manœuvres électoralistes, ce que révèle la polémique autour des déclarations du ministre de l’Intérieur est la nature réelle d’une élite de pouvoir qui n’hésite plus à exprimer un discours de haine dont la cible prioritaire est l’Islam et les musulmans. Face à une crise qu’elle est bien incapable de juguler et au creusement, sans précédent, des inégalités dont elle est responsable, une partie non négligeable de la droite française revient vers ses tropismes racistes fondateurs. Le calcul électoraliste, froid, qui consiste à tout faire pour capter un électorat sensibilisé par des années de matraquage médiatique au discours de peur et de haine du populisme démagogique n’est pas la seule explication. Les élites politiques françaises, et la droite n’est pas seule en cause -tant est engagée la responsabilité du Parti Socialiste-, n’ont jamais reconnu l’héritage raciste et colonial de la République. Et qu’on ne vienne pas parler de repentance ou d’auto-flagellation ! Il s’agit du courage de regarder l’histoire en face, sans faux-fuyants ni mystification politicienne. Le déni et l’occultation expliquent pour une large part la renaissance du discours essentialiste et les tentatives de réécriture d’une histoire mythifiée. Les soubassements de l’idéologie raciste et suprématiste, dont le nazisme a été une évolution naturelle, sont intacts.
C’est sur ces bases que se construit méthodiquement le discours de l’islamophobie. La stigmatisation de l’Islam et des musulmans derrière des proclamations lénifiantes est assumée au nom de la lutte contre les intégrismes et une instrumentalisation de la laïcité comme moyen d’exclusion. Personne n’est dupe et tous lisent clairement les intentions de dirigeants politiques dont le cynisme n’a d’égal que l’irresponsabilité. De dérapages calculés en petites phrases lourdes de sens, le ministre de l’Intérieur, avec d’autres figures de ce courant, assume la dérive du sarkozysme -déclinaison locale du néo-conservatisme américain- vers les régions les plus sinistres d’une idéologie à l’exact opposé des valeurs universelles proclamées par la République. En réactualisant l’inepte théorie de la guerre des civilisations, ce ministre réinjecte effectivement dans le débat politique des notions en vigueur au cours des heures les plus sombres de l’histoire de France.
Devant ces attaques frontales contre les plus hautes valeurs de l’universalisme et contre l’esprit de ce que fut la résistance française, l’heure n’est plus aux atermoiements ni à la réprobation silencieuse. La mobilisation résolue contre le racisme et toutes ses déclinaisons est plus que jamais la priorité pour tous ceux qui veulent une France en paix avec elle-même et dans laquelle l’ensemble des citoyens, athées ou de toutes confessions, peuvent se reconnaitre dans le respect, l’égalité, et le droit. L’Islam et les musulmans autant que les autres. Les esprits retors au service du racolage politique le plus éhonté peuvent vociférer et occuper le champ médiatique, ils ne parviendront pas à modifier le cours de l’histoire. Il n’y a pas de civilisation supérieure ou de civilisation inférieure, il n’y a qu’une seule civilisation, c’est celle de l’humanité toute entière.
Mireille Fanon-Mendès France
Fondation Frantz Fanon
Paris, le 8 février 2012